Manifestation de militaires à La Paz, le 22 avril 2014
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Voici dix jours qu'une partie des militaires boliviens sont en grève et manifestent : les moins gradés exigent la "décolonisation" de l'armée. Ils demandent l'abolition des discriminations à l'égard des simples soldats et sous-officiers, dont la plupart sont d'origine amérindienne. Le mouvement de protestation s'amplifie et le gouvernement d'Evo Morales se braque.
700 sous-officiers ont été congédiés par le haut-commandement militaire bolivien. Que reproche exactement le gouvernement à ces soldats grévistes et manifestants ? "Sédition, mutinerie et atteinte à la dignité des forces armées boliviennes". En réalité, ces mises à pied sont survenues à la suite des trois jours de grève débutée le 22 avril, suivis de manifestations d'un millier de soldats (voir vidéo en encadré : grève dans l'armée bolivienne). Ruben Saavedra, le ministre de la Défense, refuse de négocier avec les grévistes. Il les accuse de vouloir s'attaquer au pouvoir en place avant les élections générales, qui auront lieu à l'automne. D'origine amérindienne, le président bolivien Evo Morales a pourtant toujours proclamé vouloir "décoloniser" le pays. Aujourd'hui, il se voit sommé par une partie des militaires d'engager un processus de lutte contre les discriminations au sein de l'armée — dans le langage politique bolivien, de "décoloniser l'armée".
Des réformes pour décoloniser l'armée ?
Le ministre de la Défense bolivien, Ruben Saavedra (AFP)
Au cœur des revendications du millier de soldats et sous-officiers en grève (10% du contingent des moins gradés) : la possibilité de bénéficier de promotions au sein de l'armée. En d'autres termes, ils exigent une réforme de "décolonisation" équivalente à celles mises en place par le président Morales dans l'éducation et la justice. Celle-ci permettrait à ces militaires, bloqués dans la hiérarchie, de pouvoir accéder au statut d'officier. Que signifie le terme "décoloniser" pour Morales ? Sortir du carcan issu de la colonisation, des règles injustes qui donnaient le maximum de pouvoir aux "blancs" et rendaient "invisibles" les Amérindiens. Remettre leur culture au cœur des institutions, réformer des pans entiers de la société pour endiguer le racisme et la discrimination envers les minorités : les ex-indigènes colonisés. L'injustice criante dont souffrent ces militaires d'origine amérindienne leur est devenue insupportable. Aucune possibilité d'évolution de carrière ne leur est laissée, tandis que les hauts gradés sont uniquement "blancs" ou métis. L'école militaire des officiers n'ouvre ses portes qu'à ceux qui bénéficient de relations, et celles-ci sont le privilège de descendants des colons espagnols. Soit on est sous-officier et amérindien, et on le reste, soit on est blanc ou métis, et on fait jouer ses relations pour entrer à l'école militaire et en sortir officier. C'est cette discrimination raciale et sociale, issue des traditions coloniales, que veulent abolir les militaires grévistes.
Une issue incertaine
Evo Morales, le chef de l'Etat bolivien (AFP)
Pour l'heure, le président Evo Morales, lui-même d'origine amérindienne ne semble pas enclin à aller dans le sens des militaires en grève. Et pourtant, il déclarait lors de sa réélection en 2009 vouloir achever ses réformes pour créer un Etat "socialiste, plurinational et postcolonial". Or l'armée est stratégique, et certainement plus sensible à réformer que les institutions judiciaires ou scolaires. Le correspondant de RFI à La Paz, Reza Nourmamode, joint par téléphone, estime que "la situation n'est pas trop tendue pour l'instant, les manifestations sont pacifiques et la police n'intervient pas." Mais selon le journaliste, "Evo Morales est inflexible et n'a pas l'air de vouloir répondre aux attentes des militaires grévistes. Il y a une nouvelle manifestation de prévue aujourd'hui vendredi 2 mai, et personne ne sait ce qu'il peut se passer. Les militaires demandent la réintégration des grévistes congédiés, mais le pouvoir n'accepte pas le principe d'une grève de la part de l'armée." L'issue de ce mouvement est donc incertaine avec, pour Evo Morales, une difficulté supplémentaire : les soutiens de plus en plus importants d'associations de sous-officiers et de femmes de militaires auprès des grévistes. Un début de dialogue semble avoir commencé entre les protestataires et le haut-commandement militaire. Quant à la rencontre avec le président bolivien demandée par les porte-paroles des manifestants, il n'en est pas encore question. La décolonisation de la Bolivie se heurterait-elle à la contestation des militaires ? Y-aurait-il une limite à l'indigénisme quand il touche à la défense nationale ? Le président Morales semble l'indiquer, au grand dam de ses plus fervents partisans : les défenseurs de la cause amérindienne.