Brésil : le fils de bonne famille qui défie Dilma Rousseff
Aecio Neves, le candidat du principal parti d’opposition peut-il battre Dilma Rousseff à la présidentielle? Après douze années de règne, le Parti des travailleurs de l’actuelle présidente Dilma Rousseff (41,5%) réalise son plus mauvais score au premier tour depuis 1989. Avec un socle de 33,5% des votes, Aecio Neves peut être en position de l’emporter, s’il bénéficie d’un report de voix favorable de l’électorat de Marina Silva, qui a rassemblé 21% des suffrages dimanche 5 octobre.
Aecio Neves, prochain président du Brésil ? Pour la première fois, les sondages créditent le rival de Dilma Rousseff en tête du second tour de 51% des intentions de vote. Une courte avance à relativiser, compte-tenu des marges d’erreur, mais qui montre les faveurs de l’électorat de Marina Silva pour le candidat d’opposition. Au lendemain du premier tour, deux tiers de ces électeurs se déclaraient en faveur d’Aecio Neves. Une dynamique qui devrait se consolider, après la signature d’une plateforme commune entre la candidate écologiste et le candidat de la droite brésilienne. « A partir de maintenant nous ne sommes qu’un seul corps et qu’un seul projet », se félicitait Aecio Neves, en implorant la bénédiction de Nossa Senhora Aparecida, dans l’église qui célèbre l’apparition de la patronne du Brésil à quelques kilomètres de Sao Paulo. Une alliance célébrée comme un miracle : lui, le pur produit de l’élite du Minas Gerais, suspecté de s’en prendre aux pauvres, fera campagne main dans la main avec une femme au destin hors-norme, issue d’une famille miséreuse d’Amazonie, alphabétisée à l’âge de 16 avant de s’engager dans le syndicalisme. Héritier d’une famille politique, il est le petit fils de Tancredo Neves, premier président de la République élu après la fin de la dictature en 1985. Côté paternel, son père et son grand-père étaient tout deux députés du Minas Gerais. Après des études d’économie, il interrompt ses études à Harvard pour prêter main forte à son grand-père, qui s’apprête à prendre la présidence du Brésil. Mais le farouche opposant à la dictature décède d’une maladie avant de pouvoir prêter serment. Un an plus tard, Aecio creuse le sillon familial en décrochant son premier mandat de député à l’âge de 26 ans. Il sera réélu député quatre fois, avant de s’installer dans le fauteuil de gouverneur du Minas Gerais en 2002, autrefois occupé par son grand-père.
L’héritier playboy Un cursus honorum sans faute pour ce séducteur, surfeur et amateur de motos, qui s’est longtemps laissé photographier par la presse people au bras de mannequins, d’actrices et de journalistes en vue. Il qui incarne à merveille, entre Rio et la fazenda familiale, la vie dorée d’une élite brésilienne encore largement dominée par une poignée de grandes familles. Un destin d’enfant gâté de la politique, qui contraste avec le parcours d’une Dilma, arrêtée et torturée par la dictature, ou l’ascension d’une Marina, issue d’une famille miséreuse d’Amazonie. Un style de vie, que la sœur aînée d’Aecio, qui gère sa communication, préfère « positiver », lorsque la revue Piaui l’interroge sur sa réputation de fêtard et de bon vivant : « ça lui donne un aspect humain. C’est une personne qui s’amuse et qui est heureuse.(…) Pourquoi ne pourrait-on pas faire de la politique de façon joyeuse, légère et intègre ? » s’interroge-t-elle. Mais si son image de playboy héritier ne rebute pas l’électorat traditionnel du Parti social démocrate brésilien (PSDB), elle pourrait toutefois le handicaper dans la conquête des votes populaires. Et donner prise aux récentes attaques de la présidente en campagne qui met en garde contre le retour de l’élite à la tête du pays. « Aecio dispose de la base électorale conservatrice du PSDB : plus on monte dans l’échelle de revenus et plus l’adhésion pour son projet est forte, avec un noyau électoral encore très hostile aux programmes sociaux et aux politiques redistributives. La question est de savoir dans quelle proportion les votes populaires et de la classe moyenne captés par Marina se reporteront finalement vers Aecio ou Dilma », nous explique Wagner Pralon, professeur de Sciences Politiques à l’Université de Sao Paulo.
Dans la ligne de Cardoso Au cœur du débat, l’avenir du programme social Bolsa Familia, toujours très critiqué par la base militante du PSDB. Aecio veut rassurer : non, il ne touchera pas aux allocations de 14 millions de familles pauvres. Il promet même « d’améliorer ce programme », voire de le sanctuariser en le transformant en politique d’Etat. « Le Parti des Travailleurs (PT) de Dilma va clairement distiller l’idée que le PSDB menace la Bolsa Familia et défendre ses programmes sociaux. De son côté, le PSDB d’Aecio va contre-attaquer sur les scandales de corruption et la situation économique », estime le consultant en marketing politique Gaudêncio Torquato, pour qui cette campagne « risque d’être dominée par le marketing négatif et le dénigrement ». Dans les cartons du PT, on s’apprête à ressortir toutes les anciennes déclarations du candidat ou de son entourage hostiles aux politiques sociales. Une stratégie porteuse quand on sait que 23% des électeurs bénéficient de ces programmes. Mais qui ne sera peut être pas suffisante dans un contexte de récession et d’inflation (+6,75% sur les 12 derniers mois). Favorable à la légalisation du mariage homosexuel, contre l’avortement et pour l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans, Aecio Neves défiera la présidente sortante sur son bilan économique plus que sur le programme sociétal. Très à l’aise lors des débats télévisés du premier tour, parlant sans notes, il promet de réduire de moitié l’inflation en deux ans, par une réduction des dépenses publiques et une nouvelle politique monétaire. Aecio Neves affiche ostensiblement le soutien de son mentor, Fernando Cardoso, l’ex président brésilien qui a sorti le Brésil d’une spirale inflationniste pendant les années 90. « Il a une vraie filiation idéologique avec Cardoso, il a même annoncé qu’il nommerait Armínio Fraga l’ex-directeur de la Banque central de Cardoso comme ministre de l’Economie. Mais il reste encore vague sur les coupes budgétaires que cela implique. Et très ambigu sur l’ampleur de l’ajustement structurel, qui risque vraisemblablement d’être violent », estime Wagner Pralon, professeur de Sciences Politiques à l’Université de Sao Paulo.
Défaites à domicile Si l’on devrait voir surgir des courbes comparées des performances économiques des deux ex-présidents Cardoso et Lula, l’économiste, âgé de 54 ans, devra également défendre son bilan à la tête de l’Etat du Minas Gerais, où il vante son « choc de gestion » et sa politique « zéro déficit ». Soit l’art de « faire plus avec moins » qu’il promet au niveau national. En coupant les budgets et en gelant les salaires des fonctionnaires, il a réduit le poids de l’endettement du second pôle économique du pays. Une politique qui lui aurait valu « un taux d’approbation de 91% de la population » à la fin de son mandat de gouverneur, aime-t-il répéter. Mais qui laisse un bilan économique en demi-teinte : le Minas Gerais reste encore largement endetté et n’a pas sur-performé en matière de croissance pendant son mandat. Au soir du premier tour de la présidentielle, la vitrine économique de Neves paraissait moins alléchante qu’annoncé : il était devancé de 4 points par Dilma dans son propre fief. Ce qui permet déjà au Parti des Travailleurs d’entonner la petite musique du « ceux qui connaissent Aecio Neves, ne votent pas pour lui ». Une vexation sur ses terres familiales, second collège électoral du pays, toutefois compensée par l’effondrement du parti de Dilma Rousseff à Sao Paulo. Dans la plus grande ville du Brésil, Aecio Neves dispose d'une avance de 4 millions de voix. Et il se paye même le luxe de battre le Parti des Travailleurs à domicile, dans ces périphéries industrielles où l’ex-métallo Lula faisait autrefois carton plein.