Quelques semaines après les violences dans l'Etat Rakhine, dans l'ouest de la Birmanie, l'organisation Human Rights Watch publie cette semaine un rapport sur le sort de la minorité Rohingya. Le document est accablant pour les autorités birmanes, mais aussi pour les pays voisins et la "communauté internationale" aveuglée, selon l'ONG, par les avancées démocratiques en cours en Birmanie.
Juin 2012, des Rohingyas tentent de fuir la Birmanie pour le Bangladesh - photo AFP
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Qui connait les Rohingyas ? Il s'agit pourtant, selon l'ONU, de "la minorité la plus persécutée au monde". Les propos du président birman le 12 juillet dernier devant le commissaire des Nations Unies pour les réfugiés en disent long : si Thein Sein défend le dialogue avec les minorités ethniques (et même avec leur éventuel bras armé), il dit à propos des Rohingyas qu'"il est impossible d'accepter leur présence en Birmanie, qu'ils sont entrés illégalement dans le pays et qu'ils ne font pas partie du système ethnique birman". Quant à la "dame de Rangoun", interrogée sur leur sort lors de son voyage en Europe fin juin, Aung San Suu Kyi a hésité à prendre leur défense appelant simplement à la "réconciliation nationale".
Juin 2012 : affrontements dans l'ouest du pays.
Une maison incendiée à Sittwe, épicentre des violences de juin 2012 - photo AFP
Alors que l'icône birmane est en tournée en Europe, notamment pour recevoir officiellement son prix Nobel de la Paix 1991 et promouvoir les investissements dans son pays, une région birmane s'enflamme : l'Etat occidental d'Arakan, ou Rakhine. A l'origine, une information répandue fin mai selon laquelle une femme bouddhiste arakanaise aurait été violée et assassinée par trois hommes musulmans. Quelques jours plus tard, inévitables représailles. Des villageois attaquent un bus et tuent dix musulmans qui se trouvent à bord. L'ONG Human Rights Watch l'affirme : des policiers et des soldats étaient présents au moment de l'attaque du bus. Ils n'ont pas bougé le petit doigt. La région s'embrase. Tout au long du mois de juin, dans les campagnes et à la principale ville de Rakhine, Sittwe, bouddhistes et musulmans Rohingyas s'affrontent. L'état d'urgence est décrété. Bilan officiel des autorités birmanes : 80 morts.
Les autorités montrées du doigt
Des femmes et enfants Rohingyas fuyant vers le Bangladesh - photo AFP
Les critiques de HRW à l'encontre des autorités birmanes sont sans équivoque. « Les forces de sécurité birmanes n'ont protégé ni les Arakanais ni les Rohingyas contre les attaques commises de part et d’autre, et ont ensuite déclenché une campagne de violences et de rafles massives contre les Rohingyas », déclare Brad Adams, directeur pour l'Asie chez Human Rights Watch. L'ONG fait état de pillages, d'assassinats et d'exécutions sommaires. HRW va même plus loin : « Le gouvernement affirme s'engager pleinement pour mettre un terme aux conflits et aux violences ethniques, mais les récents événements qui ont eu lieu dans l'État d'Arakan montrent que persécutions et discriminations cautionnées par le gouvernement perdurent. » Car, si sur le terrain le calme est revenu, la situation des musulmans Rohingyas, elle, s'est encore aggravée. Selon HRW, des centaines de personnes ont été arrêtées, l'accès aux zones affectées par les violences a été restreint, des travailleurs humanitaires ont subi pressions et harcèlement.
La principale ville de la région a quant à elle changé de visage. Sittwe était une ville peuplée pour moitié d'Arakanais et pour moitié de musulmans. Selon HRW, "la plupart de ces derniers ont fui ou ont été déplacés de force, ce qui soulève des inquiétudes quant au respect par le gouvernement de leur droit à réintégrer un jour leurs foyers". Pour Human Rights Watch, la "ségrégation est désormais de mise au centre de cette capitale autrefois multi-ethnique".
Aveuglement
Les stigmates de plusieurs jours de violences dans la ville de Sittwe - photo AFP
Le pouvoir birman n'est pas le seul pointé du doigt. Human Rights Watch critique sévèrement le comportement du Bangladesh qui refoule les réfugiés Rohingyas au mépris du droit international. Ceux qui ont pu rester au Bangladesh sont contraints de vivre cachés et n'ont accès ni aux soins ni à une aide alimentaire.
Plus inattendu, HRW pointe aussi l'aveuglement de la communauté internationale : " Si les atrocités qui ont eu lieu en Arakan s'étaient produites avant le début du processus de réformes entrepris par le gouvernement, la réaction internationale aurait été prompte et vigoureuse, déclare HRW, mais la communauté internationale semble aveuglée par un éclairage romantique du grand changement qui serait en train d'advenir en Birmanie, et l'on signe de nouveaux accord commerciaux et lève des sanctions alors même que les exactions continuent."
En récompense des réformes entreprises par le nouveau gouvernement depuis la dissolution de la junte en mars 2011, l'Union européenne a suspendu en avril pour un an la plupart de ses sanctions. Les Etats-Unis, de leur côté, ont autorisé en juillet les investissements américains, y compris dans le secteur controversé du gaz et du pétrole convoité par de nombreuses entreprises. Pas évident que les Rohingyas bénéficient pleinement du pactole.