Fil d'Ariane
Ce lundi 15 novembre, l’Union européenne a décidé de nouvelles mesures contre le régime d’Alexandre Loukachenko. Il est accusé d'alimenter la crise en délivrant des visas à des migrants et en les acheminant à la frontière pour se venger de sanctions européennes après la répression de l’opposition lors de la présidentielle de 2020. Le président Bélarus dément.
De con côté, la Pologne s’apprête à construire un mur anti-migrants à partir de décembre, tout en refusant l'intervention de Frontex, l'agence de surveillance des frontières de l'Union européenne.
(Re)voir : L'Union européenne prend des sanctions contre la Biélorussie
TV5MONDE : Pourquoi la Pologne refuse-t-elle l’intervention de Frontex ?
Jean-Yves Potel : S’il y avait une prise en charge des migrants sur place par Frontex, cela impliquerait d’ouvrir la frontière. Or les autorités polonaises justifient leur politique en se posant comme le rempart européen à l’agression biélorusse. Toute leur propagande interne est basée là-dessus. Donc ils n’ont pas l’intention de reculer.
Aujourd’hui, la situation est totalement bloquée à la frontière. Encore ce matin, des affrontements ont eu lieu et les pays se renvoient la balle. Les Polonais accusent les Biélorusses d'avoir organisé ces affrontements quand Alexandre Loukachenko affirme le contraire. Cela entraîne une surenchère et au milieu, il y a 3000 à 4000 migrants, principalement originaires de Syrie et d’Afghanistan.
TV5MONDE : Selon de nombreuses conventions internationales, les États s’interdisent d’expulser ou de refouler un.e réfugié.e vers un territoire où sa vie est menacée. Pourtant, Varsovie refoule à la frontière des migrants qui pourraient avoir ce statut. La Pologne risque-t-elle une condamnation ?
J-Y Potel : La Pologne a fait un amendement à sa loi nationale sur les étrangers qui légalise cette pratique controversée de refoulement à la frontière. Elle va certainement recevoir la condamnation de cet amendement par la Cour de justice de l'union européenne (CJUE), par le Conseil de l'Europe.
Il y aura aussi, sans doute, plusieurs appels d’autres organes. La Pologne risque une amende et des discussions, mais qui vont prendre des mois. Les autorités polonaises le savent. Elles jouent avec le feu à long terme. Sur le court terme, cela ne changera rien. Par exemple, aujourd'hui, la CJUE a publié un communiqué dans lequel elle condamnait la justice polonaise... Pour quelles conséquences ? Des protestations, un appel, mais rien de plus.
#CJUE: le régime en vigueur en #Pologne qui permet au ministre de la #Justice de déléguer des juges dans des juridictions pénales supérieures est contraire au droit de l’#UE #étatdedroit
— Cour de justice UE (@CourUEPresse) November 16, 2021
https://t.co/RYkV4ErZaP
La Pologne risque une amende et des discussions, mais qui vont prendre des mois. Les autorités polonaises le savent. Elles jouent avec le feu à long terme. Sur le court terme, cela ne changera rien.
TV5MONDE : L’Union européenne a-t-elle les moyens de faire pression sur la Pologne pour l’obliger à mettre en place un corridor humanitaire ?
J-Y Potel :Il y a eu un appel de toutes les associations humanitaires en Pologne, sans exception, pour faire un corridor. Un appel, aussi, de tous les prix Nobel polonais. Sans réelle réponse de l’Union européenne.
Ce matin le porte parole du gouvernment frnaçais qui n'a pas du tout voulu prendre position sur cette question migratoire. Il a pris des positions sur Loukachenko, tout le monde est d'accord là-dessus. Mais sur le sort des migrants, c'est le silence.
L’UE a certes fait des déclarations allant de ce sens, mais la position de la Commission est très modérée. Il faut savoir qu’une partie des pays qui la composent est plutôt favorable à l’attitude des Polonais. La situation est donc ambiguë. Quel va être le sort de ces migrants ? C'est le silence. Cette situation est dramatique.
Les déclarations ou discours de la Commission ne traitent pas cette question : ils portent sur la géopolitique, mais ne s'intéressent pas au sort des migrants. Cette situation illustre bien la façon dont l'UE pense, ou plutôt ne pense pas, la question migratoire, et se caractérise par un manque total de courage.
Cette situation illustre bien la façon dont l'UE pense, ou plutôt ne pense pas, la question migratoire, et se caractérise par un manque total de courage.
Jean-Yves Potel, politologue et historien
Kuźnica: próba sforsowania polskiej granicy pic.twitter.com/kqCkLPdsiK
— Ministerstwo Obrony Narodowej (@MON_GOV_PL) November 8, 2021
TV5MONDE : L’Union européenne aurait-elle pu éviter cette crise ?
J-Y Potel : Les autorités européennes veulent maintenir leur unité, mais elles se mettent dans une situation délicate. Elles se sont notamment divisées sur la question du mur, avec des approches différentes entre Charles Michel, le président du Conseil européen, et Ursula Van der Leyen, la présidente de la Commission.
Les autorités européennes veulent maintenir leur unité, mais elles se mettent dans une situation délicate. Elles se sont notamment divisées sur la question du mur.
Jean-Yves Potel, politologue et historien
Au départ, il faut se poser la question : quel est le fond du problème ? Est-ce vraiment une volonté d'attaquer l'Europe, ou est-ce une manœuvre politique qu'a fait Loukachenko ?
Cette crise aurait pu être résolue assez simplement. Si l’Union européenne et/ou les Etats-membres avaient tenus un discours très ferme dès le début avec la Pologne pour qu’elle mette en place un corridor humanitaire, tout en faisant pression sur la Biélorussie sur le plan économique et ses partenaires, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
Ce qui aurait pu être une petite crise de quelques jours s’est transformée en un piège où l’Union européenne laisse le discours très nationaliste des Polonais gagner du terrain.