Des émeutes ont éclaté mardi 22 avril dans une favela de Copacabana à Rio, après la découverte du corps d'un danseur et DJ du quartier âgé de 25 ans. Il a été battu à mort par les forces de police pacificatrices présentes dans les favelas pour sécuriser la ville en vue de la Coupe du monde. Dans d'autres favelas, comme à São Paulo, les autorités se montrent plus conciliantes avant cet événement sportif qui débutera le 12 juin prochain. Des familles qui ont échappé à une expulsion de leur favela, il y a un an, comptent sur la médiatisation du mondial pour garder leurs maisons. Pour combien de temps ? Les habitants de la favela da Paz craignent que les promesses ne retombent comme un soufflé après cet événement sportif. Reportage.
Bienvenue dans la Zona Leste. Station “Itaquera-Corinthians”, où descendront les 68 000 spectateurs qui assisteront à la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde, le 12 juin prochain. En sortant du métro, on contemple l’avancée des travaux du plus grand stade jamais construit au Brésil, au cœur de la zone populaire de São Paulo. Des milliers d’ouvriers finissent à l’arrachée ce temple du football, à un mois et demi du premier coup de sifflet du match Brésil – Croatie. A 900 mètres de là, c’est une autre course contre la montre qui se joue dans la Favela da Paz. “A partir du moment où l’on a annoncé que le stade d’Itaquera allait accueillir la Coupe du Monde, c’est devenu un enfer pour nous,” explique André, en montant dans sa voiture pour rejoindre la “communauté” qui rassemble 377 familles pauvres installées au bord d’une rivière verdâtre et polluée.
Tandis qu’on entre dans sa maison de briques et de tôles, ce fils d’une employée domestique paulistaine, nous raconte la première fois qu’il a visité ce terrain. “C’était en 1996, il n’y avait que de la végétation, de la boue, et quelques maisons sur la rive du cours d’eau. A l’époque je vivais avec ma mère qui ne pouvait plus payer le loyer de notre habitation, à quelques kilomètres d’ici. On a construit la maison en six mois. Et on a mis six mois de plus pour acheter petit à petit les meubles,” se souvient-il.
La police voulait nettoyer le quartier Entre 1995 et 2011, la favela fait l’objet de trois procédures d’expulsion, toutes invalidées devant les tribunaux. Elle subit également trois incendies, durant lesquels un enfant de cinq ans et un adulte perdent la vie. Jusqu’à la fin 2012, alors que les rumeurs enflent, les habitants sont tenus à l'écart d’un plan d’urbanisme en préparation. “Mais l’an dernier, on a été pris par surprise, c’est un ami qui nous a prévenus qu’on était sur la liste des favelas à expulser. On avait même pas été informés ! L’ordre avait été donné à la police de nettoyer le quartier. Il ne l’ont pas exécuté, car ils n’avaient pas assez d’informations sur la localisation et la taille de la favela, mais ça s’est joué à rien !” s’exclame André, qui préside l’association des habitants. “On aurait dû se retrouver dans un abri d’urgence, où les gens sont entassés collectivement. Et pendant ce temps-là, on nous dit que le Brésil est un pays émergent, qu’on est capable d’aider des pays pauvres, qu’on peut dépenser des milliards pour des stades…” s’indigne André qui, après avoir longtemps travaillé comme ouvrier, est aujourd’hui technicien chargé d’installer les lignes Internet dans des entreprises. Le nouveau projet d’urbanisme de la mairie prévoit la construction d’un parc vert de 4,5 km, avec une piste cyclable au bord de la rivière et des allées arborées. Un paysage idéal pour les vues aériennes qui filmeront le stade pendant les rencontres. Et qui offrait également un panorama débarrassé de douze favelas hébergeant plus de 5 000 familles de la zone Est, dont les 377 familles de la communauté da Paz. Au delà de la Coupe du monde, le procédé est fréquent au Brésil. Selon un recensement réalisé par l’université de São Paulo, 486 favelas étaient menacées d’expulsion dans la plus grande ville d’Amérique Latine fin 2012. Une trentaine de ces bidonvilles ont été vidés l’année dernière.
Clef contre clef Au cœur de cette politique d’expulsion, une “bourse de loyer" proposée par la mairie doit théoriquement aider les habitants à se loger sur le marché locatif classique. Ainsi la mairie a-t-elle proposée aux habitants de la favela da Paz une allocation de 350R$ (115€) versée mensuellement pendant deux ans. “Mais aujourd’hui, une maison avec une pièce et une salle de bain vaut 900R$ par mois dans le quartier. Personne ne peut payer la différence. Et puis nous leur avons dit que c’était absurde de proposer ces aides à chaque famille, que ce serait plus efficace d’utiliser cet argent dans des constructions,” proteste André. Dans bien des favelas, les plus miséreux sont tentés d’accepter cette “bourse du loyer” et de rejoindre ainsi d’autres bidonvilles plus éloignés des emplois, des transports et des services publics. Mais les riverains du nouveau stade décident de rester. Et d’imposer le principe du “clef contre clef” : ils ne bougeront pas avant d’avoir un nouveau logement. Mieux encore, puisqu’on leur dit “qu’il n’y a pas d’autres solutions”, avec l’ONG Peabiru, de travailleurs sociaux et des architectes bénévoles de l’Institut Polis, ils conçoivent un plan alternatif d’urbanisme, qui permet de reloger une partie des familles sur un terrain appartenant à la mairie, au-delà du fleuve. Pendant ce temps, le Comité populaire de São Paulo, qui rassemble les mouvements sociaux critiquant la Coupe du monde, fait office d‘attaché de presse, en orientant les journalistes étrangers dans la favela. A entendre André énumérer les nationalités des reporters allemands, américains, hollandais, anglais ou espagnols, on comprend que cette favela criera bientôt sa colère devant les caméras du monde entier. Une publicité dont ce serait bien passé la mairie, soucieuse de présenter le plus grand stade brésilien comme un don fait aux classes populaires de la zone Est. “Ils nous demandent toujours pourquoi on fait autant de bruit dans les médias, je leur dis bien qu’on ne dénigre pas la mairie, mais qu’on raconte juste ce qui se passe ici. En répondant aux journalistes, on se dit que quelqu’un viendra vérifier si les promesses ont été tenues ou pas, une fois la Coupe du Monde et les élections passées,” explique André. La favela da Paz aura donc l’occasion de prendre le monde à témoin. Une opportunité que Lidia, une jeune femme blonde croisée la veille dans la rue principale de la favela, ne compte pas louper : “Quand les gringos viendront pour la Coupe du Monde, vous devrez montrer la réalité de notre pays, le manque de logements, la grande pauvreté et surtout le système de santé horrible. Aujourd’hui ma voisine a fait deux centre de santé car son bébé a une grippe très grave, et elle n’ a même pas trouvé de pédiatre,” nous raconte-t-elle écœurée. A-t-elle une solution de relogement ? “On me dit que j’aurais une maison début 2016, mais je n’ai pas encore de papiers signés. On a fait beaucoup de réunions avec la mairie, mais maintenant on veut de l’action !” s’impatiente Lidia. Un habitant de la favela, retraité, temporise : “On doit signer un accord de relogement pour une partie des familles dans les prochains jours. Mais on voudrait quand même que la mairie nous régularise l’accès à l’eau et à l’électricité avant la Coupe du monde. Ça prouverait qu’ils veulent vraiment faire quelque chose”.
Des promesses non-écrites Dans les négociations en cours, il est acté que 101 familles, dont celles qui habitent dans des maisons en bois ultra-précaires au bord de l’eau, devront être relogées en priorité dans des immeubles en cours de construction. Pour les 276 autres familles, il faudra attendre 2016. Des promesses non-écrites, qui suscitent espoir et méfiance dans la favela. Les plus anciens se souviennent qu’on leur avait déjà parlé de plan de relogement en 2004, lorsque la municipalité était venu faire le cadastre. Tandis que ses filleuls regardent la télé, André nous raconte dix huit années de vie dans la favela, la galère des dizaines de familles sans eau courante, les coupures d’électricité dès qu’il pleut. Mais aussi les maisons en bois qui menacent de s’effondrer, les rats énormes qui pourrissent la vie des habitants, et la pénurie de médecins, bien souvent à l’origine de la mort prématurée d’un voisin. En nous montrant les photos des immeubles promis, dont il suit l’avancée de la construction, il nous confie sa hantise : “Les éléphants blancs. C’est comme ça qu’on appelle ces chantiers qui ne se terminent jamais. On nous promet que les logements seront prêts en juin, puis maintenant cela semble être pour fin novembre. Pour les 276 autres familles restantes dont je fais partie, ce serait 2016. On veut y croire. Mais on ne peut pas se contenter de simples paroles, c’est pour ça qu’on parle aux médias. Car que se passera-t-il s’ils oublient toutes leurs promesses après la Coupe du monde ?” questionne André, à l’unisson d’une favela persuadée que seul un engagement écrit de la mairie, pourrait conjurer deux longues décennies d’indifférence. “Sinon, cela veut dire qu’on devrait tout recommencer à zéro. Et ça, ce n’est pas possible,” prévient André.
Favela da Paz : les chiffres de la misère
A un quart d’heure à pied d’un stade qui aura coûté 300 millions d’euros, 19% des familles vivent dans des baraques en bois, soutenues par des pilotis brinquebalants au bord du fleuve. Selon une estimation effectuée par des travailleurs sociaux, près de la moitié des habitants sont au chômage, l’autre moitié se répartissant à égalité entre travail légal et informel. Sur le plan des revenus, 61% des familles vivent avec l’équivalent de 339R$ (soit 108€) par tête, tandis que 34% des foyers doivent survivre avec un revenu de 820 R$ (soit 263€). 50% des enfants n’étaient pas scolarisés fin 2012 et la moitié des familles n’avaient pas eu recours aux aides sociales auxquelles elles sont éligibles.