Pourquoi, après 17 ans de paix, le cessez-de-feu a été rompu en juin 2011 entre l'armée birmane et l'Armée pour l'indépendance kachin (KIA) ? Les combats ont repris il y a 18 mois parce que le gouvernement central voulait que les soldats de la KIA intègrent l'armée régulière et deviennent des garde-frontières. C'est un problème que l'on retrouve partout le long de la frontière birmane, dans ce qu’on appelle les zones ethniques. Le gouvernement a réussi à négocier avec les Karens, les Môns, les Shans du nord. Mais avec les Kachins, ça bloque. Il faut dire que l'armée kachin contrôle un large territoire, ce qui lui permet d'avoir la mainmise sur le trafic de bois et de jade avec la Chine. De son côté, l'Etat birman ne fait aucune promesse convaincante pour sortir cette région de la pauvreté. Que réclament les indépendantistes kachin ? Officiellement, la KIO, l'Organisation pour l'indépendance kachin, la branche politique de la KIA, demande l'application des accords de Panglong de 1947 qui promettaient dans toutes les zones ethniques un referendum pour faire un Etat fédéral. Aujourd'hui, elle ne réclame plus l'indépendance en tant que telle mais une plus grande autonomie et un meilleur respect du droit, notamment du droit foncier quand le gouvernement central décide, par exemple, d’inonder une vallée pour la construction d’un barrage hydraulique. Néanmoins, ses revendications ne sont pas très claires, ce qui complique les négociations. Le gouvernement birman voudrait négocier réellement. Mais les chefs de guerre kachins, eux, ont plus intérêt à faire perdurer cet état de conflit. C'est ce qui leur permet d'accéder au pouvoir, aux trafics, à l'argent. Quelle est la situation pour les populations civiles ? Les civils sont pris en étau entre l'armée birmane et la KIA. Ils n'arrêtent pas de fuir d'un endroit à l’autre. Ils essayent notamment de passer la frontière chinoise mais la Chine les repousse. Donc, la majorité reste dans la zone contrôlée par l'armée kachin mais dans cette zone ils ne bénéficient d'aucune aide humanitaire. Ni le Programme alimentaire mondial ni le Haut commissariat aux réfugiés ni les ONG ne parviennent à apporter des secours. Le gouvernement central ne les autorise pas à passer la ligne de front et il est impossible de transiter par la Chine. On parle de 80 000 déplacés, selon les sources kachins. Quel rôle joue le puissant voisin chinois dans ce conflit ? La Chine veut surtout la paix à ses frontières pour faire passer en toute sécurité son oléoduc et sa ligne de chemin de fer. Elle dit aux deux parties de négocier mais elle refuse de servir d'intermédiaire. Elle reste en retrait. Toutefois, il y a quelques jours, un tir d'obus de l'armée birmane est passé au-dessus de la tête des rebelles et a atterri en territoire chinois. Ce qui risque de poser un problème diplomatique. La Chine va certainement réagir mais on ne sait pas encore comment. Comment se positionne l'opposante charismatique Aung San Suu Kyi ? Elle reste assez silencieuse comme elle l'a été, l'été dernier, au moment des
violentes persécutions contre les Rohingyas dans l'ouest du pays. Ce qu'elle dit, en résumé, c'est que tout va se régler par l'Etat de droit. Je crois que c'est un optimisme assez irréaliste. Sur le fond, ce n'est pas faux. Mais il faudrait d'abord réussir à faire la paix pour qu'il y ait un Etat de droit. Les chefs de guerre ne semblent plus lui faire confiance. C'est certainement son point faible. Pourtant c'est son père qui avait mis au point les accords de Panglong. Elle devrait être dans cette ligne. Les minorités kachins sont assez déçues par son manque d’engagement. Qui peut alors faire avancer les négociations ? Les militants politiques issus de
la génération 1988, qui ont été libérés de prison il y a un an dans le cadre des
réformes menées par le nouveau gouvernement civil, ont essayé de négocier en rappelant qu'il existait un droit de la guerre, que l'armée régulière n'avait pas le droit de violer les femmes kachins… Ils se sont aussi posés en médiateur pour que les humanitaires puissent arriver sur place. Mais cela n’a pas été un grand succès. En réalité, les négociations sont dans l'impasse. Mais la population civile, elle, aspire à la paix. Il y a un mois et demi, des manifestations ont été organisées à Laiza pour réclamer la fin des combats et l'envoi d'ordinateurs à la place des fusils.