Avec plus de cinquante-six mille homicides l'an dernier, le Brésil se révèle, loin de son image débonnaire, l'un des lieux les plus violents de la planète. Quotidienne et familière, la criminalité ne peut plus y être imputée à la seule misère et mobilise enfin la classe politique.
C'est un peu comme l'un de ces conflits oubliés dont les massacres quotidiens ne font pas les unes des médias, mais il est l'un des plus sanglants de la planète. 56 337 tués : tel est le nombre d'homicides enregistrés au Brésil en 2012 selon l'organisation non-gouvernementale Mapa da Violencia. Peu contesté, le chiffre en recoupe d'autres antérieurs, publiés notamment par les Nations-Unies. A titre de comparaison, il dépasse celui des victimes de la guerre civile en Syrie la même année (40.000 morts). Considéré depuis l'an 2000, le sinistre bilan rappelle plutôt celui de ... Verdun : plus de 600 000 tués. Aucun pays ne dépasse le Brésil en nombre brut de morts violentes, pas même l'Inde, six fois plus peuplée. Avec vingt-neuf pour 100 000 habitants, le « taux d'homicide » du Brésil approche celui de la République démocratique du Congo en guerre. Il est plus de vingt fois celui de la France (moins de mille homicides par an), cinq à six fois celui des États-Unis d'Amérique. Un meurtre sur dix dans le monde est commis au Brésil et six des villes les plus violentes du monde … sont celles de la coupe du monde (Manaus, Fortaleza, Natal, Salvador, Recife, Belo Horizonte). Loin de reculer, le nombre d'assassinés au Brésil a augmenté de 8% de 2011 à 2012. Si les opérations policières spectaculaires de ces dernières années dans les favelas de Rio ou Sao Paulo ont donné des résultats tangibles dans les zones concernées (baisse du nombre des meurtres en particulier), elles ont aussi abouti à un déplacement de la violence dans d'autres quartiers.
Proximité
Patrouilles de police dans les environs de Rio (AFP)
La carte de cette hausse ne coïncide pas forcément avec celle de la misère : + 15 % de crimes, ainsi, dans le prospère État Rio Grande Do Sul. Le Brésil n'est d'ailleurs plus le pays pauvre de naguère mais la première économie d'Amérique latine. Voisin du Venezuela, son PIB par habitant est l'un des plus élevés du continent. Son taux d'analphabétisme a fortement reculé et sa population universitaire a doublé en dix ans. Et contrairement à une idée reçue, le crime organisé n'est pas la principale source de la violence. La majeure partie des crimes trouve son origine dans un conflit familial ou de voisinage, une rivalité d'honneur ou sexuelle, l'un ou l'autre souvent attisé par l'alcool. La majorité des agresseurs connaissent leur victime. Cette violence « de proximité » n'est pas moins anxiogène que la grande criminalité et, selon un sondage récent, huit Brésiliens sur dix disent avoir « très peur » d'être assassinés. Si l'ampleur du phénomène embarrasse naturellement des autorités politiques plus disertes sur les succès internationaux du Brésil ou même leur bilan économique, il serait injuste de les qualifier de sourdes ou inertes. De nombreux programmes de lutte contre la violence ont été lancés au cours des dernières années. L'un des derniers, Brasil Mais Seguro (Brésil plus sûr) cible un État du Nordeste particulièrement affecté, l'Alagoas, devenu depuis deux ans l'objet de toutes les attentions du pouvoir et bénéficiant de moyens pécuniaires et sécuritaires spéciaux. Sans résultat tangible à ce jour : le nombre de meurtre y a cru de près de 10 % au début de cette année. L'opposition, logiquement, s'efforce de tirer parti de cet échec avéré du pouvoir, dénonçant ce qu'elle qualifie de laxisme. Rival de Dilma Rousseff aux dernières élections, Aécio Neves a dénoncé une « tragédie nationale » et le Parti socialiste brésilien, comme d'autres, déclare vouloir désormais placer la sécurité au centre de ses préoccupations. Mais pour l'heure, la coupe du monde et la crise sociale qu'elle exacerbe suscitent bien d'autres priorités.