Biens mal acquis : le parcours du combattant des plaignants

Appartements, voitures, mobilier de luxe, comptes en banque pour des dizaines de millions de dollars…  Plusieurs dirigeants africains et leurs proches possèdent un patrimoine en France qui n’a pu être constitué au moyen de leurs seuls émoluments – telle était la conclusion du rapport de CCFD-Terre solidaire par qui le scandale est arrivé, voici cinq ans.
Image
Biens mal acquis : le parcours du combattant des plaignants
Maud Perdriel-Vaissière, juriste de Sherpa
Partager 6 minutes de lecture
En mars 2007, les associations Sherpa, Survie et la Fédération des congolais de la Diaspora, ont déposé plainte devant le Procureur de la République de Paris contre les familles dirigeantes de Guinée Equatoriale, d’Angola, du Burkina Faso, du Congo- Brazzaville et du Gabon. Depuis, les enquêtes sur ces « biens mal acquis » progressent lentement. Mais avec le mandat d’arrêt émis le 12 juillet 2012 contre Teodorin Nguema Obiang, le fils du président équato-guinéen, l’accusation voit ses efforts récompensés.

En amont de la justice : les associations anti-corruption et de défense des victimes

D’où viennent les témoignages qui alimentent les enquêtes ? Plus accessibles que les juges, les associations de défense des victimes restent les interlocuteurs privilégiés des personnes qui s’estiment lésées. Elles sont aussi mieux à même d’assurer l’anonymat des témoins. Ce sont les gens qui viennent vers nous pour raconter ce qu’ils ont vu : ceux qui ont travaillé pour les personnes soupçonnées et sont en litige avec elles, pour des salaires non payés, par exemple, des concurrents commerciaux lésés dans le cadre d’un marché public vicié, des personnes de la diaspora, des agents immobiliers, des prestataires de service, des architectes, mais aussi des témoins désintéressés… explique Maud Perdrière-Vaissière, juriste de Sherpa.
Biens mal acquis : le parcours du combattant des plaignants
42, avenue Foch, 16e arrondissement de Paris
Comment les ONG anti-corruption traitent-elle ces témoignages ? Souvent anonymes, ces témoignages sont à prendre avec des pincettes. Aussi les ONG se chargent-elles, avec leurs moyens, de faire le tri dans les informations avant de les livrer aux juges. Dans le cas Obiang, par exemple, l’enquête de police n’avait pas identifié le pied-à-terre de 2 185 m2 du rejeton du président de Guinée équatoriale, au 42, avenue Foch, à Paris. C’est un témoignage anonyme qui, il y a deux ans et demi, nous a informés de son existence, rappelle Maud Perdriel-Vaissière. Pendant  15 mois, Sherpa a recoupé les informations pour établir une présomption de propriété. Alors seulement nous avons communiqué les informations au juge d’instruction. Mais il faut parfois aller très vite pour que les informations gardent tout  leur intérêt, alors nous transmettons tel quel en spécifiant nos réserves à la justice qui, avec ses moyens, a le pouvoir d’en vérifier rapidement la véracité, poursuit-elle.

Les freins à la justice

L’inertie du ministère public Les ONG plaignantes pointent, au-delà de l’absence de volonté politique, l’inertie du ministère public tout au long de la procédure. Un premier dossier a été classé « sans suite », alors que les résultats de l’enquête confirmaient les allégations de l’accusation, et allaient même au-delà, en découvrant des biens immobiliers aux conditions de financement pour le moins « atypiques ». Face à une deuxième plainte, le parquet de Paris a fait appel. Ce qui est très surprenant pour un ministère public chargé d’appliquer la loi pénale, alors que les éléments du dossier de police tendaient vers l’existence d’infractions, souligne Maud Perdriel-Vaissière. Tout au long de la procédure, les magistrats du ministère public ont traîné à répondre à des demandes de compléments d’enquête... Il a fallu qu’une décision de la cour de cassation, en 2010, aboutisse à l’ouverture d’une information judiciaire conduite par des magistrats indépendants pour que l’enquête progresse.   L’absence de preuves Le déficit d’informations de la part des Etats concernés et la difficulté d’accès aux preuves des détournements de fonds publics restent un obstacle majeur. Car en l’état, ni la justice équato-guinéenne, ni celle du Gabon ou du Congo n’est prête à coopérer avec la justice dans les affaires des biens mal acquis. Alors qu’il est dans leur intérêt de recouvrer les avoirs détournés, insiste Maud Perdriel-Vaissière. S’il existe beaucoup plus d’éléments à charge dans le cas du fils d’Obiang, c’est aussi parce que d’autres pays, dont les Etats-Unis et l’Espagne, ont, de leur côté, ouvert des enquêtes. L'immunité 'artificielle', un problème sans précédent
Biens mal acquis : le parcours du combattant des plaignants
Maître Emmanuel Marsilly, avocat de Teodorin NGuema Obiang
De fait, les avocats de Teodorin NGuema Obiang font d’ores et déjà valoir sa récente nomination au poste de 2e vice-président de la Guinée-Equatoriale. Or cette fonction ne figure pas dans la constitution du pays. Pour les ONG plaignantes, cette nomination n’est ni plus ni moins qu’une tentative de fraude à la loi. Il est évident que la promotion d’une personne qui fait l’objet de poursuites pénales à ce poste a uniquement pour but d’échapper à la justice. Et lorsque la question se présentera devant les magistrats, nous espérons qu’ils feront preuve d’audace et qu’ils écarteront cet argument, souligne Maud Perdrière-Vaissière.
La justice internationale peut-elle intervenir ? Il n’est pas exclu que la Cour internationale de Justice, compétente pour trancher les litiges d’Etat à Etat, soit un jour impliquée dans l’affaire des biens mal acquis. Le gouvernement de Malabo a d’ailleurs laissé entendre qu’il l’avait déjà saisie, indigné par ce que d'aucuns considèrent comme une ingérence de la France dans ses affaires, même si aucune confirmation n’est pour l’instant disponible sur le site de la CIJ. Pour les ONG plaignantes, l’essentiel demeure que personne ne soit « oublié » par la justice, quelle que soit sa nationalité : intermédiaires, bénéficiaires, facilitateurs, entreprises qui ont versé des pots-de-vin… Pour l’instant limité à quelques personnages clés et saisies spectaculaires, l’objectif est d’appréhender le système dans son intégralité.

SANCTIONS ET RETORSION

Communiqué du gouvernement équato-guinéen du 29 mars 2012, au lendemain de la première demande d’un mandat d’arrêt contre Theodorin Obiang par deux juges français. Sanctions économiques Le gouvernement équato-guinéen a d’ores et déjà annoncé qu’il allait prendre des mesures de rétorsion économiques contre la France et repenser les intérêts français en Guinée Equatoriale. Il peut mettre un terme à des contrats conclus par les multinationales françaises, à commencer par France Telecom dans le secteur de la téléphonie mobile et Total pour le pétrole et le gaz, qui représente 90 % des recettes du pays. Sanctions diplomatiques Même si la procédure judiciaire en cours en France ne vise pas le pays lui-même, mais certains individus au sein du gouvernement – en l’occurrence le président et son fils - la Guinée-Equatoriale peut réagir en refusant d’accorder des visas aux ressortissants français. Elle peut même aller jusqu’à rappeler son ambassadeur en France ou rapatrier le personnel diplomatique français en poste à Malabo, la capitale, même s’il n’en est pas question pour l’instant. « En tout état de cause, ces considérations ne peuvent être prises en compte par les magistrats instructeurs, et la Guinée Equatoriale ne peut en aucun cas interférer dans le cours de la justice française, » précise Maud Perdriel-Vaissière.
SANCTIONS ET RETORSION