Biélorussie : "La solution à la crise se trouve en Biélorussie"

Svetlana Tikhanovskaïa était entendue par les députés français en visioconférence devant la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale ce 7 octobre, au lendemain de sa rencontre avec la chancelière allemande Angela Merkel. Une semaine plus tôt, l'opposante biélorusse s'entretenait avec le président français. Quelles conséquences peut avoir la rencontre entre Emmanuel Macron et Svetlana Tikhanovskaïa en Lituanie mardi 29 septembre ? Alexandra Goujon, maîtresse de conférences en sciences politiques à l'Université de Bourgogne-Franche-Comté en France, décrypte cet « acte politique ».
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iélorussie : « La solution à la crise se trouve en Biélorussie »
Svetlana Tikhanovskaïa, l'opposante biélorusse en exil en Lituanie, avant une réunion avec le président français, Emmanuel Macron, mardi 29 septembre à Vilnius. 
 
© Mindaugas Kulbis / AP
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Alexandra Goujon, également chercheuse au Centre de recherches et d'études en droit et sciences politiques et spécialiste de l'Ukraine et de la Biélorussie, considère que de nouvelles élections "n’auront pas lieu prochainement". Entretien.


TV5MONDE : La rencontre entre Emmanuel Macron et Svetlana Tikhanovskaïa doit-elle être traduite comme un acte "symbolique", dans la mesure où M. Macron se replace au centre de l’échiquier géopolitique pendant que les Etats-Unis sont en retrait et que s’affirment la Russie et la Chine, ou peut-on réellement espérer quelque chose ? 

Alexandra Goujon : Rencontrer une opposante en exil, qui a, qui plus est, été candidate à l’élection présidentielle, et est soutenue par le peuple biélorusse qui la considère comme celle qui a remporté le scrutin, représente un acte politique. C’est un signal fort donné aux Biélorusses, lesquels ont le sentiment que l’Union européenne ne fait pas grand-chose, que les déclarations ne sont pas suivies d’effets, qu’il y a des tergiversations autour de la liste des personnes à sanctionner. C’est une démonstration de l’implication européenne. 

Comment la population biélorusse a-t-elle interprété cette rencontre ? 

Les manifestants biélorusses observent les mouvements à l’œuvre au niveau international concernant la situation dans leur pays. Ils sont témoins du soutien européen et des Etats-Unis de par les déclarations (l'Europe et les Etats-Unis ne reconnaissent pas la légitimité d’Alexandre Loukachenko, ndlr) mais aussi de par les rencontres entre Svetlana Tikhanovskaïa et les personnalités européennes.

Il s’agit, en outre, d’une conjonction de points de vue, d’un rapprochement en termes de valeurs notamment via les revendications quant à la fin des violences policières, d’élections libres et justes et de la libération de prisonniers politiques. Mais il n’y a en aucun cas une volonté de rapprochement avec l’Union européenne. 

Que penser de la relation Macron/Poutine alors que le premier nommé s’oppose au second sur ce dossier ? 

Je ne crois pas qu’il faille parler d’opposition de la part d’Emmanuel Macron. D’ailleurs, cette entrevue est en adéquation avec la position européenne sur le sujet. Les intérêts européens et russes sont divergents dans cette zone. Je crois plutôt qu’il faut comprendre cette rencontre comme un rééquilibrage. Macron est en effet perçu comme celui qui tend la main à Vladimir Poutine, notamment sur le dossier ukrainien. Les deux se sont d’ailleurs entretenus très rapidement au téléphone après les résultats du scrutin biélorusse.

La France est, contrairement à d’autres pays européens, convaincue que la Russie doit être impliquée dans la résolution de la crise. La Russie entretient, de son côté, une relation très intéressée avec son voisin de par ses intérêts économiques et géostratégiques. Ce qui place Vladimir Poutine dans une position inconfortable compte tenu de sa relation tendue avec Alexandre Loukachenko. Moscou ne voit d’ailleurs pas d’un mauvais œil une alternance au pouvoir à Minsk. Ce qu’elle craint, c’est un changement de direction par un mouvement protestataire.
 Cela peut-il augurer d’une issue à la crise biélorusse ? 

Il ne faut pas négliger une chose dans cette histoire : la solution à la crise se trouve en Biélorussie. Il peut bien sûr y avoir des acteurs à même de faire pression ou d’influencer. On a, à cet égard, évoquer une médiation de la part de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Mais Alexandre Loukachenko n’a, pour l’heure, saisi aucune de ces opportunités. Les opposants sont soit en exil soit emprisonnés et la répression se poursuit. C’est là que réside la principale contrainte. Si d’aventure il devait y avoir de nouvelles élections, dans quel cadre seraient-elles organisées et par qui ? Sous la direction actuelle, elles n’auront pas lieu prochainement. 

La Lituanie est en première ligne sur ce dossier, peut-être du fait de l'importance de sa diaspora biélorusse. Peut-elle devenir un acteur/médiateur de premier rang sur cette question ?

Il y a un peu une tradition d’exil en Lituanie ou en Pologne de la part des Biélorusses. Le régime biélorusse réprime l’opposition depuis plusieurs années et il est fréquent de voir des militants ou des étudiants émigrer dans ces deux pays. D’ailleurs, l’Université européenne des sciences humaines, actuellement située à Vilnius (à 150 km de Minsk), a originellement été créée à Minsk. Parler de Lituanie comme médiateur, je ne pense pas. Les positions prises par les officiels lituaniens ont été extrêmement fermes et unilatérales (avec la Pologne) en attendant un éventuel consensus européen.

Le président biélorusse a lui-même vivement réagi à cela en annonçant un durcissement des contrôles aux frontières et en menaçant de ne plus utiliser un port lituanien qui génère beaucoup d’emplois dans le secteur du fret maritime. La médiation risque d’être compliquée si tant est qu’elle est acceptée par le président biélorusse. 

(Re)voir : Liban, Biélorussie... "Emmanuel Macron est le seul chef d'État d'une grande puissance qui parle pratiquement à tout le monde"
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