Montré à quelques spectateurs triés sur le volet le 20 avril 1913, le premier film en hindi sortit le 3 mai 1913 des studios indiens qu'on n'appelait pas encore Bollywood. Mais le succès fut tel qu'il lança l'un des cinémas les plus créatifs et prolifiques de la planète.
Raja Harishchandra, dévoilé au public le 3 mai 1913, était un drame qui racontait l'histoire d'un roi sacrifiant son royaume puis sa famille pour palier aux dieux. Heureusement, les créatures célestes satisfaites lui rendront gloire, amour et beauté, tous les ingrédients qui feront la recette miracle de Bollywood. De cinéma muet, il s'enrichit dans les années 70 de chants, danses et musiques mêlant romantisme, action et mélodrame. Un cocktail appelé "masala " qui fait appel aux arts traditionnels indiens et aux stéréotypes de la famille. Dans les années 2000, Bollywood explose et devient une véritable industrie du cinéma qui conquiert les foules avec 3 milliards de tickets vendus en Inde (voir notre encadré). Aujourd'hui, un cinéma novateur voit le jour et se veut le reflet d'une société indienne en mutation. Entretien avec Monique Dagnaud, sociologue du CNRS spécialiste des industries culturelles et co-auteur avec Kristian Feigelson de "Bollywood, industrie des images" paru en 2013.
Monique Dagnaud, sociologue du CNRS et spécialiste des industries culturelles
Comment est né le cinéma de Bollywood ? Bollywood ne représente que le quart de la production indienne mais c’est le studio central. Ce sont les films bollywoodiens, produits en langue hindi qui circulent à travers toute l’Inde grâce au véhicule de la langue. Ils sont aussi, pour une part, exportés et bien vus par la diaspora indienne en Californie, en Angleterre et dans les pays du Moyen-Orient. Ce sont des films « Masala » qui mettent en jeu différents aspects artistiques (danse, chants, ndlr). Cela existe quasiment depuis le départ. Les Indiens ont su cultiver un style particulier dans la mesure où leur cinéma s’est développé entre les années 20 et 30 alors que le pays était encore sous le joug colonial. Les Anglais ont poussé les Indiens à déployer leur identité au travers d’une activité cinématographique pour ne pas être sous le joug du cinéma américain très influent à l’époque en Inde. Ils ont créé leur propre style en s’appuyant sur la société civile, des financement d’industriels, de banques, ... Il y a très peu de financements étatiques contrairement à ce qui se passe dans certains pays européens et en particulier en France (avec le Centre National de la Cinématographie, ndlr).
Affiche de film bollywoodien traditionnel /photo AFP
A partir de quand a-t-il commencé à se développer ? Ce cinéma a été relancé au moment de l’indépendance en 1947 avec une projection politique. Nehru (ancien Premier ministre de l’Inde, ndlr) a estimé que c’était un vecteur pour homogénéiser un pays séparé en une multitude d’États avec des langues et des cultures très différentes. Il avait une vision nationale d’un cinéma au pouvoir fédérateur. Il y a eu tout un débat au début des années 50. La question s’est posée quant au développement d’un cinéma financé par l’État et très émancipateur de l’individu qui puisse conduire la société indienne vers la modernité. Finalement, le cinéma s’est développé grâce au soutien d’investisseurs privés. Et au lieu d’un Bollywood proche d’un travail d’auteur sur les tourments de l’individu, c’est un cinéma spectaculaire s’appuyant sur les activités artistiques très populaires en Inde qui s’est développé. Il met au centre des scénarios la question de la famille indienne, donc la dimension extrêmement traditionnelle de l’Inde avec les conflits entre les belles-mères et les belles-filles, les amours contrariées, les mariages arrangés. C’est un cinéma qui a homogénéisé la société indienne et qui en même temps plaît beaucoup aux diasporas indiennes. Les Indiens à l’étranger ont en fait une vision très nostalgique et très fantasmée de leur pays qu’ils retrouvent dans les films.
Extrait du film “Devdas“ / photo AFP
Bollywood serait-il plutôt un miroir déformant de la réalité indienne ? C’est une vision enchantée, fantasmée de la réalité indienne mais appuyée sur la question de la famille qui est un élément extrêmement structurant de la société. Les mariages continuent d’être arrangés, même dans des milieux émancipés. Pourtant un nouveau cinéma, plébiscité dans les festivals internationaux, semble émerger … Les studios indiens ont noué des liens avec les milieux artistiques du monde entier. Un certain nombre d’auteurs sont issus de la diaspora. Ils ont constitué un milieu qui est articulé avec le cinéma monde. Ils ont donc ainsi développé des films d’auteurs qui touchent à des questions liées à la modernité : la jeunesse en quête d’émancipation (Wake up Sid de Ayan Mukerji), l’homosexualité qui est encore beaucoup tabou (Just another love story de Rituparno Ghosh), l’exploitation des domestiques, la pauvreté, … On tourne autour de la question de l’émancipation de l’individu, des problèmes qu’il peut rencontrer pour vivre en tant qu’individu et non pas comme membre d’une famille. Donc aujourd’hui, on a une fraction du cinéma bollywoodien de très bonne qualité qui sort totalement de l’épure classique que l’on connaît.
Photo extraite du spectacle Barhati / Photo DR
Pourquoi Bollywood bénéficie d’une telle influence culturelle au niveau international hors des cercles de la diaspora ? Des spectacles comme Bharati, inspiré de films de Bollywood, ont fait le tour du monde. D’un côté, ce cinéma ne circule pas beaucoup dans le monde mais en même temps tout le monde sait ce qu’est un film indien. Ils ont un style, une certaine façon de traiter de la réalité. Les Indiens ne voient pratiquement que leurs films. Il est très difficile de pénétrer le marché local. Ils ont exporté une marque à travers ce cinéma. Bollywood c’est un terme que vous utilisez même pour des rencontres, des foires, des festivals qui ne mettent pas en scène le cinéma. Ils ont développé une identité très forte. C’est vraiment du "soft power". Avant même que l’Inde ne soit devenue un État émergent, ils avaient déjà un cinéma qui était identifié parce que très particulier. C’est très spécifique à l’Inde, car la plupart des pays qui développent leur cinéma, étaient déjà des pays développés, comme la Chine par exemple. Pourquoi le style chanté, dansé, indien, si exubérant est-il autant apprécié ? C’est un spectacle total. Cela s’inspire du théâtre farsi, de la prédominance de l’image dans la culture hindoue. Il y avait déjà des prédispositions culturelles avec la danse. Krishna, l’un des dieux les plus importants de la cosmogonie hindouiste, danse. En Inde, il y a une navigation entre un monde fantasmé à base d’images, de danse, de chants et la réalité. Cela fait partie de la religion, des coutumes, de l’art de vivre très ancré dans la culture indienne.
Les stars de Bollywood
Les stars de Bollywood
A lire
Monique Dagnaud et Kristian Feigelson sont co-auteurs d'un ouvrage (ci-dessous) publié en 2013 sur l'industrie des images que représentent Bollywood.