Fil d'Ariane
La haute mer représente 64% des océans du globe et 90% de leur volume. Dans cette zone caractérisée par un régime juridique dit de « liberté », l’activité humaine augmente d’année en année. Les règles se multiplient, sous l’impulsion d’organisations régionales nombreuses.
« La haute mer, telle qu’on la définit en droit juridique - cela ne correspond pas aux définitions scientifiques - est la colonne d’eau qui se situe au dessus du sol et au dessous de la surface de l’océan », explique Sophie Gambardella, chargée de recherche au CNRS.
La haute mer débute à partir de 370 kilomètres (200 milles) des cotes. Au-delà, elle est un territoire soumis à un principe de liberté : « La Convention des États-Unis sur le droit de la mer, de 1982, a posé pour la haute mer le principe de liberté. Il s’agit aussi bien de la liberté de pêche, que de la liberté de recherche, de vol et de survol », continue Sophie Gambardella, spécialiste de la gouvernance internationale de la biodiversité marine.
La haute mer englobe également la Zone, désignant le sol et le sous-sol des océans. Considérée comme patrimoine commun de l’humanité, la Zone est gérée par l’Autorité internationale des fonds marins qui « a compétence pour gérer l’exploration et l’exploitation des ressources minérales marines, dans le sol et le sous-sol », mais aussi pour veiller à la protection de ce même environnement.
Toutefois, les grands fonds marins, à partir et au-delà de 1000 mètres de fond, sont particulièrement libres de réglementation.
La haute mer, qui représente 64% des océans du globe, génère 50% de l'oxygène que nous respirons et absorbe 25% du gaz carbonique provenant des activités humaines. Elle représente donc un patrimoine indispensable à la vie sur terre. Sa préservation et celle des animaux qui l'habitent est critique dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Le régime juridique de liberté de la haute mer n’équivaut pas pour autant à un vide juridique. Au contraire, selon Sophie Gambardella. De nombreuses organisations régionales ont édicté des réglementations pour leur zone, notamment face à l’augmentation de l’activité en haute mer. « Cinquante organisations régionales de gestion des pêches sont à ce jour existantes. Elles posent de manière assez stricte une réglementation en haute mer, avec des quotas, des engins interdits d’usage, ce également pour la pêche en eaux profondes », détaille la chercheuse.
Il y a de plus en plus de velléités à aller exploiter la haute mer. Jusqu’à présent, elle était assez préservée notamment de la pêche, mais puisque nous trouvons de moins en moins d’espèces près des côtes, nous allons de plus en plus loin.
Sophie Gambardella, chargée de recherche au CNRS
« Il y a de plus en plus de velléités à aller exploiter la haute mer. Jusqu’à présent, elle était assez préservée notamment de la pêche, mais puisque nous trouvons de moins en moins d’espèces près des côtes, nous allons de plus en plus loin. La haute mer devient compliquée. Et l’on pose souvent la question de qu’est-ce qu’il reste de la liberté en haute mer. »
Toutefois, les États ne faisant pas partie et n’adhérant pas à des organisations régionales ne sont pas soumis aux réglementations de ces mêmes organismes.
Aussi, certaines zones de la haute mer ne sont pas soumises à des régles, à cause de conflits portants sur l’appartenance de la zone. « Nous avons des conflits de souveraineté desquels découlent des conflits d’usage », raconte la chercheuse. C’est par exemple le cas du conflit entre la Turquie et la Grèce qui ne sont pas parvenues à s’entendre sur la délimitation de leur Zone Économique Exclusive (ZEE) dans une partie de la Méditerranée orientale. Sans résolution du différent, la zone concernée est considérée comme haute mer, échappant ainsi à une réelle réglementation.
« En haute mer, les endroits non soumis à réglementation sont peu nombreux. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle est bien contrôlée et surveillée », ajoute Sophie Gambardella.
Parmi les activités qui se sont développées ces dernières années, certaines échappent particulièrement aux règles et à la vigilances des autorités. C’est le cas des entreprises installant des câbles sous-marins, permettant d’acheminer télécommunications ou énergie électrique. « Ces derniers sont peu encadrés et surtout ils le sont de manière privée », explique Sophie Gambardella. « Des conflits émergent avec les pêcheurs car la plupart des câbles ne sont pas enterrés dans le sol, les chalutiers les arrachent .»
Le premier enjeu du traité légiférant de l'usage de la haute mer en regard de son environnement est aussi le point de blocage de ces négociations. L'accord sur le "droit de la mer portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale" en est à sa cinquième session depuis 2018.
Les revenus engendrés par l’exploitation de la haute mer et le partage de ces ressources génétiques marines (matériel d'origine végétale, animale, microbienne ou autre, ne relevant pas de la juridiction nationale, dont les propriétés génétiques et biochimiques présentent une valeur effective) suscitent convoitises et creusent certaines inégalités entre pays du sud et pays du nord. Tirer profit de la haute mer nécessite une certaine puissance financière et technologique, choses que de nombreux pays du sud ne possèdent pas.
« Tout le monde ne peut pas exploiter ces ressources, donc comment les répartir de manière juste et équitable, avec une compensation économique ? » s’interroge la chercheuse au CNRS.
« Le sujet focalise l’attention en délaissant d’autres points tout aussi importants sur la protection de la biodiversité », nuance pourtant Sophie Gambardella.
Ce traité à le mérite de venir poser à l’échelle internationale tout un nombre de principes appliqués de manière régionale.Sophie Gambardella, chargée de recherche au CNRS
L’un des autres enjeux de l’accord sera également la création et l’officialisation, à travers des textes de lois communs, d’aires marines protégées en haute mer. Il sera aussi question d’harmoniser la gestion de ces zones.
« Les aires marines protégées commençaient à fleurir d’un peu partout, en Méditerranée comme en haute mer et il fallait un accord international pour poser un principe de gestion d’aire marine protégée.»
Il s’agira aussi d’offrir des outils juridiques pour atteindre l’objectif de protection de 30% de l’Océan d’ici à 2030, un objectif fixé lors de la COP15 et de transférer des technologies marines.
Le traité sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine prévoit aussi l’instauration d’études d’impact des activités humaines sur l’environnement marin.
« Des études d’impact ont été mises en place par beaucoup d’organisations, mais elles n’étaient pas uniformisées à l’échelle internationale. Ce traité à le mérite de venir poser à l’échelle internationale tout un nombre de principes appliqués de manière régionale », souligne la spécialiste de la gouvernance internationale de la biodiversité marine.
La gestion des sols et sous-sols reste une zone d’ombre dans ce traité. Les sols et sous-sols sont gérés par l’AIFM, l’Autorité internationale des fonds marins, un organisme intergouvernemental autonome. C’est lui qui valide l’exploration et l’exploitation de certaines zones, touchant en même temps une part des bénéfices de l’extraction pour les redistribuer entre les États de manière juste et équitable. « Pour l’instant, cela reste très théorique puisqu’il n’y a pas d’activités d’exploitation, uniquement de l’exploration. L’importance de la part reversée par l’AIFM n’est pas encore fixée et demeure un sujet épineux des négociations en cours », détaille Sophie Gambardella. On ne sait pas non plus si l'AIFM conserverait une partie des bénéfices versés. Le règlement d'exploitation doit être adopté avant l'été.
Pour de nombreuses ONG, protéger l’environnement marin profond et y organiser les activités minières sont deux activités jugées irréconciliables.
Aussi, le caractère autonome de l’organisme ajoute à la confusion.
« L’Autorité internationale des fonds marins a assisté à toutes les négociations du traité mais a toujours dit qu’il ne fallait pas empiéter sur son travail. Dans les textes du traité, il y'a une clause stipulant que le futur accord n’entrera pas en contradiction avec celui existant. Nous ne savons donc pas comment tout cela s’articulera », confie la chercheuse, qui reste optimiste.
« Si le traité est adopté et même s’il paraît décevant, je pense que ce sera un pas en avant. Nous sommes en crise du multilatéralisme à l’échelle internationale et arriver à voter ce type de traité est déjà en soi une sorte de succès », conclut-elle.