Fil d'Ariane
Longtemps, le beurre a eu triste réputation : celle d’augmenter le risque de maladies cardio-vasculaires à cause de ses acides gras saturés. Autorités sanitaires, professionnels de santé… Il ne trouve aucun soutien.
« Après la Seconde Guerre Mondiale, les gens ont beaucoup mangé parce qu’ils avaient eu faim », explique Philippe Legrand, directeur du laboratoire de nutrition humaine de l’Agrocampus Inra à Rennes. « Ils ont mangé bien gras, bien sucré, en quantité un peu excédentaire, les maladies cardio-vasculaires ont donc fait un bond important. Et du coup la chasse aux lipides a été lancée, et pas celle aux glucides, qui auraient pu être incriminés. Mais les lobbys sucriers ont bien travaillé… »
« Dans les années 50, il y a parfois eu une simplification abusive. C’était surtout un ensemble et une sur-consommation globale qui donnait des maladies cardio-vasculaires, et non pas tel produit plus qu’un autre. Il y avait une vision moyenâgeuse. »
Philippe Legrand
Le beurre devient le responsable du mauvais état des artères. La science n’a pas vraiment accompagné ce débat, les études sérieuses ne sont pas lancées dans les laboratoires. L’époque est à l’opinion, plus qu’à la démonstration. La simplification abusive, selon les chercheurs d’aujourd'hui, s’immisce dans les cabinets médicaux :
« Bon, qu’avez-vous sur votre table ? Du beurre et du camembert ? Alors on supprime le beurre et le camembert ! »
Voilà comment le beurre se retrouve en première ligne des aliments à bannir pour rester en bonne santé. Ses défenseurs ne trouvent pas de failles et ne parviennent pas à renverser cette tendance. Selon un expert international du négoce du lait qui préfère garder l'anonymat, « le beurre a fait les frais du lobbying des intérêts de la matière grasse végétale (les huiles - ndlr) dans les années 1970, la filière lait était alors complètement désorganisée pour riposter. »
Il faut 30 ou 40 ans pour que les résultats d’études poussées soient intégrés par la société. Dès 2004, des premiers travaux démontrent que les acides gras saturés contenus dans le beurre ne posent aucun problème tant qu’il n’y en a pas trop. A Rennes, le Professeur Legrand et ses équipes travaillent aussi à cette réhabilitation : « tous les acides gras saturés y compris ceux du beurre, ont des fonctions très nobles; donc il n’y a pas de mauvais aliments. Comme toujours, c’est l’excès qui est en cause, pas le produit lui-même. Cela n’a pas vraiment de sens de stigmatiser un produit ».
Le beurre revient à la mode. Le Time Magazine en 2014 fait sa Une avec un "EAT BUTTER" retentissant (Mangez du Beurre, en français).
Des scientifiques américains dans une étude publiée par la Tufts University de Boston en juin 2016 concluent qu’il ne peut être fait aucun lien entre consommation de beurre et maladies cardio-vasculaires ou diabètes. « Le beurre ne semble être ni nocif, ni bénéfique », affirme au journal américain le Dr Dariush Mozaffarian, un des auteurs de l'étude et doyen de la Friedman School of Nutrition Science and Policy (États-Unis). Bref, ce n’est plus le coupable idéal…
Le beurre a donc toute sa place dans l’alimentation, ni plus ni moins qu’un autre aliment. Il est même plutôt protecteur pour la santé, avec son apport en vitamine A et D. Et puis « le beurre est moins gras que l’huile : l’huile c’est 100% de gras, le beurre 82% », ajoute Philippe Legrand. « Cela apporte du combustible, de l’énergie. »
Sans compter qu’il est on ne peut plus naturel : pour obtenir du beurre, battez la crème. Point. Aucune transformation, solidification… Et le naturel est une tendance lourde de l’alimentation, dans un contexte de prise de conscience environnementale. « Les gens préfèrent utiliser un beurre issu de protéines de vache qui paît dans le champ d'à côté qu'une matière grasse issue d'une transformation d'un palmier à huile cultivé à l'autre bout du monde », selon notre négociant en lait, qui connaît le comportement des consommateurs à travers ses études de marché.
Le beurre n’est pas une transformation industrielle, contrairement à la margarine. Même McDonald’s, pour qui l'image est importante, a échangé dès l’automne 2015 sa margarine contre du beurre dans tous ses restaurants aux États-Unis. Signe que le beurre est redevenu attirant.