Brésil : combien de morts pour la Coupe du Monde ?
Au Brésil, cinq ouvriers sont morts en moins d’un mois à Sao Paulo et Manaus. A moins de six mois du match d’ouverture, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer la détérioration des conditions de travail sur les chantiers.
Le stade Maracana de Rio de Janeiro, construit en 1950, a été rénové.
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Selon le ministère du travail brésilien, le nombre d’accident du travail en 2012 a augmenté de 12% par rapport aux deux années précédentes. Avec cinq morts sur les stades en chantier, les chantiers brésiliens ont déjà fait deux fois et demi plus de morts que ceux de la précédente Coupe du Monde en Afrique du Sud. Deux ouvriers ont également trouvé la mort sur leur lieu de travail, frappés par des arrêts cardiaques que les syndicats imputent à des surcharges de travail. Fermeture provisoire du chantier de Manaus Dans la nuit du 14 décembre, la chute mortelle de 35 mètres de Marcleudo de Melo Ferreira, jeune ouvrier de 22 ans sur le stade en construction de Manaus, a contraint la justice à fermer le chantier pendant quatre jours. Les conclusions rendues par le procureur pour justifier cette interruption étaient sans concession. Après avoir rappelé que Raimundo Costa, ouvrier âgé de 49 ans, était mort dans des conditions similaires en mars dernier sur le stade de Manaus, ils révèlent que « les contrôles de l’inspection du travail ont constaté le nombre incroyable (sic) de 114 infractions » en 2012 et 2013. Depuis le début du chantier, on dénombre pas moins de 150 accidents du travail sur le stade de la capitale de l’Etat d’Amazonie selon le syndicat Sintracomec-AM. « Comme les travaux sont en retard, les ouvriers travaillent sous pression (...). Certains travailleurs commencent leurs journées à 7 heures du matin pour finir à 1 heure du matin, c’est absurde, c’est un crime » s’insurgeait Cicero Custodio, le représentant de ce syndicat dans la presse brésilienne au lendemain du drame. Au final, le chantier a repris depuis jeudi 19 décembre après un accord entre le promoteur et le ministère du travail, interdisant le travail de nuit sur le stade. Joint samedi matin par téléphone, José, un assistant peintre de 45 ans qui travaille sur le chantier du stade de Manaus en journée, confirme la situation alarmante du chantier :« en réalité, on nous dit de faire attention à la sécurité mais dès que c’est risqué, on laisse faire. Il y a bien des ingénieurs de sécurité qui font des réunions mais on ne les voit jamais sur le chantier. On entend beaucoup de théorie mais rien ne change en pratique ». Embauché pour 44 heures hebdomadaires, cet intérimaire expérimenté gagne un peu plus de 900R$ (300 euros). « Ce qui n’est vraiment pas beaucoup, en plus comme je suis embauché par un sous-traitant, je gagne 200 R$ (65 euros) de moins que si je travaillais directement pour l’entreprise principale » déplore-t-il.
L'Arena de Sao Paulo est encore en construction. Capacité annoncée : 65807 personnes
Deux morts à Sao Paulo A Sao Paulo, le 27 novembre dernier, c’est la chute d’une structure métallique portée par une grue qui a provoqué la mort de deux ouvriers. Le conducteur de la grue travaillait depuis 18 jours sans journée de récupération. « C’est une vraie tragédie. L’accident a eu lieu pendant la pause déjeuner, sinon il y aurait pu y avoir beaucoup plus d’ouvriers à cet endroit et donc beaucoup plus de victimes » nous raconte Renaldo Rosa, représentant d’un syndicat des travailleurs de la construction civile de Sao Paulo. Pour Marina Mattar, représentante du Comité populaire de la Copa à Sao Paulo, un collectif qui rassemble des dizaines d’associations engagés contre la Coupe du Monde : « C’est bien la course engagée pour respecter les délais de la Fifa qui provoque la précipitation des travaux, sans considération pour la sécurité des travailleurs. Mais plus globalement, on voit bien avec l’exemple du Qatar où il y a déjà plus de quarante morts, que partout où il y a une Coupe du Monde, on a des stades qui coûte des millions et une précarisation des salariés, une multiplication des accidents du travail et le recours au travail esclave ». Un constat d’autant plus amer « que sur les 20 stades les plus chers au monde, 10 sont brésiliens ! Ils sont construits avec de l’argent public alors que le Brésil manque cruellement de moyens pour l’école ou les hôpitaux » rappelle la porte-parole du Comité de Sao Paulo.
Dernière ligne droite Sur les douze stades qui accueilleront la compétition, six ne sont pas encore terminés, malgré le délai limite fixé par la Fifa, qui imposait une livraison des stades au 31 décembre au plus tard. A l’exception du stade de Curitiba dont la construction est avancée à 85%, tous les autres stades affichent un taux d’achèvement supérieur à 90%. Si l’un de ces stades n’était pas opérationnel à temps pour la Coupe du Monde, la « Fifa devrait trouver des solutions de remplacements aux spectateurs qui ont acheté leurs billets et donc engager des coûts supplémentaires liés au changement de ville. En cas de défaillance d’un stade, la Fifa pourrait obtenir des villes ou de l’Etat Brésilien, une indemnité de compensation » précise le professeur de droit Luis Santoro, auteur d’un livre sur la Loi générale de la Coupe du Monde. Un scénario catastrophe que personne n’envisage pour l’instant au Brésil. Villes et promoteurs mettent le pied au plancher dans cette dernière ligne droite. Une dernière accélération qui pourrait s’avérer fatale pour les dizaines de milliers de travailleurs à l’œuvre sur les stades.