Fil d'Ariane
Entretien. Le président brésilien Jair Bolsonaro pourrait être inculpé de neuf crimes, dont crime contre l'humanité. Des accusations portées par plusieurs sénateurs brésiliens, peut-être plus symboliques qu'autre chose. Quelles peuvent en être les conséquences pour le chef de l'Etat ? Eléments de réponse avec Jimena Reyes, à la tête du bureau des Amériques de la FIDH, la Fédération internationale pour les droits humains.
Un rapport recommande l'inculpation du président Jair Bolsonaro pour neuf crimes, dont crime contre l'humanité. La commission d'enquête sénatoriale planche depuis plusieurs mois sur sa gestion de la pandémie de Covid-19. A l’issue de dizaines d’auditions, souvent poignantes, 7 des 11 sénateurs ont approuvé le texte de 1200 pages qui accuse le gouvernement d’avoir «délibérément exposé» les Brésiliens à «une contamination de masse».
L'accusation est grave mais les conséquences risquent surtout d'être symboliques pour le président. Et pour cause, le procureur général, en charge de traiter le dossier, n'est autre que Augusto Aras, un proche du chef de l'Etat.
Tv5Monde : Quelles sont les principales accusations sur lesquelles le rapport s'appuie ?
Jimena Reyes : D’abord, d'être à l'origine d'au moins 120.000 morts du Covid. À la différence de certains pays, comme la Suède, le président n'a pas juste manqué d'appuyer les recommandations de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Il est allé très loin puisqu'il incitait les gens à s’embrasser, à ne pas porter de masque. C’est là toute la nuance, il poussait des gens à faire l’inverse de ce qu'ils devaient faire.
Une autre dénonciation concerne le charlatanisme et son lien avec le cabinet de médecine occulte Prevent Senior (n.d.l.r. un groupement hospitalier brésilien). Jair Bolsonaro l'a ouvertement soutenu quand il a fait la promotion de ses "kits Covid" - utilisant notamment de l'hydroxychloroquine - à un moment où on savait que ça ne fonctionnait pas.
D'ailleurs, parmi les gens visés par le rapport, il y a les dirigeants de cette entreprise, Prevent Senior. Ils sont en plus accusés d’avoir maquillé leurs statistiques pour faire croire que ça fonctionnait.
La commission avait aussi enquêté sur ce qu’il s’était passé à Manaus, dans une région où il y a eu insuffisance d’oxygène. Il semble qu’il y ait eu des décisions fédérales qui empêchaient les hôpitaux d’obtenir plus rapidement de l'oxygène. C'est complètement criminel. Mais cette enquête ne serait pas dans les conclusions finales du rapport.
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Tv5Monde : On dit que ce rapport aura surtout une portée "symbolique". Le procureur général, en charge de recevoir le rapport, n'est autre que Augusto Aras, un proche du président. Qu'est-ce que le président risque réellement avec cette décision ?
Jimena Reyes : La portée "symbolique" est très forte. Pendant longtemps, les sondages pour le président étaient positifs. Il y a vraiment eu une dégringolade ces derniers mois. La première sanction va peut-être être celles des urnes aux prochaines éléctions. D’avoir une instance législative qui officiellement dit “120 000 morts auraient pu être évités", c'est très parlant pour les gens.
De son côté, La Cour suprême du Brésil (n.d.l.r. juridiction au sommet de hiérarchie judiciaire), va peut-être demander à Facebook, Twitter et Instagram de suspendre les comptes du président. Il a plus de 40 millions d'abonnés sur ses réseaux sociaux.
La première sanction va peut-être être celles des urnes aux prochaines éléctions.Jimena Reyes, à la tête du bureau des Amériques de la FIDH
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Enfin, il pourrait y avoir un procès après sa présidence. D’anciens dirigeants, comme le président Lula, ont déjà été poursuivis pour corruption. Est-ce que le caractère de “crimes contre l'humanité'' sera le plus simple à démontrer ? Sans doute pas. Par contre la "mise en danger d’autrui", le "charlatanisme" peuvent être engagés plus facilement.
Tv5Monde : Pourquoi peut-on parler de “crimes contre l’humanité” ?
Jimena Reyes : Au départ, la commission sénatoriale d’enquête était partie sur le terme “génocide”. Il y a d'ailleurs déjà une plainte qui a été déposée auprès de la Cour pénale internationale contre Bolsonaro, sur la question du génocide des Autochtones.
Le "crime contre l’humanité" est, dans la hiérarchie pénale, le crime le plus grave. Cela nécessite qu’il y ait un homicide, une attaque contre la population civile et de manière systématique. On est ici avec la pandémie, dans un domaine éloigné des espaces classiques de commission de crimes contre l’Humanité. La question qui se pose au au 21e siècle.
Quelle limite faut-il mettre aux discours de dirigeants populistes qui peuvent conduire les masses vers des prises de risques causant la mort ?
Jimena Reyes, directrice du bureau des Amériques de la FIDH
Tv5Monde : Y a-t-il d’anciens présidents brésiliens qui se sont confrontés aux mêmes types d'accusations dans le passé ?
Jimena Reyes : Non, c’est le premier, tout du moins au Brésil. Dans le monde en revanche, Trump est dans un schéma similaire, typique des populistes. Des fausses informations qui causent la mort de nombreux civils dans le contexte de la pandémie et un rejet de la science par la plus grande autorité politique du pays.
C’est une situation qui va sans doute se reproduire. En Serbie aussi, l’Eglise se prononce explicitement contre la vaccination. Bolsonaro n’est pas le seul, sauf que le Brésil est le deuxième pays où il y a eu le plus de morts dans le monde.
Le rapport sénatorial qui accuse le président de neuf crimes, dont crime contre l'humanité
La commission d’enquête parlementaire (CPI) planche depuis plusieurs mois sur la politique «criminelle» du président brésilien dans sa gestion de la pandémie.
Elle accuse le président de neuf crimes, dont "crime contre l'humanité", mais aussi "charlatanisme", "incitation au crime" ayant mené les Brésiliens à "une contamination de masse".
Sept des onze sénateurs ayant mené les travaux de la commission ont approuvé le texte de près de 1.200 pages. Il avait été présenté par le rapporteur Renan Calheiros la semaine dernière, qui recommande aussi l'inculpation de quelques 80 personnes, dont plusieurs ministres, ex-ministres, compagnies, et les trois fils aînés de Bolsonaro, tous des élus.