Brésil - États-Unis : peut-on comparer le saccage des institutions brésiliennes et l'assaut du Capitole ?

Le 8 janvier 2023, des centaines de partisans de l’ex-président brésilien Jair Bolsonaro envahissent les lieux de pouvoir à Brasilia. L’événement est rapidement comparé à l’assaut du Capitole, survenu le 6 janvier 2021 à Washington D.C aux États-Unis. Qu’est-ce qui rapproche ces deux manifestations ? Entretien avec l'historien Laurent Vidal. 
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Brésil assaut
Les enquêteurs examinent les dégats à la Cour suprême de Brasilia, deux jours après l'assaut des militants pro-Bolsonaro.
AP Photo/Eraldo Peres
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Les images sont impressionnantes. Dimanche 8 janvier, des partisans de l’ancien président d’extrême-droite Jair Bolsonaro pénètrent dans le Congrès, le palais présidentiel et la Cour suprême du pays. L’événement laisse une sensation de déjà-vu. Deux ans plus tôt, le 6 janvier 2021, des partisans de Donald Trump envahissent le Capitole, symbole du pouvoir aux États-Unis. Cette comparaison est-elle légitime ? 

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Laurent Vidal est historien, enseignant-chercheur à La Rochelle Université et spécialiste de l’histoire du Brésil. Selon lui, les deux événements sont comparables dans la mesure où cela partait d’une contestation d’un résultat électoral dans les deux cas de figure. Par ailleurs, cela reflète également la fragilité des démocraties libérales.

TV5MONDE : Quelles sont les similitudes entre l’assaut du Capitole de janvier 2021 et la tentative de coup de force au Brésil ? 

Laurent Vidal : La première similitude, c’est que les deux présidents battus n’ont jamais reconnu leur défaite. Ensuite, Jair Bolsonaro et Donald Trump ont attisé, plutôt de manière indirecte que directe, le doute sur des élections frauduleuses parmi leurs partisans les plus déterminés et radicaux. 

Des deux côtés, les manifestants rejettent les résultats de l’élection. Laurent Vidal, historien

Lors de l’assaut du capitole, les partisans ont agi à la demande de Trump. Au Brésil, ça s’est fait de manière moins directe. Ça ne sera pas simple à prouver, mais on sait que ça s’est fait avec le soutien bienveillant de l’ex-président Bolsonaro, exilé aux États-Unis. Des deux côtés, les manifestants rejettent les résultats de l’élection. 

L’autre élément de concordance, c’est l’invasion de bâtiments officiels représentant le pouvoir. Cette action est assortie par des volontés d’intimidation. On est vraiment dans une culture de la destruction et de l’intimidation. 

Après, il y a des différences qui ne sont pas négligeables. À Washington, il n’y a que le Capitole qui a été envahi, par une centaine de personnes. À Brasilia, 4000 personnes ont envahi les trois lieux de pouvoir. Par ailleurs, les manifestants brésiliens appelaient à une intervention militaire. Ils espéraient créer le chaos pour que les militaires interviennent. Au Capitole, il n’y a pas eu d’appel à une intervention militaire. Il y a eu simplement un appel à refuser les résultats. 

TV5MONDE : Un mois avant l’élection présidentielle brésilienne, l’ampleur de la désinformation faisait craindre la reproduction du scénario de l’assaut du Capitole. Est-ce que les événements du 8 janvier auraient pu être évités ?

Laurent Vidal : D’une part, on ne peut pas nier qu’il y a eu dans la tête de Bolsonaro et de certains de ses soutiens financiers, mais aussi des gens hauts placés dans la hiérarchie militaire, la volonté de reproduire quelque chose comme le Capitole. 

Ce qui n’était pas prévu, c'est la clémence coupable de la police militaire du district fédéral.Laurent Vidal, historien

Maintenant, ce scénario pouvait être évité. L’arrivée des 4000 personnes avait été annoncée. Il était clairement prévu qu’une centaine de bus se dirigeaient vers Brasilia. En revanche, ce qui n’était pas prévu, c'est la clémence coupable de la police militaire du district fédéral. Les bus ne sont pas arrivés directement sur la place des trois pouvoirs. Ils se sont arrêtés à près de 8 km. Les manifestants ont été escortés pacifiquement par la police militaire. 

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Ce n’est pas par hasard qu’il y a un mandat d’arrêt contre l’ancien secrétaire du gouvernement du district fédéral, secrétaire à la sécurité et ancien ministre de Bolsonaro. On sait qu’ils se sont tous les deux rencontrés aux États-Unis la veille de ces manifestations. Mais ce n’était pas prévisible dans le sens où il n’était pas possible de savoir que cette rencontre était en rapport avec les manifestations. 

Lula était en déplacement ce jour-là. Je pense qu’il faisait confiance aux forces de la police militaire du district fédéral pour canaliser cette foule et l’empêcher de s’approcher des trois pouvoirs. 

Bolsonaro s’est présenté comme le Trump tropical. Lui-même a cherché à jouer là-dessus. Laurent Vidal, historien

TV5MONDE : Pourquoi Trump et Bolsonaro sont souvent comparés entre eux ?

Laurent Vidal :
La comparaison est née dans le propre esprit de Bolsonaro. Il s’est présenté comme le Trump tropical. Lui-même a cherché à jouer là-dessus. 

Au-delà de cela, on peut remarquer qu’il y a le même type de fonctionnement. Tous les deux ont fait usage de la démocratie pour arriver au pouvoir. Ensuite, une fois au pouvoir, s’installe un mépris de la démocratie et de ses institutions. Le fait de vouloir s’adresser directement au peuple, sans passer par les institutions représentatives, par les tweets ou les réseaux sociaux plus généralement est un autre point commun entre les deux anciens présidents. 

TV5MONDE : Qu’est-ce que ces deux événements montrent de l’état de la démocratie libérale ? 

Laurent Vidal : Ils témoignent d’une fragilité de cette démocratie. On ne s’en rend pas forcément compte. On a beaucoup dit qu’il y a un patrimoine public qui a été attaqué à Brasilia. Mais peut-être que le premier patrimoine attaqué, c’est celui de la démocratie. 

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On ne mesure pas à quel point nos démocraties libérales sont aujourd’hui fragilisées par des remises en question constantes des institutions représentatives. C’est le cas aussi bien par des gens du peuple que par des élus qui essaient d’avoir un contact direct avec la population. 

Ce n’est pas par hasard qu’il y a de moins en moins de gens qui se déplacent pour les élections. Il y a très clairement une fatigue démocratique. La démocratie suppose le débat, l’échange jusqu’à arriver à un compromis ou au moins qu’une majorité se dégage. Aujourd’hui, les gens ne veulent plus de débat.

Lula est vraiment un animal politique qui a cette capacité à s’appuyer sur des circonstances inattendues et renforcer la démocratie et l’union. Laurent Vidal, historien

Ça a aussi à voir avec un monde où internet nous met dans un prisme constant avec des informations venues du monde entier et constamment. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de temps de recul, de repos. Ajoutons à cela la désinformation. Elle a toujours existé, mais internet et les réseaux sociaux lui ont donné une ampleur plus importante. 

TV5MONDE : Lula apparaît renforcé après les événements du 8 janvier. Comment l'expliquer ? Est-ce que c’était aussi le cas pour Biden après l’assaut du Capitole ? 

Laurent Vidal : Lula paraît renforcé car c’est vraiment un animal politique qui a cette capacité à s’appuyer sur des circonstances inattendues et renforcer la démocratie et l’union. 

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Par exemple, lorsque Bolsonaro a refusé de participer à la cérémonie de passation de pouvoir, il a inventé cette passation avec des gens de la société les plus divers : noirs, indiens, jeunes, handicapés, et même un chien errant qui a été adopté. Ça a été une manière de s’approprier ce vide qui était là. 

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Avec ce qui s’est passé sur la place des Trois Pouvoirs, il a convoqué tous les gouverneurs des États du Brésil et ils ont déambulé ensemble sur cette place le 10 janvier. C’était une manière de la ré-encemanser de ce qu’elle est : un espace civique. 

Biden n’a pas fait ça, il n’a pas été à la hauteur. Il est l’homme qui était là au moment de l’assaut du Capitole, mais il n’est pas véritablement cet incroyable homme politique qu’est Lula.