Bilan de la COP27 à Charm-el-Cheikh : “Une grande victoire et une profonde déception”

La 27ème conférence des Nations Unies pour le climat s'est achevée samedi 19 novembre à Charm-el-Cheikh en Égypte. Après plusieurs jours de discussions, les États membres ont peiné à trouver un accord sur la création d’un fond financier destiné aux pays vulnérables touchés par les effets du réchauffement climatique. Mais les discussions devraient encore durer. Bilan de cette édition 2022 avec Anne Bringault, coordinatrice des programmes du RAC, le réseau action climat. Entretien.
 
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COP27 charm el cheikh séance de clôture
Sameh Shoukry, président de la COP27 de Charm-el-Cheikh, est en train de discuter avec d’autres participants lors de la séance de clôture de cette édition. Égypte, 20 novembre 22022. 
AP/Peter Dejong
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Initialement prévue pour durer du 6 au 18 novembre 2022, la COP27 de Charm-El-Cheikh a finalement été rallongée de  vingt-quatre heures. Faute d’accord tangible entre les parties prenantes. Dans la nuit du 18 au 19 novembre, l'organisation des Nations unies pour le climat a annoncé qu’un accord avait été trouvé entre les États membres. 

Cet accord annonce notamment la création d’un fonds pour compenser les pertes et dommages liés au réchauffement climatique et destinés aux “pays vulnérables”. Que contient précisément cet accord ? Les ambitions de cette COP27 ont-elle été atteintes ? Éléments de réponse avec Anne Bringault, coordinatrice des programmes du réseau action climat (RAC) qui rassemble plusieurs ONG engagées contre le réchauffement climatique. 
 
On attendait ce fonds depuis plusieurs années et c’est vraiment une excellente nouvelle.
Anne Bringault, coordinatrice des programmes du réseau action climat (RAC)
TV5MONDE : La COP27 de Charm-el-Cheikh vient de s’achever. Avant de revenir sur le bilan de cette édition, quel est votre ressenti ? 

Anne Bringault :  C’est un sentiment mitigé. D'un côté il y a une grande victoire, de l’autre une profonde déception. La bonne nouvelle c’est l’annonce de la création d’un fonds pour "les pertes et dommages". On l’attendait depuis plusieurs années et c’est vraiment une excellente nouvelle. Il y a aussi cet objectif de rester au maximum à 1,5°C de réchauffement global qui demeure. Mais malheureusement aucun engagement supplémentaire n' a été pris par les États pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. 


TV5MONDE : En quoi consiste précisément ce fonds pour compenser les pertes et les dommages ? 

Anne Bringault : Ce processus va faire en sorte que les pays riches qui ont causé des dégâts aux pays pauvres du fait de leurs émissions de gaz à effet de serre et du  changement climatique paient pour ces dégâts. En clair, les pays pauvres impactés par les changements climatiques et notamment la montée du niveau des mers, les sécheresses à répétition, les inondations alors qu’ils ne sont pas responsables des dégradations se battaient pour ce fonds. 

TV5MONDE : Comment peut-on qualifier cet accord ? Va-t-il assez loin ?

A.B : Ce qui est acté dans cet accord, c’est avant tout le principe de la création du fonds de pertes et dommages. Dans les mois à venir, il va y avoir des discussions plus précises pour débattre et décider de qui va payer pour ce fonds. Est-ce que ce sont seulement les pays développés ? Est-ce que ce sont des pays émergents comme la Chine ? 

Il va aussi y avoir des débats sur qui va recevoir l’argent. Est-ce que ce sont les pays les plus vulnérables ou est-ce que l’on élargit à des pays comme le Pakistan, très sévèrement touché par des inondations. On doit aussi décider des montants… Pour l’instant, on a le principe d’un fonds mais on n’a pas non plus d’idée de montant. Ce qu’on sait, c’est qu’il faut qu’on ait plusieurs centaines de milliards de dollars par an. Et bien évidemment, les discussions sur le sujet vont être très tendues. 

Les droits humains au coeur d'une COP27 très encadrée par le pouvoir égyptien

Au-delà de la question environnementale, la question des droits humains dans le monde a eu un écho particulier à Charm-el-Cheikh pendant la COP 27. Notamment grâce à la médiatisation de la grève de la faim menée par Alaa Abdel-Fattah, un activiste britannico-égyptien et figure majeure de l'opposition au régime depuis plusieurs années.

C’est une question extrêmement cruciale puisqu’on ne pourra pas lutter contre le changement climatique si on ne donne pas la place à tout le monde pour pouvoir s’exprimer et si on bâillonne une partie de la population”, remarque Anne Bringault. 
COP27 Alaa Abdel Fatah
Alaa Abdel-Fattah, ressortissant britannico-égyptien, lors d’une conférence donnée à l’université américaine du Caire en 2014. En 2022, en marge de la COP27 de Charm-el-Cheikh, il a entamé une grève de la faim pour alerter sur la situation des opposants politiques en Égypte.
AP/Nariman El-Mofty

TV5MONDE : On ne sait pas encore clairement quels sont les “pays vulnérables” concernés par le fonds de réparation ? 

A.B : Quand on parle de “pays vulnérables”, on pense surtout aux États insulaires comme Tuvalu etc. Ce sont ces mêmes États qui vont être submergés par les niveaux de la mer si jamais on dépasse 1,5°C. Ça peut être aussi les pays d'Afrique. Le continent africain représente seulement 4% des émissions de gaz à effets de serre mais il y a eu des pays où il y a eu de graves inondations ou au contraire des sécheresse qui ont complètement perturbé l’’agriculture. Ce type de pays pourrait avoir des financements à travers ce nouveau fonds de pertes et dommages. 

Ce sont de toutes les façons les pays qui polluent le plus qui paieront.
Anne Bringault, coordinatrice des programmes du réseau action climat (RAC)

TV5MONDE : Et qui va payer ? 

A.B : Ce sont de toutes les façons les pays qui polluent le plus qui paieront. La question est de savoir si cela va être les pays qui polluent le plus depuis le début de l'ère industrielle ou ceux qui polluent le plus maintenant. Puisque le changement climatique, ce sont des gaz à effet de serre qui s’accumulent dans l’atmosphère. Donc il faut regarder les émissions de gaz à effet de serre depuis quasiment le début de l’ère industrielle… Et si on remonte à un peu plus d’un siècle, les pays les plus émetteurs qui restent loin devant tous les autres ce sont les États-Unis, l’Europe… 

Si on regarde ceux qui émettent le plus de gaz à effet de serre maintenant, c’est vrai qu’on pense à la Chine. Et la Chine doit aussi contribuer à ce fonds. Mais certainement pas au même niveau que ceux qui polluent depuis des décennies comme les États-Unis. C'est là tout l’enjeu des discussions. 

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TV5MONDE : Cet accord ne contient pas non plus d'avancées majeures sur les énergies fossiles. Comment peut-on l'expliquer ? 

A.B : Même les termes de "pétrole et de gaz” n’ont pas été intégrés dans les termes de l’accord… D’abord parce que certains pays comme l’Arabie Saoudite bloquent complètement sur ce sujet là. Certains pays qui sont des gros producteurs comme l’Arabie Saoudite ou l’Égypte se sont opposés à l'inclusion de ces mentions dans l’accord. Malheureusement, c’est un bien mauvais signal. Et quand on sait que la prochaine COP va avoir lieu à Dubaï l’année prochaine, qui est également un pays producteur de pétrole et de gaz, ça peut nous laisser un peu inquiets sur la suite du processus. 

TV5MONDE : Vous déplorez également que cette COP n’ait pas permis de prendre de nouveaux engagements sur les énergies fossiles ? 

A.B : Oui, et c’est assez paradoxal. Quand on parle du changement climatique, c’est vrai que la première cause des émissions de gaz à effet de serre sont les énergies fossiles, à savoir le gaz, le charbon, le pétrole. Or, les énergies fossiles n’étaient même pas citées dans l’Accord de Paris en 2015. C’est seulement depuis la COP de Glasgow l’année dernière que le charbon est cité dans l’accord. Un accord où on dit clairement qu’il faut réduire l’usage du charbon. Par contre, on n’évoque toujours pas le pétrole et le gaz alors qu'il faut également réduire leurs usages. Et là, malheureusement, à ce sujet-là, il n’y a eu aucune avancée à Charm-El-Cheikh. 

Malheureusement, aucun engagement supplémentaire n' a été pris par les États pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. 
Anne Bringault, coordinatrice des programmes du réseau action climat (RAC)

TV5MONDE : Pourquoi ? 

A.B : Les États comme l’Arabie Saoudite vivent encore énormément du pétrole. Ils n’ont absolument pas envie qu’il y ait des engagements internationaux de réduction de l’usage du pétrole. Les pays dont l’économie dépend beaucoup de la production de pétrole ou de gaz font tout pour qu’il n’y ait pas de limitation sur cette consommation. Et puis derrière, il y a aussi de grandes entreprises qui étaient très présentes à la COP27 et qui vivent aussi du pétrole et du gaz et qui exercent une forte pression pour que ces mentions n’apparaissent pas. 

TV5MONDE : Et dans tout ça, quelle est la place accordée aux énergies renouvelables ? 

A.B : Le sujet fait évidemment débat. Les énergies renouvelables n'étaient pas citées avant dans le texte, parce que certains  acteurs ne voulaient pas qu’elles apparaissent. Ce qui est positif aussi c’est qu’il est clairement indiqué dans le rapport qu’il faut se diriger vers les énergies renouvelables et donc vers une transition juste et propre. c’est positif. c’est écrit noir sur blanc. et ce n’était pas le cas de manière aussi explicite lors de la précédente COP de Glasgow. 

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TV5MONDE : Maintenant que l'annonce d'un accord est tombée, que va-t'il se passer ? Quel est le calendrier ? 

A.B : Les discussions vont se poursuivre à l’ONU, entre tous les acteurs de cette COP. On a le principe de ce fonds mais les choses ne sont absolument pas totalement définies. Qui va payer ? Vers quel pays cette aide va aller ? Comment va-t-on déterminer les montants ? Qui va décider des projets qui seront financés ? Quelle sera la gouvernance de tout ça ? Il va y avoir des discussions qui vont durer plusieurs mois pour déterminer les modalités de fonctionnement de ce fonds.

 La guerre en Ukraine a montré que la dépendance aux énergies fossiles avait des impacts économiques énormes. 
Anne Bringault, coordinatrice des programmes du réseau action climat (RAC)

TV5MONDE : Toutes les décisions sont-elles prises par l’ONU ? 

A.B : Pour la baisse des émissions de gaz à effet de serre, la balle est dans le camp des États c’est vrai. Et ça veut dire que s’il y a un blocage au niveau onusien pour parler du pétrole et du gaz, il faut que les États et la France notamment aient des politiques d'accélération de sortie du pétrole et du gaz. Ce qui veut dire qu’il faudra transformer beaucoup plus rapidement la mobilité en France et transformer la consommation de gaz, le chauffage… ça veut aussi dire qu’il faudra isoler les logements… Les actions concrètes à mener, elles se font au niveau des États et des collectivités. C'est aussi à ce niveau-là qu’il faudra faire en sorte que l'action s’accélère. 

photo Mo Ibrahim

TV5MONDE : Vous pensez que ça pourrait prendre combien de temps ? 

A.B : En ce qui concerne la création du fonds de dommages et pertes, il est évident que cela va encore prendre plusieurs mois pour déterminer les modalités précises. Ce n’est pas forcément quelque chose qui est choquant. Et c'est même assez normal parce que ça fait des années qu’on l’attend. Par contre, c’est sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre qu’on n’a plus le temps d’attendre. Si au niveau des COP on n’arrive pas à avoir des engagements plus concrets, c’est au niveau des États qu’il faudra agir. La guerre en Ukraine a montré que la dépendance aux énergies fossiles avait des impacts économiques énormes. La facture économique de la France se compte en milliards par an. Donc il y a un enjeu très fort à ne pas attendre. Et là, clairement, on sort complètement du processus onusien.