Fil d'Ariane
La Birmanie a décidé d'entrouvrir jeudi aux organisations humanitaires la porte de l'Etat Rakhine, théâtre de violences depuis août qui ont fait fuir près de 500 000 musulmans Rohingyas vers le Bangladesh voisin.
Présentes dans la capitale Rangoun, les organisations humanitaires de l'ONU avaient dû quitter cet été l'Etat Rakhine, dans l'ouest du pays, alors que l'armée birmane engageait des opérations militaires contre des rebelles Rohingyas. Ces opérations ont poussé la minorité musulmane à fuir en masse vers le Bangladesh.
A ce stade, le geste des autorités birmanes reste limité à un "voyage organisé" qui devrait permettre aux responsables humanitaires d'évaluer la situation. Selon diverses sources, des villages ont été brûlés par l'armée birmane qui a aussi posé des mines le long de la frontière pour empêcher tout retour des Rohingyas.
Mercredi, les militaires, très critiqués pour leur bouclage médiatique de la campagne autour de la ville de Maungdaw, ont organisé une visite éclair de quelques heures pour la presse dans le village hindou de Ye Baw Kyaw, dans la zone de Kha Maung Seik.
Les autorités birmanes y poursuivent des recherches sur des fosses communes. Au total, 52 corps ont été retrouvés, selon le gouvernement birman. L'armée assure que ce sont des villageois hindous tués par des rebelles musulmans rohingyas fin août. Le groupe ARSA (Armée du salut des Rohingyas de l'Arakan) a "catégoriquement démenti" ces accusations. "Il n’y a pas eu de coups de feu, ils les ont tués à la machette", a précisé Rika Dhar, 25 ans, décrivant un mode opératoire souvent utilisé par les rebelles rohingyas.
En Birmanie, le fait que des villages hindous et bouddhistes aient aussi été victimes de violences est largement mis en avant par les autorités, qui dénoncent le parti pris pro-rohingyas de la communauté internationale.
La nouvelle visite prévue jeudi dans la région, organisée cette fois pour des représentants de l'ONU, surviendra le jour d'une nouvelle réunion à New York du Conseil de sécurité de l'ONU consacrée à la Birmanie, réclamée par sept pays dont la France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, l'ancienne puissance coloniale.
Le 13 septembre, le Conseil de sécurité de l'ONU avait réclamé à la Birmanie "des mesures immédiates" pour faire cesser une "violence excessive" dans l'ouest du pays contre les Rohingyas, à l'issue d'une réunion (à huis clos) sur l'exode de cette minorité et les violences exercées contre elle. Le Conseil avait aussi exhorté "le gouvernement birman à faciliter l'aide humanitaire dans l'Etat Rakhine", une demande restée sans suite jusqu'à ce jour.
Jeudi, la réunion du Conseil de sécurité doit être publique et donner lieu à une intervention du secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, qui connait bien l'Etat Rakhine pour s'y être rendu plusieurs fois sous ses précédentes fonctions de Haut commissaire aux réfugiés de l'ONU.
Il y a une semaine, alors que son pays était accusé lors de l'Assemblée générale de l'ONU d'épuration ethnique, voire de génocide, selon le terme utilisé par le président français Emmanuel Macron, la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi était sortie de sa réserve pour se dire "prête" à organiser le retour des Rohingyas.
Les Rohingyas, plus grande population apatride au monde, sont traités comme des étrangers en Birmanie, un pays à plus de 90% bouddhiste. Les quelque 480 000 musulmans rohingyas ayant gagné le Bangladesh depuis fin août s'ajoutent à quelque 300 000 Rohingyas qui y vivent déjà - dans des camps de réfugiés miséreux et insalubres -, après avoir fui la Birmanie en raison de précédentes violences.
Submergé et désemparé face à cette crise humanitaire d'ampleur vouée à durer, le Bangladesh a assoupli ses restrictions envers les ONG et autorisé trente organisations bangladaises et internationales à intervenir dans les camps pour "un maximum de deux mois".
La Première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, avait demandé jeudi dernier à la tribune des Nations unies une "mission de l'ONU en Birmanie" et la création "de zones sûres" dans ce pays.