Biodiversité : "L'abeille est au cœur de l'actualité !"

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Eric Tourneret
L'abeille se meurt partout dans le monde. Selon une étude parue en mai 2015, les apiculteurs américains ont perdu en moyenne 42,1 % de leurs colonies entre avril 2014 et avril 2015.
(photo Eric Tourneret)
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A Paris, les abeilles sont à l'honneur. A quelques mois du sommet climatique de la Cop 21, les grilles du jardin du Luxembourg  accueillent jusqu'au 19 janvier  80 clichés du photographe français Eric Tourneret. Rencontre avec un passionné, forcément piqué par son sujet.

Eric Tourneret est sans aucun doute l'un des plus grands photographes au monde au service des  abeilles. Depuis quinze ans, il parcourt le monde avec ses boitiers photo pour mettre en évidence  — et au service du plus grand nombre —  la relation de l’homme aux abeilles, de la cueillette la plus archaïque à l’apiculture industrielle et commerciale.
Dans son dernier livre, co-écrit avec Sylla de Saint-Pierre, " Les routes du miel" (éditions Hozhoni) , on peut lire que le miel est présent depuis la nuit des temps. Il est source de sagesse au sein des peuples autochtones : "Ce qui est rapporté de la forêt est tout de suite partagé. Cela garantit que nul ne puisse exercer de pouvoir sur autrui car, les besoins étant satisfaits, il n’y a pas de levier de manipulation. Il est ainsi inimaginable qu’un homme qui a trouvé du miel ne le partage pas. Lorsqu’un chasseur a repéré une colonie, un groupe se prépare à la récolte, sans autre organisation que de s’assurer que tout le monde n’y aille pas en même temps."

Abeilles Chines Eric Tourneret
"10 millions de touristes chinois visitent Luoping dans le Yunnan pendant la floraison des colzas. Pour un mois et demi, cette petite ville devient la plus grande fête apicole au monde."
(Photo Eric Tourneret)

Le travail de Eric Tourneret bénéficie aujourd'hui d'une triple actualité : il y a cette exposition  à Paris, sur les grilles du jardin du Luxembourg qui ceinturent le Sénat puis la publication d'un livre somptueux et la conférence sur le climat, la COP 21 qui aura lieu du 30 novembre au 11 décembre 2015 à Paris.

 

Eric Tourneret
Eric Tourneret
(image extraite du site web de Eric Tourneret)

Un aperçu de la situation des abeilles sur 20 pays, 80 clichés exposés, voici une partie de votre travail sur les grilles du Sénat. C'est une jolie reconnaissance !

Cela va mettre l'abeille au cœur de l'actualité au moment de la conférence sur le climat et c'est aussi une envie de partager ma  passion pour les abeilles afin de mieux les préserver.

On surnomme les abeilles les "sentinelles de la biodiversité". Aujourd'hui, comment vont-elles,  ces sentinelles ?

Il y a péril en la demeure. Sans les apiculteurs, qui ne sont plus des producteurs de miel mais des éleveurs d'abeilles aujourd'hui (ils élèvent de nouvelles colonies juste pour pallier la mortalité dans leurs ruches), il n'y aurait plus d'abeilles dans pas mal de départements en France !

Dans la préface de votre livre, il est écrit que vos photos "relèvent d'un monde en train de disparaître". Ce n'est pas exagéré ?

Je voyage depuis trente ans partout dans le monde. La prédation de l'homme et des multinationales s'accroît partout, et même dans des endroits qui étaient  jusqu'ici préservés par leur inaccessibilité , et bien ces endroits deviennent désormais accessibles aux capitaux et donc aux investissements, à l'agroalimentaire. Je pense par exemple à l'Ethiopie où des entreprises s'installent dans la vallée de Lomo (au sud-est du pays, ndlr) pour créer des plantations de 30 000 hectares.

abeilles Inde Etat du Tamil Nadu
Inde, Etat du Tamil Nadu. Biosphère des Nilgiris
(photo Eric Tourneret)



Le premier ennemi de l'abeille, quel est-il ? Le pesticide, type neonicotinoïdes ? Le frelon asiatique ?

Dans les pays occidentaux ou dans les pays qui pratiquent une agriculture intensive, cela va être principalement les pesticides (herbicides, insecticides..) qui vont tuer les abeilles directement ou en appauvrissant la richesse florale et en les faisant mourir par manque de nourriture. Et puis la croissance démographique a fait qu'il y a de plus en plus de pression sur les milieux naturels. Des forêts disparaissent et c'est vraiment préoccupant. J'étais récemment à Bornéo et je travaillais dans un parc national, donc assez préservé, mais en survolant cette grande île, on se rend compte qu'elle est dévastée. 70 % des forêts ont disparu en moins de 20 ans. Cela fait mal au cœur. Au Congo Brazzavile ou dans la forêt équatoriale, des routes sont ouvertes, des plans de développement sont en cours "pour faire" du palmier à huile" et cela est préoccupant car les lieux préservés se morcellent de plus en plus.

Abeilles Ethiopie
"Des toits de Paris au bush australien, ce photographe, amoureux des abeilles, est parti à la découverte des relations singulières que les hommes et femmes, de tous les continents, entretiennent avec le monde des abeilles" écrit Gérard Larcher, Président du Sénat.
Ici, une ruche en Ethiopie
(photo Eric Tourneret)

Comment expliquez vous, concernant les abeilles, qu'il n'y ait pas une mobilisation mondiale ?

Nous savons que cette croissance n'est pas soutenable depuis les années 70 avec le club de Rome, et rien n'a été fait. Tout le monde continue à gagner de l'argent et on a des difficultés à réinventer un modèle différent. Nous sommes à une époque où nous devons changer de système de valeur et ce n'est jamais facile.

Qu'attendez-vous de COP 21 ?

C'est la question qui fâche  ! Je n'attend pas  grand chose en soi quand on voit comment cela se passe.. Quand on voit les promesses du  président Obama au moment de son élection et ce qu'il a fait,  quand on voit que Hillary Clinton est soutenu par Monsanto, non je n'attends pas grand chose, à part de bonnes intentions . Cela fait tellement longtemps que les politiques nous servent de bonnes intentions !

Tout de même, il n'y a vraiment aucun signe encourageant ?

Si. La société civile. Elle s'organise, ici et ailleurs. Il y a beaucoup de gens de bonne volonté qui s'activent à faire que l'humanité soit toujours au cœur des préoccupations sociales, et non pas l'économie. Les changements viendront de la base et non du sommet.
 

  • L'exposition est visible du 19 septembre 2015 au 19 janvier 2016 sur les grilles du Jardin du Luxembourg, rue de Médicis, Paris 6e Accès libre - Éclairage nocturne
  • RER : Luxembourg-Sénat - MÉTRO : Odéon, Mabillon, Saint-Michel - BUS : 58, 84, 89 ( 38, 63, 70, 82, 86, 87, 96)