Suite de l'entretien avec Renaud Egreteau
Le procès d'Aung San Suu Kyi qui a trainé en longueur aurait-il provoqué des scissions au sein de la junte ? Contrairement à l'impression globale que l'on se fait de l'opposition entre Aung San Suu Kyi et la junte militaire, tous les leaders du régime ne sont pas foncièrement opposés à la dirigeante de la LND. Elle reste la fille du fondateur de l'Armée birmane, le général Aung San, et dispose d'une aura qui a séduit aussi les forces armées. Son parti a obtenu de très bons scores dans les circonscriptions militaires lors des élections de 1990. De même, les généraux de la junte (actuels et futures...) savent pertinemment qu'en cas de véritable processus de réconciliation nationale (si la transition est enclenchée), ils auront besoin d'elle afin d'éviter l'organisation de procès à charge et de rendre plus aisée toute stratégie d'amnistie générale. Cependant, tant que le processus de la feuille de route n'est pas achevé, elle reste une menace, et il y a de fortes chances qu'elle soit encore marginalisée. Une fois le nouveau visage civil du régime assuré, rien n'empêchera d'entrevoir sa libération afin de négocier cette nécessaire "réconciliation" entre le peuple et son armée, qui quoiqu'on en dise restera pour longtemps encore dans le paysage politique birman. Comment la junte contrôle-t-elle la population ? Le régime birman s'appuie comme le précédent (1962-1988), sur un vaste réseau d'informateurs, de policiers en civils, et sur un système administratif, politique et social totalisant : un pouvoir policier omniscient (mais pas forcément visible), une propagande bien huilée et un contrôle quotidien des mouvements (autorisations et permis de déplacement, d'accueil de visiteurs dans son foyer...). Des milices paramilitaires pro-junte sont apparues depuis quelques années, nombre d’exactions ayant été rapportées pendant les manifestations de 2007. Mais leur fonctionnement parallèle aux forces armées birmanes a considérablement gêné celles-ci, incapables de contrôler une force extérieure à sa structure hiérarchique. Les chefs de l'armée ont ainsi récemment retiré leur soutien à ce genre de milices populaires composées bien plus de repris de justice que de partisans entraînés directement par Tatmadaw (l’armée birmane). Quelle est l'attitude internationale face à la junte birmane ? Depuis 1988, la communauté internationale se montre bien plus divisée face à la Birmanie qu'auparavant. Chaque pays a développé sa propre approche de la question birmane, faisant apparaître une véritable cacophonie diplomatique. Même les pays occidentaux sont divisés dans leurs politiques à l'égard de la junte, même si l'ostracisme prévaut. L'Europe depuis 1996 et les États-Unis depuis 1997, disposent d'un arsenal légal de sanctions politiques et économiques à l'encontre de ce pays, et qui est destiné à faire plier le régime. Les effets étaient visibles il y a 10 ans, mais nous sommes dans une impasse aujourd'hui. Le montant du gel des avoirs des généraux dans les pays européens depuis 2003 n'est que 70 000 euros. Les sanctions conservent cependant un caractère symbolique important dans les grandes capitales occidentales. La Birmanie n'a pas besoin pour se développer de vastes relations commerciales ou diplomatiques avec l'Occident, mais simplement d’entretenir de meilleures rapports avec ses voisins et quelques puissances régionales (Japon, Russie), contrebalançant ainsi aisément l'isolement voulu par Bruxelles ou Washington. Total exploite le gaz en Birmanie et reverserait un million de dollars par jour à la junte. Est-ce bien le premier financeur en devises étrangères de la junte ? Total, comme de nombreuses autres compagnies étrangères, est présente en Birmanie depuis que la junte a ouvert son économie à partir de 1988, et donc avant la mise en place légale des sanctions occidentales. Mais Total n'est pas concernée, l'entreprise s'étant simplement interdit les nouveaux investissements à partir de 1997. Riche en gaz naturel offshore, la Birmanie vend ses ressources aux plus offrants, et continuera à la faire quelle que soit la nationalité des entreprises la courtisant. Retirer Total de Birmanie serait simplement une satisfaction occidentale de ne plus avoir les mains sales, mais ne fera en rien avancer le problème birman. Selon des dissidents, la Birmanie pourrait disposer de la bombe atomique dans cinq ans, avec l'aide de la Corée du nord et de la Russie. Ce pays a-t-il les moyens financiers et intellectuels de cette ambition nucléaire ? Les rumeurs se sont accélérées ces dernières semaines avec l'essor des relations diplomatiques entre la Birmanie et la Corée du Nord, pourtant rompues en 1983. De même, l'achat d'un réacteur nucléaire civil à la Russie en 2002 (toujours non livré) par la junte a suscité de nombreuses inquiétudes internationales. Certes quelques centaines de Birmans sont formés chaque année dans les universités et instituts technologiques russes, certes l'armée birmane se perçoit comme une force militaire fière d'elle-même, mais rien n'indique dans les faits et sur le terrain que la Birmanie soit capable de constituer une quelconque menace nucléaire dans les trente ans à venir. Les Birmans ne disposeront pas des moyens financiers, intellectuels ou technologiques pour se doter d'une "arme" de ce type. Face à un régime qui est honni de la communauté internationale, il est facile de l'accuser de tous les maux. La Birmanie n'est pas la Corée du Nord, ni même l'Irak de Saddam Hussein. Il ne faut pas tomber dans le même piège. Propos recueillis par Laure Constantinesco 11 août 2009