Un collectif regroupant une vingtaine d’associations sous le mot d’ordre « Sans droit, la Copa n’aura pas lieu » annonce une troisième manifestation pour le mois de mars. Avec pour ambition de transformer la future Coupe du monde de football en Coupe des manifestations.
Mobilisation des forces de police au Brésil / Photo AFP
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Après avoir rassemblé un millier de manifestants samedi 22 février dans le centre de Sao Paulo, le collectif « Sans droits, la Copa [Coupe du monde de football 2014, nldr] n’aura pas lieu » a annoncé une troisième manifestation pour le 13 mars prochain. « On nous a vendu l’histoire d’un pays qui allait rejoindre le monde des pays développés en quelques années, on se retrouve avec des investissements colossaux, dans des stades surfacturés, alors que les écoles et les hôpitaux manquent de tout », nous explique Mauricio Costa de Carvalho, du mouvement Juntos !, quelques heures avant de défiler sous une banderole « Sans éducation, la Copa n’aura pas lieu. » Un but contre son camp Un sondage publié la semaine dernière, montre que la colère qui s’était d’abord cristallisée sur le prix des transports publics, reste toujours aussi vive neuf mois plus tard. Si c’était à refaire, une majorité de brésiliens (50,7%) refuseraient d’assumer l’organisation de la Copa. 75% d’entre eux jugent « inutiles » les grands travaux réalisés pour accueillir la Coupe du monde, tandis que 85% espèrent que des manifestations auront lieu pendant la compétition. Ils sont mêmes 15% à vouloir descendre dans la rue. Au pays du football, cela s’appelle un but contre son camp, sans que l’on sache encore, qui de la Fifa ou du Parti des Travailleurs au pouvoir, subira la plus forte bronca autour des stades.
Des jeunes répondant à l'appel des réseaux sociaux entourés par les policiers / Photo groupe Ativistas
Organisations politisées Depuis le mouvement de juin dernier, le mot d’ordre « La Copa n’aura pas lieu » se retrouve, parmi beaucoup d’autres, sur les réseaux sociaux. C’est lors de la journée des Droits de l’Homme, le 10 décembre dernier, selon l’agence Apublica, que de nombreux mouvements sociaux reprennent le hashtag (# ndlr), pour le lier à la question des services publics et des droits : « Sans droit, la Coupe du Monde n’aura pas lieu » accompagne d’un mot explicite : « Juin 2013 n’était qu’un début ». En plus du Mouvement Passe Livre, qui avait allumé la mèche l’an dernier, s’agrègent progressivement une vingtaine d’organisations politisées : des collectifs d’étudiants aux travailleurs sociaux, ou des défenseurs de la santé publique aux militants des sans toits. Le 25 janvier dernier, une première manifestation contre l’incurie de la santé publique, rassemble 1 500 à 2000 personnes dans le centre de Sao Paulo. Il n’en fallait pas plus au gouvernement de Dilma Roussef pour annoncer le lancement d’un plan de communication justifiant les 9 milliards d’euros de dépenses liées à la Coupe du Monde. Un montant supérieur au budget annuel de la Bolsa Familia, l’aide sociale emblématique destiné aux familles les plus pauvres.
Affiche des manifestants / Photo groupe Ativistas
Tensions sociales Sur un terrain social explosif, alors que la plus grande ville d’Amérique latine avait sonné le début de la révolte dans tout le pays l’an dernier, les rassemblements de « Sans droit, la Coupe du Monde n’aura pas lieu » sont d’autant plus surveillés qu’ils essaiment dans d’autres villes brésiliennes. Plus que le nombre de manifestants - c’est la ressemblance avec la méthode utilisée du Mouvement Passe Livre (MPL) qui revendiquait d’utiliser « la ville comme une arme » qui fait l’objet de toutes les attentions. Forts de quelques dizaines de militants à Sao Paulo, ces partisans de la gratuité des transports en communs avaient fait descendre plus d’un million de Brésiliens dans les rues, quelques jours avant la Coupe des Confédérations en juin dernier. Comme le MPL, ce groupe convoque ses « actes » sur Facebook, sans demander d’autorisation à la préfecture, ni informer la police du trajet prévu. « Nous estimons que le droit de nous rassembler est constitutionnel, notre radicalité c’est l’occupation des rues » justifie Mauricio Costa de Carvalho, tout en précisant que ces « actions sont toujours non-violentes », se démarquant ainsi des groupes blacks blocks qui mènent des opérations de casse en marge des manifestations paulistaines.
Les forces de polices sont déployées face aux manifestants / Photo groupe Ativistas
Brutalités policières Là où le MPL concentrait sa mobilisation sur la question des transports, le mouvement actuel ambitionne d’élargir la mobilisation, son argumentaire s’articule « autour de 6 axes, en référence au nombre d’étoiles qui célèbrent les victoires en Coupe du Monde sur le maillot brésilien : pour la santé, l’éducation, les transports et l’habitat, contre la répression et la Fifa ». Ainsi, le dernier rassemblement sous la banderole « Il n’y aura Pas de Coupe du Monde sans éducation » revendiquait d’affecter 10% du PIB brésilien à l’éducation, contre 5% actuellement selon les dernières données de la Banque Mondiale. Un sous-investissement chronique qui plonge l’école brésilienne dans les tréfonds de la dernière enquête PISA, où elle se classe en 58ème position sur 65 pays. « D’autres manifestations suivront sur les questions d’habitat ou de liberté par exemple, mais nous les espaçons pour monter en puissance d’ici le mois de juin prochain », promet Mauricio Costa de Carvalho. Toujours est-il que ces manifestations se dérouleront sous haute surveillance policière. Samedi dernier, alors que la pluie avait un peu clairsemé les effectifs, on comptait presque autant de policiers que de manifestants. Avant même la manifestation, la Police Militaire, annonçait avoir entraîné une centaine d’hommes aux arts martiaux dans le but de neutraliser les groupes de casseurs. Bilan : 272 arrestations sur 1000 manifestants, et de nombreuses brutalités policières dénoncées à l’encontre de manifestants et de journalistes, alors même que le défilé se déroulait dans le calme avant les interventions.
Un manifestant au Brésil / Photo AFP
Slogan ou prémonition « Il y a une continuité avec les manifestations de juin. On nous a parlé depuis des années d’un cycle économique positif lié à la Copa et de l’émergence d’une nouvelle classe moyenne brésilienne, il s’agissait d’idées trompeuses », analyse Paulo Bufalo, représentant du PSOL, un parti de gauche radicale qui ne participera pas directement aux cortèges, mais dont les militants sont très présents dans les mouvements anti-Copa. « Bien des familles qui touchent des revenus proches du salaire minimum sont comptabilisées comme appartenant à la classe moyenne. En réalité, l’accès à la consommation s’est fait sur la base du crédit, mais rien n’a été fait sur le plan de l’accès à l’éducation ou la santé. » Avec « un système fiscal particulièrement injuste, où les pauvres paient proportionnellement plus d’impôts que les riches, cela crée toutes les conditions pour une colère sociale au vue des dépenses réalisées pour la Copa », estime Paulo Bufalo. Héritier de longues années de laisser faire, le système fiscal brésilien est l’un des moins redistributifs du monde : il ne réduit les inégalités de revenus que de 3,6%, contre 32,6% en moyenne dans l’Union Européenne.
Manifestations à Sao Paolo / Photo Daniel Cara
Récession économique En janvier dernier, le phénomène des rolezinhos, ces virées de jeunes des favelas devant les centres-commerciaux où ils n’ont pas le droit d’entrer, a mis en lumière une autre source potentielle d’explosion sociale. « Ce sont les ni-ni, de jeunes brésiliens âgés de 18 ans à 29 ans, qui sont tout simplement livrés à eux-mêmes ou sont rejetés dans l’économie informelle. Dans les statistiques en tout cas, ils sont 6 à 8 millions de jeunes à n’être ni au travail ni dans le système éducatif », rappelle Paulo Bufalo. Alors que le Brésil livre ses premiers signes de récession économique, et alors que le gouvernement semble faire le dos rond face aux contestations, on se demande si la formule « Sans droit, la coupe du monde n’aura pas lieu » relève seulement du slogan. « La Coupe du monde aura probablement lieu, mais la vraie question est de savoir si elle se fera sur les décombres de notre éducation, de notre santé et de nos services publics ? » s’interroge à son tour Paulo Bufalo.