Rangoun vient de condamner, ce jeudi 10 juillet, cinq journalistes à dix ans de prison. Leur faute ? La publication d’un reportage sur une usine d’armes chimiques. Cette condamnation marque un recul du gouvernement birman sur la liberté de la presse. Ces trois dernières années, le pays multipliait pourtant les réformes.
La sentence est lourde. Dix ans de prison avec travaux forcés pour cinq journalistes de l’Unity Weekly News. Quatre journalistes et leur directeur exécutif de l’hebdomadaire, emprisonnés depuis le mois de février, encouraient jusqu'à 15 ans d'emprisonnement. Ils sont condamnés pour violation des secrets d’Etat après la publication d’un article accusant l'armée de faire fonctionner une usine d'armes chimiques à Pauk dans la région de Magway. En janvier 2013, la Birmanie avait nié utiliser d'armes chimiques contre les rebelles de la minorité ethnique kachin lors de combats dans le nord du pays. « Notre armée n'a jamais utilisé d'armes chimiques et nous n'avons pas l'intention d'en utiliser », avait alors déclaré à l'AFP le porte-parole du gouvernement Ye Htut.
Appel « Ce verdict est juridiquement incorrect. Nous allons faire appel », a déclaré à l'AFP Wah Win Maung, qui représente quatre des journalistes. Pour les défenseurs des droits de l’Homme, cette lourde peine de prison marque un recul de la Birmanie qui avait pourtant donné ces trois dernières années des signes d’ouverture (lire notre article). Après presque 50 ans au pouvoir, la junte menée par le généralissime Than Swhe s'était autodissoute en mars 2011, transférant ses pouvoirs à un gouvernement quasi civil dirigé par Thein Shein qui a, depuis, multiplié les réformes, permettant la levée de presque toutes les sanctions occidentales.
Liberté ? Le tournant politique amorcé par le président était sensible dans le domaine de la liberté de la presse avec, notamment, l’abolition de la censure préalable. « Certains sites d’informations comme celui de la BBC sont accessibles alors qu’ils ne l’étaient pas auparavant », racontait à TV5MONDE en mars 2012, Isabelle Dubuis, coordinatrice au sein de l’association Info Birmanie. Les quotidiens privés ont été autorisés, et des centaines de prisonniers politiques, dont des journalistes, ont été libérés comme les blogueurs du groupe Democratic Voice of Burma lors de l’amnistie du 13 janvier 2012. Depuis trois ans, la Birmanie a fait un bond au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), pour atteindre la 145e place sur 180 dans le classement 2014.
Recul Cette dernière condamnation inquiète donc fortement les groupes de défense des droits de l'Homme. « Cette décision de la cour de Magway représente un recul grave pour la liberté de la presse », déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières. « Alors que des progrès avaient été faits en la matière, cette affaire marque un retour à une période obscure du pays, quand les journalistes et les blogueurs étaient emprisonnés pour atteinte à la sécurité nationale ou tentative de renversement du régime, pour avoir simplement effectué leur travail. » De son côté, David Mathieson de Human Rights Watch, tempère cette condamnation en rappelant que révéler des secrets d'Etat est illégal dans de nombreux pays. « Le gouvernement sévit contre les médias faisant leur travail, mais je pense que cette affaire devrait être regardée de manière un peu à part », nuance-t-il auprès de l’AFP tout en soulignant que « cela n'excuse pas le fait que les peines sont scandaleusement sévères. » En avril 2014, un journaliste du site d'informations Democratic Voice of Burma (DVB) avait été condamné à un an de prison pour violation de propriété et pour avoir « dérangé un fonctionnaire » d'un service de l'éducation qu'il tentait d'interviewer. Après une réduction de sa peine en appel, Zaw Pe a récemment été libéré.