Boeing 737 MAX : "Donald Trump a voulu répondre à une hystérie générale"

Boeing est en pleine turbulence. Après plusieurs pays d'Asie et l'Europe, et juste après le Canada, les Etats-Unis annoncent que les Boeing 737 Max, fleuron de l'avionneur américain, vont être cloués au sol. A l'origine : l'accident tragique du vol d'Ethiopian Airlines dimanche en Ethiopie et celui de Lion Air en octobre dernier. Comment expliquer ces deux catastrophes en si peu de temps ? Boeing peut-il sortir de cette crise ? Entretien avec Xavier Tytelman, consultant aéronautique chez CGI Consulting.
 
Image
boeing 2
© AP PHOTO/Ted S.Warren
Partager5 minutes de lecture
TV5MONDE : Il s'agit de la deuxième catastrophe en moins de six mois d'un Boeing 737 Max, après celui d'un avion de la compagnie indonésienne Lion Air en octobre 2018. Comment l'expliquez-vous ?

Xavier Tytelman : à la conception du 737 Max, Boeing a eu l'obligation de mettre en place un système "anti-décrochage". Le décrochage, c'est une situation dangereuse qui peut survenir au décollage : l'avion vole trop lentement pendant sa montée, il n'arrive plus à voler correctement, il décroche.

Pour éviter cette situation, l'Autorité de sûreté américaine a demandé à Boeing de mettre en place un système qui permet à l'avion de se remettre progressivement un peu plus à plat pour éviter de décrocher. Le problème : ce système ne repose que sur une seule sonde. Si la sonde tombe en panne, le système bloque.

Dans le cas de l'avion indonésien, c'est ce qui s'est produit. L'avion a cru qu'il se trouvait en danger, alors il a commencé à se mettre à plat. Mais la sonde étant bloquée, elle a continué à croire que la montée se poursuivait et elle a persisté à mettre l'avion en descente. Donc l'avion a continué de descendre contre l'ordre du pilote. Ce qu'il aurait fallu faire, c'est déconnecter ce système. C'est instantané et très facile à faire, tous les pilotes vous le diront. Le pilote indonésien, lui, n'y est pas parvenu.

En Ethiopie, on ne sait pas encore si la même chose s'est produite. Mais si c'est le cas, ça prouve que la formation complémentaire qui avait été imposée après le drame indonésien n'était pas suffisante.

Est-ce que le Boeing 737 Max est un avion plus dangereux que les autres ?

X.T : une fois qu'il aura été corrigé, il ne posera absolument aucun problème. J'aurais continué à voler sur cet appareil avec des pilotes formés et c'est le cas de l'immense majorité des pilotes dans le monde. 

Le monde entier qui interdit le survol d'un appareil, est-ce inédit ?

X.T : non, on a même eu des situations pires que celle-là. Comme avec les deux derniers modèles : le Boeing 777 et le Boeing 787 Dream Liner en 2013. Il y avait eu une interdiction totale de vol, et pas simplement de survol, suite à des risques d'inflammation de batteries. Les ingénieurs de Boeing avaient travaillé 200 000 heures pour identifier le problème, avant de proposer une solution convenable. L'interdiction a duré presque un mois. Aujourd'hui, ces deux avions sont des succès commerciaux. 

Dans le cas du 737 Max, après le crash de Lion Air en octobre dernier, il n'y avait pas eu de correction apportée. Il y avait eu une demande de formation complémentaire pour tous les pilotes pour s'assurer qu'ils soient tous capables de gérer cette situation correctement. A l'époque, on était parti du principe que le pilote était mal formé.

Les Boeing 737 Max sont bannis dans le monde entier, même aux États-Unis. Donald Trump a changé son fusil d'épaule. Pourquoi ce revirement ?

X.T : Donald Trump a voulu répondre à une hystérie générale avec une surmédiatisation, ce qui est systématique dans l'aérien. En revanche, ce qui est réel, c'est que cette situation est parfaitement gérable pour un pilote. Il suffit de déconnecter ce système qui se met en descente par erreur et à priori c'est quelque chose que tout pilote doit savoir faire. Prenons le cas de Lion Air. Dans les trois vols qui ont précédé le crash, cette panne est arrivée et les pilotes ont su la gérer. La question n'est donc pas la sécurité aérienne. C'est un choix pour rassurer la population. 
 
Les résultats de l'enquête ne sont pas encore connus. Est-ce que vous soutenez cette décision d'interdire au Boeing 737 Max de voler ?

X.T : le coût est colossal pour Boeing, mais on a privilégié la sécurité avant tout. C'est le premier facteur, avant même la question économique. Pour Boeing, ça va coûter dix à vingt millions de dollars par jour, sans compter le coût humain, qui est très important. Le choix est à mon avis le bon car une fois que tout le monde sera rassuré, l'appareil pourra reprendre les vols et plus personne n'aura de doute sur sa fiabilité.

La compagnie aérienne Norwegian Air Shuttle, qui a cloué au sol ses 18 Boeing 737 Max, va exiger des réparations financières auprès du constructeur américain. Que pensez-vous de cette démarche, c'est une première ?

X.T : ce n'est pas exceptionnel. En 2013, avec le Boeing Dream Liner, Boeing s'était engagé à rembourser l'intégralité des frais engagés par les compagnies pour assurer leur vol malgré la flotte clouée au sol. En effet, les compagnies vont devoir louer des avions à leurs concurrents, ils vont devoir peut être acheter des sièges chez leurs concurrents pour que les personnes qui ont acheté des billets puissent être menés à bon port, et donc le coût peut être estimé entre dix et vingt millions de dollars par jour. L'avion étant interdit de vol, je pense que Boeing va compenser les dégâts financièrement.

Boeing traverse l'une des crises les plus graves de son histoire. Est-ce qu'il peut s'en sortir et rebondir ?

X.T : Boeing s'en sortira, parce qu'il n'a pas le choix. Cet avion, le 737, est de la famille des appareils monocouloirs. Son homologue chez Airbus, c'est par exemple l'A320. Ca représente à peu les deux tiers des avions vendus dans le monde. Le 737 Max représente 85 % du carnet de commandes de Boeing. Jusqu'à présent cet avion apportait de grandes satisfactions. Les retours étaient très positifs. D'ici quelques semaines, Boeing aura les réponses et toute la flotte pourra reprendre ses vols en toute sécurité car c'est l'intérêt de tout le monde. Cela va coûter quelques centaines de millions de dollars à Boeing.