Brésil : "Jair Bolsonaro est plus dangereux pour la biodiversité que Donald Trump"

Du jamais vu dans l'histoire de l'humanité. Environ un million d'espèces animales et végétales sont menacées d'extinction, dont beaucoup dans les prochaines décennies. Comment en est-on arrivé là ? Au Brésil par exemple qui abrite plus de la moitié de la biodiversité mondiale, des paradis écologiques comme l'Amazonie et le Pantanal sont menacés. Pourquoi ? Entretien avec Jacky Bonnemains, président de l'association écologiste Robin des Bois.
 
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Brésil
Jaguar à Corumba au Brésil
©AP/Photo Eraldo Peres
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Le Brésil, surnommé "le poumon vert de la planète", compte un nombre impressionnant d'espèces : 40. 000 de plantes, 3.000 de poissons d'eau douce, près de 1.300 d'oiseaux et 370 de reptiles. Mais depuis l'arrivée au pouvoir du président d'extrème droite Jair Bolsonar, les ONG et les peuples autochtones du pays s'inquiètent.

TV5MONDE : Le Brésil abrite plus de la moitié de la biodoversité mondiale, mais l'Amazonie souffre, elle est menacée. Pourquoi ? Quelles en sont les causes ? 

Jacky Bonnemains : La cause principale est la déforestation avec tous ses effets collatéraux : les chantiers d'abattage, les pistes forestières qui facilitent l'infiltration des braconniers et par conséquent le trafic d'espèces menacées, comme les singes, les oiseaux, les poissons du bassin amazonien etc...  La déforestation va toujours de pair avec le braconnage, et aussi avec un phénomène social qui est la perte d'autonomie et de culture des populations natives. On observe ce phénomène de perte d'identité dans tous les pays où il y a une déforestation massive, notamment en Amazonie, mais aussi en Malaisie et en Indonésie. La déforestation, c'est un accélérateur de braconnage et de pollution, car elle ne se fait pas avec de l'énergie solaire ou éolienne. Je dirais que son principal moteur, que ce soit pour les tronçonneuses ou pour l'exportation des grumes à partir de l'Amazonie, c'est le pétrole. 

Les statistiques et les photos satellites montrent que la forêt amazonienne se réduit d'année en année, par des cultures homogènes de soja en particulier. Les arbres de la forêt amazonienne sont abattus pour faire des meubles. Avant, c'est l'Union européenne qui était le principal client, aujourd'hui c'est la Chine. La forêt amazonienne est entourée par des cultures homogènes de soja et il y a une pollution supplémentaire qui est l'usage excessif et incontrôlé de pesticides. 

TV5MONDE : Le Pantanal, moins connu que l'Amazonie est une très belle réserve naturelle d'animaux au Brésil, cette région est-elle aussi menacée ?

Jacky Bonnemains : Le Pantanal est une réserve majeure pour les reptiles, les oiseaux, et les poissons comme l'arapaïma qui est le plus gros poisson d'eau douce du monde, il peut mesurer jusqu'à deux mètres cinquante de long. Quelques jaguars sont eux aussi de plus en plus victimes du braconnage, tout comme les tortues aquatiques et les dauphins d'eau douce dans les bassins amazoniens. Et comme le gouvernement actuel réduit les moyens financiers des organismes (l'Ibama et l'institut Chico Mendès) chargés à la fois d'évaluer les populations d'espèces menacées et de lutter contre le braconnage, cela risque de faciliter le travail des filières de braconnage et contribuer à l'appauvrissement de la biodiversité au Brésil, et dans les états du sud comme le Minas Gerais, qui est l'état le plus menacé par les industries minières.

TV5MONDE : Le président d'extrême-droite Jair Bolsonaro est arrivé au pouvoir en janvier. Avec son ministre de l'Environnement, Ricardo Sales, il mène une politique "de destruction de l'environnement", selon certains experts. Pourquoi, quel est son objectif ? 

Jacky Bonnemains : Jair Bolsonaro a un objectif que partagent en ce moment beaucoup de gouvernements et de présidents : la levée des obstacles juridiques et administratifs qui entravent l'expansion et la rentabilité des groupes miniers, agro-alimentaires et forestiers. L'un des signes qui nous inquiète le plus : c'est la décision très récente de la justice de ne pas mettre en cause la responsabilité pénale des gestionnaires des digues, qui dans le Minas Gerais sont sujettes à des ruptures très fréquentes, la dernière remonte à deux mois.

Ces digues qui sont fissurées et mal entretenues, contiennent des déchets de mines de fer. Les conséquences pour la biodiversité sont lourdes : surtout pour les poissons et les singes qui habitent au bord des rivières. Cet espèce d'amnistie partielle des dirigeants du conglomérat minier brésilien Vale est inquiétante et montre qu'il y a peut-être une connivence entre les politiques et le juridique.

Aujourd'hui, je dirais que Jair bolsonaro est maître à bord, il a moins de garde-fous que Donald Trump. Il est plus dangereux pour la biodiversité que le président américain. Il vient aussi de nommer un ministre de l'Environnement, dont les premières décisions ont été de couper de manière très significatives le financement de l'Ibama et de changer tous les cadres de l'institut Chico Mendès. Cette restructuration est inquiétante. L'institut Chico Mendès, qui était assermenté pour dépister les actes de braconnage et traduire devant la justice les braconniers, avait par exemple organisé la saisie dans le bassin amazonien de deux tonnes d'arapaïmas (poissons) et de tortues aquatiques. En coupant leur financement, c'est comme si on leur coupait les ailes pour les donner aux braconniers.

TV5MONDE : Quelles sont les espèces menacées d'extinction au Brésil ?

Jacky Bonnemains : Le jaguar est l'espèce la plus menacée d'extinction. Sa peau et ses dents sont exportées en Asie, surtout en Chine.
 
A l'heure actuelle, une peau de jaguar se négocie entre 10 000 et 15 000 dollars, et une canine autour de 300 dollars. La dent est utilisée en pendentif et en amulette, et la peau sert de décoration.

Avant, on s'intéressait aux canines et aux peaux de tigres, mais comme il n'y en a presque plus, on s'intéresse maintenant au jaguar et au léopard.

Les oiseaux sont aussi menacés d'extinction : les aras et les perroquets font l'objet d'un trafic international, dont certaines espèces se vendent très cher. Il y a aussi 
les amazones, les aras chloroptères, les passereaux et les Toucans... sans oublier les poissons (l'arapaïma), les requins marteaux, les tortues aquatiques et les serpents (les boas constrictors). 

TV5MONDE : Les peuples autochotones du Brésil sont très inquiets depuis l'arrivée au pouvoir de Bolsonaro. Selon eux, son but est de piller leurs terres et de les détruire. Qu'en pensez-vous ?

Jacky Bonnemains : Jusqu'ici les peuples autochtones étaient autorisés à prélever dans les rivières ou dans les forêts des espèces à usage alimentaire et culturel. Par exemple ils se servaient de plumes d'oiseaux pour des rites sociaux. Ils pouvaient pêcher de l'arapaïma et capturer quelques tortues aquatiques. Et d'autre part, leurs territoires étaient considérés comme des sanctuaires, à l'intérieur desquels théoriquement il était impossible d'ouvrir des mines ou des concessions forestières. Depuis une vingtaine d'années, il y avait un consensus au Brésil pour préserver l'identité territoriale et culturelle des indiens et des populations natives. 

Aujourd'hui, la technique de Jair Bolsonaro, comme beaucoup de gouvernements qui sont confrontés à des populations autochtones, est d'essayer de les entraîner dans une économie capitaliste, forestière, minière... En fait, il cherche à les diviser et à les entraîner dans cette course à l'exploitation et à la cupidité. Il va essayer de miner l'homogénéité des populations natives en attirant certains leaders dans la spirale de l'industrie extractive, du bois et des métaux. 

>> A revoir notre émission Objectif monde "Alerte les espèces animales disparaissent" avec Jean-Louis Etienne comme invité.