Fil d'Ariane
Dans une rue pittoresque de Kiev, la plaque commémorative en l'honneur de l'écrivain soviétique Mikhaïl Boulgakov, l'auteur du "Maître et Marguerite", a été aspergée de peinture rouge, signe de la guerre culturelle qui couve en Ukraine.
La plaque commémorative de l'écrivain russe Boulgakov sur sa maison natale à Kiev recouverte de peinture rouge.
La maison où a grandi cet auteur célèbre, chaussée Saint-André n°13 à Kiev, est devenue un musée dans les années 1990. Une plaque en bronze représentant l'auteur mort en 1940 à Moscou se trouve sur la façade de ce joli bâtiment du 19e siècle. Le problème pour certains : Boulgakov est né à Kiev dans une famille russe.
La maison de Boulgakov à Kiev, devenue un musée en 1990.
La directrice du musée, Lioudmyla Goubianouri, n'a elle aucune intention de nettoyer la peinture rouge qui recouvre la plaque commémorative.
"Le fait qu'ils aient jeté de la peinture dessus, c'est aussi le signe que nous, en tant que musée, n'avons pas fait assez de travail" explicatif, dit-t-elle à l'AFP.
Elle a dessiné un panneau qui sera accroché sous la plaque dégradée, lisant : "L'histoire doit être étudiée, et non pas rejetée".
"Tout cela est bien sûr lié à la guerre avec la Russie. La raison pour laquelle cela s'est produit est absolument évidente et claire", souligne-t-elle.
Selon la directrice, les souffrances engendrées par l'invasion russe en février 2022 ont radicalisé les Ukrainiens, qui ne voient plus qu'en "noir ou blanc".
"C'est une période très difficile pour le pays", relève-t-elle.
Le musée avait pourtant récemment modifié l'inscription sur la plaque en l'honneur de Mikhaïl Boulgakov. À l'origine, elle était écrite en langue russe et le qualifiait d'"écrivain russe et soviétique". La nouvelle inscription apposée le mois dernier le qualifiait simplement d'"éminent habitant de Kiev, médecin et écrivain".
Sur son site, le musée a publié un long communiqué où il explique longuement ses motifs et son attachement à l'Ukraine :
"La mise à jour de l'inscription en ukrainien n'est en aucun cas un acte de mépris envers l'Ukraine et nos concitoyens. Tout au long de l'histoire de l'indépendance de l'Ukraine, le Musée Boulgakov a participé activement à tous les événements liés à la défense de l'identité ukrainienne et aux droits du peuple ukrainien à la liberté et à l'autodétermination. En 2014, tous les employés du musée ont participé à la Révolution de la Dignité. Le musée Boulgakov a été le premier à placer un panneau à l'entrée du musée interdisant aux personnes qui soutiennent l'occupation de l'Ukraine d'entrer dans le musée. Depuis 2014, le personnel du musée s'est engagé dans des activités bénévoles visant à soutenir l'armée ukrainienne."
La direction a dû également se défendre d'accusations de recevoir des fonds de la Russie : "Le musée Boulgakov n'a JAMAIS reçu de financement du pays agresseur, ainsi que des projets communs avec des personnalités russes. Par conséquent, toute accusation contre le personnel du musée avec une rhétorique similaire est une calomnie très facile à vérifier et à dissiper."
Mikhaïl Boulgakov (1891-1940) écrivait ses romans, pièces de théâtre et articles de journaux en russe et a passé les deux dernières décennies de sa vie à Moscou, où il est mort en 1940, à l'époque soviétique. Fasciné par Kiev, l'écrivain était en revanche méprisant envers le nationalisme ukrainien, la culture et la langue ukrainiennes.
Il n'est pas pour autant la seule cible de la politique de "dérussification" menée tambour battant par les autorités ukrainiennes, qui on démantelé de nombreux monuments et débaptisé rues, mémoriaux et inscriptions.
Un adolescent de 16 ans, Mykhaïlo Soboliev, a assuré à l'AFP être celui qui a aspergé de peinture la plaque de Mikhaïl Boulgakov, selon lui un "acte de protestation publique" dans le but de "dérussifier et décoloniser Kiev".
Mykhaïlo comme ses parents ont consenti à ce que son nom soit publié par l'AFP.
L'adolescent a participé à plusieurs actions de protestations contre des monuments datant de l'époque soviétique dans la capitale ukrainienne, dont la statue du poète russe Alexandre Pouchkine, qui a été recouverte de graffitis appelant à sa démolition.
Une statue de Pouchkine est enlevée par la municipalité à Dnipro, le 16 décembre 2022.
Mykhaïlo Soboliev reproche au musée Boulgakov d'avoir procédé à une sorte de "manipulation" pour contourner les règles de la "dérussification" en supprimant de la plaque l'inscription qui indiquait que l'écrivain était russe.
"Boulgakov était opposé à la création d'un État ukrainien. Il était contre la langue ukrainienne. Il ridiculisait les personnes qui changeaient leur nom de famille à la manière ukrainienne", assure-t-il. "Je ne comprends pas pourquoi le musée Boulgakov se trouve à Kiev", a encore dit l'adolescent.
L'Union nationale des écrivains d'Ukraine a également demandé la fermeture du musée, qualifiant le célèbre écrivain de personne qui "haïssait l'Ukraine souveraine".