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Beurre : le retour en grâce

La nouvelle pourrait inquiéter les amoureux du petit-déjeuner à la française: le prix des croissants au beurre (et des biscuits du même genre) pourrait bientôt augmenter ! En cause, le prix du beurre qui a quasiment doublé en un an : +92% entre mai 2016 et mai 2017. Derrière cette envolée se cache une hausse de la demande aux États-Unis, en Chine, au Mexique, ou encore en Inde…et une meilleure image globale.

Longtemps, le beurre a eu triste réputation : celle d’augmenter le risque de maladies cardio-vasculaires à cause de ses acides gras saturés. Autorités sanitaires, professionnels de santé… Il ne trouve aucun soutien. 

« Après la Seconde Guerre Mondiale, les gens ont beaucoup mangé parce qu’ils avaient eu faim », explique Philippe Legrand, directeur du laboratoire de nutrition humaine de l’Agrocampus Inra à Rennes. « Ils ont mangé bien gras, bien sucré, en quantité un peu excédentaire, les maladies cardio-vasculaires ont donc fait un bond important. Et du coup la chasse aux lipides a été lancée, et pas celle aux glucides, qui auraient pu être incriminés. Mais les lobbys sucriers ont bien travaillé… »

« Dans les années 50, il y a parfois eu une simplification abusive. C’était surtout un ensemble et une sur-consommation globale qui donnait des maladies cardio-vasculaires, et non pas tel produit plus qu’un autre. Il y avait une vision moyenâgeuse. »
Philippe Legrand


Le beurre devient le responsable du mauvais état des artères. La science n’a pas vraiment accompagné ce débat, les études sérieuses ne sont pas lancées dans les laboratoires. L’époque est à l’opinion, plus qu’à la démonstration. La simplification abusive, selon les chercheurs d’aujourd'hui, s’immisce dans les cabinets médicaux :
« Bon, qu’avez-vous sur votre table ? Du beurre et du camembert ? Alors on supprime le beurre et le camembert ! »

Voilà comment le beurre se retrouve en première ligne des aliments à bannir pour rester en bonne santé. Ses défenseurs ne trouvent pas de failles et ne parviennent pas à renverser cette tendance.  Selon un expert international du négoce du lait qui préfère garder l'anonymat, « le beurre a fait les frais du lobbying des intérêts de la matière grasse végétale (les huiles - ndlr) dans les années 1970, la filière lait était alors complètement désorganisée pour riposter. »

Le temps scientifique fait peu à peu son effet 

photo Time 2014
Time - 23 juin 2014

Il faut 30 ou 40 ans pour que les résultats d’études poussées soient intégrés par la société. Dès 2004, des premiers travaux démontrent que les acides gras saturés contenus dans le beurre ne posent aucun problème tant qu’il n’y en a pas trop. A Rennes, le Professeur Legrand et ses équipes travaillent aussi à cette réhabilitation : « tous les acides gras saturés y compris ceux du beurre, ont des fonctions très nobles; donc il n’y a pas de mauvais aliments. Comme toujours, c’est l’excès qui est en cause, pas le produit lui-même. Cela n’a pas vraiment de sens de stigmatiser un produit ».

Le beurre revient à la mode. Le Time Magazine en 2014 fait sa Une avec un "EAT BUTTER" retentissant (Mangez du Beurre, en français).

Des scientifiques américains dans une étude publiée par la Tufts University de Boston en juin 2016 concluent qu’il ne peut être fait aucun lien entre consommation de beurre et maladies cardio-vasculaires ou diabètes. « Le beurre ne semble être ni nocif, ni bénéfique », affirme au journal américain le Dr Dariush Mozaffarian, un des auteurs de l'étude et doyen de la Friedman School of Nutrition Science and Policy (États-Unis). Bref, ce n’est plus le coupable idéal…

« Pas de haine contre les lipides ! Il faut 35 à 40 % de lipides dans notre apport énergétique par jour »

Le beurre a donc toute sa place dans l’alimentation, ni plus ni moins qu’un autre aliment. Il est même plutôt protecteur pour la santé, avec son apport en vitamine A et D. Et puis « le beurre est moins gras que l’huile : l’huile c’est 100% de gras, le beurre 82% », ajoute Philippe Legrand. « Cela apporte du combustible, de l’énergie. » 

Sans compter qu’il est on ne peut plus naturel : pour obtenir du beurre, battez la crème. Point. Aucune transformation, solidification… Et le naturel est une tendance lourde de l’alimentation, dans un contexte de prise de conscience environnementale. « Les gens préfèrent utiliser un beurre issu de protéines de vache qui paît dans le champ d'à côté qu'une matière grasse issue d'une transformation d'un palmier à huile cultivé à l'autre bout du monde », selon notre négociant en lait, qui connaît le comportement des consommateurs à travers ses études de marché.

Le beurre n’est pas une transformation industrielle, contrairement à la margarine. Même McDonald’s, pour qui l'image est importante, a échangé dès l’automne 2015 sa margarine contre du beurre dans tous ses restaurants aux États-Unis. Signe que le beurre est redevenu attirant.

Pourquoi le prix du beurre s'envole quand celui du lait est au plus bas ?

beurre lait
La question se pose puisque c'est à partir du lait que l'on fabrique le beurre. Mais sur le marché des matières premières, c'est plus compliqué. Le lait se divise en deux sous-catégories principales : 

- les matières grasses qui sont extraites du lait pour fabriquer du beurre par exemple.
- les protéines, que l'on retrouve soit dans la bouteille de lait de notre épicerie préférée, soit sous la forme de poudre écrémée (sans matières grasses justement) comme ingrédient de base de produits de l'agro-alimentaire.

Avec la réhabilitation et le "retour à la mode" des matières grasses, on assiste à un déséquilibre entre le marché des protéines et celui des matières grasses.

Un peu d'histoire...

Après la bulle d'importation chinoise des années 2013-2014 et la fin des quotas laitiers dans l'Union européenne en avril 2015, les producteurs de lait ont largement investi dans des équipements leur permettant de produire davantage.

Conséquence : une surproduction qui a généré une baisse du prix du lait. En Europe, l'Union européenne protège les producteurs avec un prix minimum de rachat quand les cours descendent trop bas. Elle a donc racheté les stocks et incité à produire moins à coups de subventions. 

Avec moins de lait, les prix remontent, et le marché de la protéine se rééquilibre à la mi-2016. Mais pas celui des matières grasses pour lesquelles la demande explose. Du coup, la production n'est plus suffisante et les prix s'envolent.