Bien-être animal : les poissons d'élevage maltraités

"Les poissons souffrent aussi". C'est le message qu'a voulu faire passer l'association "L214 Ethique & Animaux" ce vendredi en diffusant, images à l'appui, une enquête dénonçant la cruauté des conditions de vie et de mise à mort dans les fermes piscicoles. L'ONG s'est déjà fait connaître depuis 2016 en publiant des vidéos insoutenables dans des abattoires bio notamment. Face à cette maltraitance, nous avons interrogé l'OIE (l'Organisation mondiale de la santé animale).  
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L214
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Après l'enquête de l'organisation anglaise CICW (Compassion in World Farming) ce lundi, qui s'est intéressée pour la première fois au sort des poissons en aquaculture (truites, dorades, bar...) dans l'Union européenne, l'ONG française L214 Ethique & Animaux a publié pour sa part, ce vendredi 30 novembre, la sienne, s'indignant particulièrement des conditions d'élevage des truites.
 
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L'association qui s'était fait connaître en 2016 en filmant dans les abattoirs bio notamment, récidive dans les fermes piscicoles cette fois. Une société est notamment montrée du doigt : Aqualande, un groupe spécialisé dans l'élevage de truites en Nouvelle-Aquitaine.  Lequel a annoncé qu'il allait porter plainte à la suite de la diffusion sur Twitter des vidéos tournées clandestinement. 

Il faut dire que les images en questions font froid dans le dos. On y voit des truites  suffoquant, se débattant, puis agonisant dans un bain de sang. Toute la mise à mort est disséquée par le menu. De quoi sensibiliser plus d'un sceptique. 
 

Les temps changent certes. Le bien-être animal est de plus en plus pris en considération à l'aune des nouvelles découvertes scientifiques qui révèlent une sensibilité à la souffrance chez tous les types d'animaux (et non seulement chez les vertébrés), à l'aune aussi de notre propre prise de conscience d'être humain faisant partie d'un même écosystème qu'il est urgent de préserver. 

Le poisson : l'animal d'élevage le plus répandu après le poulet

D'autant que le poisson, de plus en plus consommé, est l'animal d'élevage le plus répandu dans le monde après le poulet.
 

L'aquaculture pèse aujourd'hui plus que la pêche dans la production de poisson pour l'alimentation. 

Selon la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), la production halieutique issue de l'aquaculture s'élevait à peine à 0,6 million de tonne en 1950, alors qu'en 2016 : celle-ci atteignait 80 millions de tonnes, soit 47 % de la production totale (pêche + aquaculture) ! 

C'est même 53 % si l'on exclut la part destinée à des utilisations non alimentaires (farine et huile de poisson). Par ailleurs, 70 % des espèces aquatiques d'élevage sont désormais nourries par l'homme.

Compte tenu de ces quantités grandissantes, la mise à mort de ces animaux est de fait de plus en plus surveillé. Ainsi ce principe fondamental dans l'UE : "tout animal d'élevage doit être épargné de douleurs, détresse ou souffrance pouvant être évitées au moment de la mise à mort".

C'est pourquoi, certains recourrent au courant électrique dans l'eau du bassin ou à la percussion afin d'étourdir les poissons avant de les tuer avec le moins de souffrances possibles. D'autres ont choisi des méthodes proscrites. 

A l'image d'Aqualande qui a opté pour le dioxyde de carbone. Pour les truites et les daurades, CIWF juge en particulier "inacceptable" cette technique douloureuse et trop longue de mise à mort. 

Quant à L214 à l'origine des images de ce vendredi, l'association ajoute avoir découvert l'utilisation de stéroïdes dans ces élevages afin de les faire grossir. Réponse d'Aqualande dans le journal Le Monde : elle aurait réduit par quatre l'utilisation d'antibiotique en dix ans, et se targue d'une "alimentation et oxygénation de l'eau qui ont beaucoup progressé". L'association, elle, ne voit même pas de grandes différences entre les installations bio et les autres.

Une réponse politique urgente attendue

"Certaines daurades sont tuées une fois sorties hors de l'eau, mais ceci est à l'origine d'une mort très stressante, avec une longue agonie" indique CIWF.

Pour le bar, dont l'Europe a produit plus de 69 000 tonnes en 2015, plus de la moitié
en Grèce, l'Espagne étant le deuxième plus grand producteur, CIWF dénonce aussi "l'asphyxie dans la glace".

"La technique la plus prometteuse est l'étourdissement électrique suivi d'un refroidissement dans la glace" ajoute
l'ONG, qui appelle le ministère de l'Agriculture à "modifier la réglementation sur l'abattage des poissons d'élevage".

Alors que toute la chaîne agroalimentaire, de l'élevage à l'abattage, est depuis plusieurs mois dans la ligne de mire de mouvements radicaux dits antispécistes, antiviande, qui souhaitent l'abolition de l'élevage, les deux organisations soulignent qu'elles "ne veulent pas supprimer l'élevage". Mais elles appellent au développement de pratiques vertueuses. Greenpeace, en particulier, demande une redirection des aides publiques européennes vers des techniques agroécologiques et un véritable "changement de modèle" agricole.

Quant à l'Organisation internationale de la santé animale (OIE), elle a recommandé que ces techniques ne soient pas utilisées "si des méthodes alternatives peuvent être mises en place" .

L’OIE élabore des normes internationales sur la santé et le bien-être animal, adoptées par ses 182 pays membres et qui ont pour objectif d’être ensuite transposées dans leurs législations nationales.
 
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Le Docteur Leopoldo Stuardo de l'OIE a répondu à nos questions :

Quelles sont les normes internationales dans le domaine du "bien-être" des poissons d'élevage ? 
 
Le bien-être animal est étroitement lié à la santé animale, à la santé et au bien-être des personnes travaillant au contact des animaux, et à la durabilité des systèmes socio-économiques et écologiques. L’OIE a adopté en 2008 le premier chapitre sur le bien-être des poissons d'élevage, le Chapitre 7.1. du Code des Animaux Aquatiques, appelé "Introduction aux recommandations sur le bien-être des poissons d’élevage". Puis successivement en 2009, 2010 et 2012, les chapitres spécifiques sur le bien-être des poissons d’élevage pendant le transport, les aspects du bien-être animal liés à l’étourdissement et à l'abattage des poissons d’élevage destinés à la consommation humaine et sur la mise à mort des poissons d’élevage à des fins de contrôle sanitaire.
Leur mise en œuvre relève de la responsabilité des autorités compétentes du pays membre, l’OIE n’ayant pas de mandat de contrôle de leurs applications.
 
Quelles techniques et pratiques faudrait-il encourager dans les fermes piscicoles pour préserver le bien-être animal ? 

Les différentes méthodes et pratiques recommandées sont citées dans les chapitres du Code Aquatique pré-cité. Concernant le transport, il existe des méthodes de chargement et de déchargement à privilégier, de même qu'un type de véhicule spécifique ou la qualité de l’eau. Pour ce qui est de l’abattage, le Code Aquatique contient une liste détaillée des méthodes d’étourdissement et de mise à mort des poissons destinés à la consommation humaine, et de leurs inconvénients en matière de bien-être, ainsi que certaines autres méthodes auxquelles il est conseillé de ne pas avoir recours, celles-ci s’avérant peu respectueuses du bien-être des poissons.
Ces méthodes sont : le refroidissement avec de la glace déposée dans l’eau d’hébergement, l’exposition dans l’eau d’hébergement au dioxyde de carbone (en milieu confiné), l’ immersion dans des bains de sels ou d’ammoniaque, l’asphyxie par retrait de l’eau et l’exsanguination sans étourdissement préalable.
 
Il est à noter que l’article 7.3 du Code Aquatique ayant été rédigé il y a une dizaine d’années, les listes présentées pourraient nécessiter une révision. C’est pourquoi l'OIE se félicite de l'initiative volontaire de certains membres de la Plateforme de l’ Union Européenne sur le bien-être animal, consistant à revoir les normes existantes aux niveaux européen et international, dans la mesure où ce travail pourrait servir de base à un re-examen des normes internationales de l’OIE.

 
Quels sont les pays les moins vertueux, les plus vertueux ? 

Le bien-être animal est une question de politique publique nationale et internationale complexe, à facettes multiples, qui comporte des dimensions scientifiques, éthiques, économiques, juridiques, religieuses et culturelles ainsi que des implications importantes en matière de politique commerciale. Sa responsabilité doit être partagée entre les gouvernements, les communautés, les personnes qui détiennent, soignent et utilisent des animaux, la société civile, les établissements de formation, les vétérinaires et les scientifiques. Une reconnaissance mutuelle et un engagement constructif des parties sont nécessaires pour parvenir à des améliorations durables du bien-être animal. Pour en savoir plus, voir la Stratégie mondiale de l’OIE pour le bien-être animal.
 
Quels sont les poissons d'élevage les plus touchés par ces techniques inacceptables ?   


Les systèmes d’élevage comportent un grand nombre d’espèces de poissons qui possèdent des caractéristiques biologiques différentes. Il n’est pas envisageable de mettre au point des recommandations spécifiques à chacune de ces espèces. Par conséquent, les recommandations de l’OIE s’appliquent au bien-être des poissons d’élevage en général.
 
Où se situe l'urgence selon vous ? 

Le personnel affecté à la manipulation, au transport et à l’abattage des poissons, joue un rôle essentiel dans le bien-être des animaux. Il doit être expérimenté, compétent, et bien informé de la conduite à tenir et des principes élémentaires nécessaires à l’accomplissement de ses tâches. S’assurer de la formation du personnel et de sa connaissance des bonnes pratiques est donc une priorité.

>> Pour rappel, voir le processus d’adoption des normes de l’OIE ici : https://youtu.be/z9x9vgeJWXw