En dépit des pressions internationales, la justice birmane a maintenu les poursuites contre les deux journalistes de l'agence de presse Reuters emprisonnés.
"Le tribunal a décidé de rejeter la demande de la défense de relâcher les accusés", a annoncé le juge Ye Lwin, devant un salle d'audience pleine de diplomates et journalistes.
"Après avoir entendu les témoins (à charge), le tribunal ne trouve pas leurs témoignages dépourvus de fondement", a ajouté le juge, balayant l'argumentation de la défense.
Wa Lone, qui a eu 32 ans mercredi, et Kyaw Soe Oo, 27 ans, sont accusés par la police de détention de documents relatifs aux opérations des forces de sécurité dans l'ouest du pays, en Etat Rakhine, théâtre du drame rohingya.
Mis en examen pour atteinte au
"secret d'Etat", ils sont maintenus en prison et risquent une peine de 14 ans.
Ils ont quitté le tribunal ce mercredi 11 avril pour rejoindre leur cellule, au milieu des pleurs de leurs proches, la femme de Kyaw Soe Oo tenant leur petite fille dans ses bras.
"Je demande au gouvernement : Où est la vérité ? Où est la justice ? Où sont la démocratie et la liberté ?", s'est exclamé Wa Lone avant de monter dans le fourgon de police.
"Ceux qui ont commis un massacre à Inn Din ont été condamnés à dix ans de prison. Nous n'avons fait que tenter de vérifier l'information et nous risquons 14 ans de prison", a-t-il lancé.
Soldats coupables
La veille au soir en effet, l'armée a surpris en annonçant que sept militaires avaient été condamnés à dix ans de prison pour le massacre de Rohingyas dans le village de Inn Dinn sur lequel enquêtaient les deux reporters.
Ce procès militaire tenu en catimini est sans précédent depuis le début de la crise ayant causé l'exil de 700.000 Rohingyas au Bangladesh voisin, suite à ce que l'ONU dénonce comme un nettoyage ethnique de l'armée.
L'armée a reconnu mardi que des militaires avaient commis des exécutions
"extrajudiciaires", sans pour autant concéder que cela faisait partie d'un plan plus vaste de nettoyage ethnique comme l'en accuse l'ONU.
Quelques jours après l'arrestation des deux journalistes birmans en décembre 2017, l'armée avait reconnu que des soldats et des villageois bouddhistes avaient tué de sang-froid des captifs rohingyas le 2 septembre 2017.
"Pourquoi ces journalistes sont-ils toujours en prison si leur enquête est exacte ?", a réagi leur avocat Than Zaw Aung.
Il y a des preuves fabriquées, une procédure complètement ubuesque. C'est très inquiétant.
Daniel Bastard de l'ONG RSF
Daniel Bastard, responsable Asie-Pacifique pour l'ONG Reporters sans frontières, réagissait à la décision du juge ce mercredi sur TV5MONDE :
"Il y a des preuves fabriquées, une procédure complètement ubuesque... C'est très inquiétant de voir que ces journalistes sont toujours poursuivis pour avoir fait leur travail."Lors de leur enquête, les deux journalistes ont pu se procurer des photos du massacre de dix villageois.
Les Rohingyas sont la cible d'un mouvement nationaliste bouddhiste fort en Birmanie, qui voit en eux une menace sur la prédominance bouddhiste du pays. Le gouvernement civil de la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi semble être prisonnier de cette haine anti-rohingya, largement instrumentalisée par l'armée pendant ses décennies de junte.
Sous pression internationale depuis le début des opérations militaires dans l'ouest du pays en août 2017, le gouvernement civil birman est aujourd'hui pointé du doigt pour des atteintes à la liberté de la presse.
L'ONU, les Etats-Unis et l'Union européenne ont à plusieurs reprises déjà demandé, en vain, la libération sans condition des deux reporters birmans.
L'avocate Amal Clooney, épouse de l'acteur américain George Clooney, a rejoint la défense des deux journalistes birmans. Mais elle n'était pas à l'audience ce mercredi 11 avril. Celle-ci doit reprendre le 20 avril prochain, avec la suite des auditions.