La Russie célèbre le 2 septembre 2012 avec un faste rarement atteint le bicentenaire de la bataille de Borodino, rebaptisée en France sous le nom de Moskova, après le retour des rescapés de l'expédition napoléonienne désastreuse vers le Nord de l'Europe. Considérée comme l'une des fondations les plus solides du nationalisme russe, la confrontation de Borodino, le 7 septembre 1812, fut pourtant une défaite pour les troupes russes qui durent reculer vers Moscou. Mais la “victoire“ française fut arrachée au prix de pertes humaines considérables dont l'armée de l'Empereur ne se releva pas.
Pain préféré des Russes, le Borodinsky – autrement dit, le pain de Borodino – est un mélange de douceur et d’amertume : compact, saupoudré de graines de cumin, noir mais pas trop, moelleux et dur à la fois, il laisse une légère acidité sur le palais après dégustation. Selon une version sans doute apocryphe, cette miche, la plus populaire en Russie, tirerait son nom de la fameuse bataille de Borodino du 7 septembre 1812 – un général russe en aurait imaginé la recette afin de stimuler les régiments du stratège Koutouzov… Un paradoxe de l'histoire Borodino, ces consommes résonnent pour l’éternité historique russe, malgré le repli militaire, comme une victoire tactique des troupes du Tsar, après laquelle les armées napoléoniennes continuèrent certes d’avancer quelques jours vers Moscou, mais décomposées et réduites, avant de reculer. En octobre 1812, les fantassins français rescapés se replièrent sans gloire, en sauvant de justesse leur peau au cours d’une dernière bataille, celle de la Berezina, victoire militaire technique napoléonienne et pourtant synonyme pour les siècles à venir de défaite absolue…
Les mésaventures napoléoniennes de 1812 en Russie sonnent le début de la fin du rêve planétaire du petit Corse devenu empereur, le glas de la « grandeur » française et l’avènement du nationalisme russe, qui culminera avec Stalingrad et la Seconde guerre mondiale. Borodino, c’est l’autre grande guerre patriotique, sujet lyrique de littérature de Pouchkine à Tolstoï, ou de cinéma et de chansons. On ne compte plus les rues, hôtels, complexes, places « Borodino » à travers la grande Russie. Témoignant d’une discrétion un peu honteuse, les avenues de la « Moskova », nom retenu par les Français pour saluer cette même victoire-défaite selon eux, sont beaucoup moins nombreuses – on en trouve une au fin fond de la partie modeste du XVIIIème arrondissement au Nord de Paris. De Borodino à la Berezina La bataille de Borodino, à l’Ouest de Moscou, le 7 septembre 1812, est la plus sanglante de la campagne de Russie. Napoléon, emporté par sa boulimie de conquêtes qui devaient le mener jusqu’en Inde, s’était persuadé de la faiblesse de la résistance russe. Mais le général Koutouzov, fin stratège, déjoua ses plans, et malgré les pertes considérables – plusieurs dizaines de milliers de morts des deux côtés -, la Russie restait en mesure de continuer à se battre, tandis que les Français étaient exsangues… Quelques semaines plus tard, l’arrivée précoce de l’hiver russe acheva l’expédition de l’Empereur. Comme un avant gout de Stalingrad avec plus d’un siècle d’avance…
Récit de la campagne de Russie en vidéo
05.07.2012Jakob Schlüpmann
Le comité pour les célébrations russes du renvoi de Napoléon dans ses frontières hexagonales et exiguës, s’est constitué dès 2009, bien avant la réélection de Vladimir Poutine à la présidence de la Fédération. Mais nul doute que le faste et le grandiose mis en œuvre ne sont pas pour déplaire à ce dirigeant qui remit, après la "mort" de l'Union soviétique, la Russie au cœur du jeu diplomatique. Dans un monde moins bipolaire qu’au temps de la guerre froide, secoué par l’émergence de nouvelles puissances et un renouveau nationaliste généralisé, toute manifestation de gloire patriotique fait sens… Et Andreï Koleskinov,
dans un brillant éditorial pour l'hebdomadaire d'opposition Novaïa Gazeta, trouve certaines ressemblances entre le bonapartisme et le poutinisme... La folie des grandeurs Lorsque qu’il présente le 23 août 2012 les réjouissances finales prévues par la région de Moscou,
Nikolaï Gubenko, le président de la Douma (assemblée législative) s’exalte, jusqu’à citer Pouchkine, sans lequel nulle célébration nationale ne peut se réaliser : « n’oublions pas que la bataille de Borodino suscita le sens de la nation russe et qu’elle est identifiée pour avoir apporté ‘ l’honneur, la liberté et la paix à l’Europe’ ! ». 3000 figurants, dont 300 cavaliers et 400 artilleurs doivent redonner vie sur place à ce qui pourtant fut un enfer de feu et de sang, lors d’un spectacle de plusieurs heures, où sont attendus 300 000 spectateurs. Les chiffres annoncés donnent le vertige : pour préparer chaque « acteur » fantassin ou cavalier, l’Etat a déboursé 550 000 roubles, c’est à dire au total près de 9 millions d’euros, rien que pour une partie du « personnel »… Une façon ostentatoire de nous rappeler que la Russie, avec sa croissance de près de 4% et son gaz à profusion, est peu touchée par la crise. Mais c’est loin d’être tout : le gratin européen invité à Moscou,
un nouveau musée ad hoc installé (à quelques mètres de la place Rouge, là où se trouvait celui de la Révolution...), une traversée de l’Europe jusqu’à Paris par des cosaques à cheval, des célébrations en France aussi, avec les descendants des belligérants.
L’agence de presse « publique »
Ria Novosti suit pas à pas les répétitions, les cavaleries et autres défilés, mobilise toutes ses forces pour porter la (bonne) parole au monde entier. Napoléon interviewé en direct Les correspondants de presse sont sollicités pour cet événement planétaire. Youri Kovalenko, en poste à Paris pour le quotidien les
Izvestia et le magazine
Kultura a ainsi longuement interviewé Napoléon ! Certes pas le grand Napoléon, mais un petit Napoléon, Charles Napoléon, descendant de Jérôme, le petit frère du conquérant, embarqué malgré lui dans la campagne de Russie. Cet arrière arrière arrière arrière petit neveu du fondateur de la France moderne est, à 62 ans, un républicain affiché et militant du Parti socialiste… Il constate avec lucidité : « Napoléon symbolise l’apogée de la puissance de la France dans le monde, qu’elle n’a jamais retrouvée après cette décennie et demi de règne. Après cela, avec la restauration, la France est retombée en léthargie. Puis ont déferlé les terribles guerres de 1870, 1914 et 1940. Aujourd’hui la France joue un rôle important dans le monde, mais elle ne fait plus partie des deux, trois nations qui comptent le plus. »
En 1998, le peintre Anatoly Slepychev, citoyen de France et de Russie, achevait une fresque plutôt ironique pour l’un des emblèmes de la grandeur française. Intitulée "Napoléon en Russie", on y voyait l’empereur quasiment de dos sur son cheval, la silhouette floue, prêt à se perdre dans l’immensité des steppes glacées, abandonnant derrière lui des fleuves de sang. Sans doute une représentation subtile et juste de l’un des plus grands charniers de l’histoire européenne…
La campagne de Russie en 5 dates
24 juin 1812 : Avec l'accord de ses deux grands et récents alliés, l'Autriche et la Prusse, Napoléon attaque la Russie, liée à la Turquie et à la Suède. Le 24 juin, la Grande Armée, forte de 440 000 hommes, franchit le Niémen aux portes de la Russie, et marche sur Moscou. 7 septembre 1812 : à l'approche de Moscou, bataille de Borodino (nom russe), ou de la Moskova (nom français). Autour de 100 000 morts de chaque côté. Les Russes reculent. 14 septembre 1812 : les armées napoléoniennes entrent dans Moscou, ravagée par les flammes. Les forces russes, qui ont abandonné la ville, se reconstituent. Octobre 1812 : début du retrait des troupes françaises, affamées sous la poussée d'un froid polaire. Entre le 25 et le 29 novembre, elles devront à nouveau lutter contre le harcèlement du général Koutouzov, venu les poursuivre jusqu'au passage de la Berezina, fleuve de Biélorussie. 30 décembre : les débris de la grande armée franchissent le Niémen vers la Pologne. Napoléon a perdu 350 000 hommes - 200 000 tués et 150 000 prisonniers. Dernier coup : la Prusse trahit la France et s'allie à la Russie.
En savoir plus sur la campagne de Russie
La palette russe à Paris
Le dernier livre de Youri Kovalenko (septembre 2012), consacré aux peintres russes passés par la France