Le changement, c'est ce qu'attend Ko Maung Ni. Ce vendeur ambulant dans le quartier de San Chaung est impatient de se rendre aux urnes dimanche : «
. » Contrairement à beaucoup de Birmans, il avait déjà voté en 1990. A l'époque, la junte avait invalidé les résultats après avoir pris une claque électorale face au parti de l'opposante Aung San Suu Kyi. «
», assure-t-il. C'est du moins ce qu'il espère : avoir enfin un gouvernement issu d’un parlement démocratiquement élu.
En Birmanie, le principe même d'élection est nouveau. Après 53 ans de régime militaire, le peuple fait l'apprentissage du processus électoral. Pour Myat Myat Mon, c'est une première. Cette étudiante en sociologie a vérifié qu'elle était bien enregistrée au bureau de vote de son quartier car elle sait que tous n'ont pas été inscrits sur les listes électorales. « J'ai entendu parler d'irrégularités. Il paraît que certains ne peuvent pas voter mais ça n'a pas été mon cas, ni celui de ma famille, heureusement », confie-t-elle. Comme beaucoup de jeunes, elle a d'immenses attentes et ce vote est porteur d'espoir. Mais en cette fin de campagne électorale, la question de l'équité se pose.
Certains observateurs se disent inquiets du bon déroulement des législatives et dénoncent des irrégularités. C'est aussi le cas d'Aung Min. Il concourt comme candidat pour la Ligue Nationale pour la Démocratie, le parti de l'opposante birmane donné favori. Il vient de constater des erreurs dans sa circonscription de Zalun, dans le delta de l'Irrawaddy : «
Des personnes qui devaient voter par avance n'ont pas pu le faire donc je vais aller au bureau de vote pour vérifier tout cela. » Il ajoute : «
Il y a même certains candidats qui n'ont pas eu le droit de participer ». Personnes non enregistrées ou qui apparaissent deux fois sur les listes électorales, candidatures invalidées, les erreurs et fraudes ne manquent pas.
Au total, des centaines de milliers de Birmans ne pourront effectivement pas participer à ce scrutin. Plus de 800 000 détenteurs de papiers d'identité temporaires – dont une grande majorité de Rohingyas – n'ont plus le droit de vote depuis juin dernier. C'est sans compter les minorités ethniques dans le nord-est du pays. Les élections y ont été annulées dans certains villages, du fait des combats entre l'armée et les groupes rebelles.
Un candidat de la LND d'Aung San Suu Kyi agressé
Le 29 octobre dernier, Naing Ngan Lin, un candidat de la Ligue Nationale pour la Démocratie, s'est fait poignarder en pleine rue à Thaketa, un quartier à l'est de Rangoun où il est en lice pour le 8 novembre. Il a été attaqué à l'épée par un groupe d'assaillants avec cinq autres membres de la LND.
Un acte politique ? « Je ne sais pas qui étaient mes agresseurs », affirme-t-il, à peine sorti de l'hôpital. Il poursuit : « Mais beaucoup de gens ont peur de la démocratie. Après des années de régime militaire, ils redoutent le changement. Ils ont peur de l'inconnu. » Malgré les menaces qui pèsent sur lui, Naing Ngan Lin a décidé de retourner en campagne dans sa circonscription.
Le scrutin le plus surveillé de l'histoire de la Birmanie
Pourtant, la campagne qui s'achève aurait pu être pire. La Birmanie revient de loin. Depuis les législatives partielles de 2012, les progrès sont indéniables. Le champ politique s'est élargi : 91 partis sont aujourd'hui autorisés à concourir. Et la censure n'est plus. Les candidats peuvent s'exprimer librement et organiser des meetings.
Alexander Graf Lambsdorff, le chef de la mission européenne d'observation l'assure : « La Birmanie traverse une phase de transition, on est dans un processus, ce n'est évidemment pas une démocratie parfaite. » Depuis plusieurs semaines, une soixantaine d'observateurs européens déployés dans tout le pays surveillent le bon déroulement de la campagne. Auxquels s'ajoutent une trentaine dépêchés le jour des élections.
Parmi eux, Cathy Giorgetti, qui va surveiller un bureau de vote à Myitkyina dans l'Etat Kachin «
depuis l'ouverture jusqu'à la fermeture » et «
vérifier le comptage des voix ». Cette observatrice de «
courte durée » est confiante : «
Les conditions minimum sont réunies pour ce scrutin. C'est la première fois qu'il y a des élections de ce type. Nous allons bien voir comment cela se passe. » Entre les observateurs internationaux professionnels et les Birmans formés pour l'occasion, plus de 10 000 yeux vont observer et scruter la moindre anomalie.
Un test pour la transition birmane
Ces élections sont présentées comme un test pour la transition birmane. Mais le président Thein Sein a lui-même admis que l'organisation du scrutin n'était pas parfaite. U Khin Maung Cho est l'un des rares candidats musulmans à avoir pu se présenter. Selon lui, ce vote va « forcément apporter un souffle nouveau pour le pays, c'est pourquoi il est important d'y participer ». Mais il n'est que le début d'un processus encore long et incertain. « Nous vivons une période de transition démocratique et nous devons persévérer dans ce sens, il faut savoir être patient », admet-il.
Patience donc. Même une fois les résultats des urnes connus, l'avenir de la Birmanie sera loin d'être fixé. Les nouveaux députés élus ne pourront pas siéger avant fin janvier. Et il faudra attendre mars prochain pour qu'ils élisent le futur président.