Brésil : l'incroyable histoire du “Gaudi des favelas“

Estevão Silva da Conceição est-il la réincarnation de Gaudi ? La folle rumeur court dans une Favela de São Paulo où les formes de la « Casa da Pedra », la maison d'Estevao, imitent à merveille les courbes végétales des constructions de l'artiste catalan. Un détail toutefois : quand il a attaqué la construction de sa demeure, ce simple jardinier brésilien n’avait jamais vu ni entendu parler des œuvres des Gaudí... Reportage.
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Brésil : l'incroyable histoire du “Gaudi des favelas“
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A Paraisópolis, dans la seconde plus grande favela de São Paulo, au cœur d’un dédale de 20 000 maisons en briques rouges, on sonne à la porte de la « Casa de Pedra », un château de près de huit mètres de haut qui intrigue les amoureux de Gaudí depuis plus de 10 ans. 
Le temps de changer son tee-shirt pour une élégante chemise, Estevão Silva da Conceição, plus connu comme le « Gaudí Brésilien », nous raconte la coïncidence qui a scellé son destin à l’oeuvre de l’artiste catalan : « quand je suis venu à habiter à Paraisópolis, j’ai fait pousser un pied de rose qui s’est mis à grandir très rapidement. Pour le soutenir, j’ai alors posé des armatures en fer, puis je les ai renforcées avec du ciment et j’y ai collé des pierres. Progressivement, j’ai construit ma maison en m’inspirant des formes de la nature » raconte le jardinier de 55 ans, qui a commencé à travailler à l’âge de 10 ans dans les champs bahianais de maïs et de haricots noirs.
Brésil : l'incroyable histoire du “Gaudi des favelas“
Le jardin de la “casa da pedra“. (Photo OB)
La rencontre
Un jour de 2000, un étudiant Espagnol qui a vu une photo de cette maison végétale tape à la porte. « Il me dit alors que mon travail ressemble beaucoup à celui de Gaudí. Mais je n’avais jamais entendu parler de cet artiste. J’avais tout conçu selon mon idée, sans rien copier sur qui que que ce soit » se défend Estevão. 
L’étudiant fait un inventaire minutieux des similitudes entre la Casa da Pedra et les œuvres de Gaudi. Les piliers de ciment en forme de troncs d’arbres, les mosaïques, les pierres et objets incrustés, jusqu’au jardin suspendu qui surplombe la structure, tout ici rappelle le style de Gaudí, pour qui la « nature s’imposait comme la mère de toutes les architectures ».
Une scène stupéfiante
Invité en 2001 par le Centre d’études de Gaudí à Barcelone, Estevão, qui n’avait jamais pris l’avion, tombe des nues en découvrant le Parc Güell : « Mon cœur s’est mis à battre très fort. C’était une sensation incroyable d’être là. Quand j’ai réalisé que dans mon coin au Brésil, je faisais quelque chose qui ressemblait au travail de cet artiste espagnol, je me suis dit que c’était une inspiration divine. » En déambulant dans le Parc, le jardinier semble attiré par un arbre. Il s’en approche pour lui donner l’« abraço », la grande accolade brésilienne. Sans le savoir, il vient de serrer dans ses bras le seul arbre planté des propres mains de Gaudí... 
La scène stupéfiante, auxquelles assistent un journaliste et Luis Gueilbur, le directeur du Centre d’études Gaudí, se propage comme une traînée de poudre dans Barcelone. On l’emmène à la rencontre d’éminents professeurs d’Arts, on lui fait visiter la Sagrada Familia, tandis qu’une équipe de télé espagnol en fait le héros d’un documentaire.
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Une pièce de la désormais célèbre maison (Photo OB)
Favelas tours
En quelques années, ce modeste « favelado » qui a écumé le Nordeste et la région de São Paulo au gré de ses emplois de maçon, de portier ou de monteur d’échafaudage, fait l’objet de dizaines de reportages. De l’édition brésilienne du magazine Vogue aux articles universitaires publiés par l’USP, la meilleure université de São Paulo, sans oublier La Globo, la première chaîne brésilienne qui se passionne pour le prodige de Paraisópolis.
Lui n’y voit que des avantages. « Avant, les voisins de la favela n’accordait pas de valeur à mon travail. Mais maintenant que je suis passé à la Télé, j’ai un peu plus de prestige… Toute la favela sait où se trouve la Casa da Pedra » confie fièrement le jardinier. 
Ses voisins se sont aussi habitués à un étrange ballet de curieux autour du foyer qui abrite la femme et les deux enfants d’Estevão. Depuis l’avènement des « favelas tours » à Rio, des excursions touristiques sont aussi menées dans les quartiers pauvres de São Paulo, pour la somme de 200R$ (75€) la demi-journée. Estevão n’a rien contre, c’est un bon moyen de vendre les vases qu’il fabrique pour arrondir ses fins de mois. Il voit ainsi défiler le monde entier, des touristes espagnols, australiens et même chinois. Mais il s’agace un peu d’avoir vu récemment « une vingtaine de personnes visiter la maison avec un guide, sans même laisser les 10R$ (3€70) de participation. Pourtant, quand on va dans un musée on paye avant d’entrer non ? » demande-t-il malicieusement.
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“Cette maison ne sera jamais terminée“, reconnaît l'artiste. (Photo OB)
Une vie d’artiste ?
De cette soudaine notoriété, Estevão aura tiré une reconnaissance artistique qui lui a permis de réaliser une poignée d’œuvres pour la ville ou quelques particuliers des beaux quartiers. Mais pour vivre, il continue de travailler comme jardinier dans un immeuble résidentiel. Et d’engloutir ses maigres revenus dans les mille et un objets – les montres, les assiettes, les téléphones - qui ornent chaque centimètre de sa bâtisse de 75 mètres carrés. Sans oublier « le ciment, qui augmente beaucoup ces derniers temps » nous précise Edilene, l’épouse d’Estevão.
Est-il satisfait de l’œuvre de sa vie, en chantier depuis maintenant 27 ans ? « Cette maison ne sera jamais terminée » lâche-t-il du tac au tac, avant de prendre congé pour partir au travail. On pense à la Sagrada Familia, laissée inachevée par l’architecte catalan. Mais le Gaudí Brésilien, qui vient de troquer son élégante chemise pour un simple tee-shirt et une casquette à l’envers, part déjà retrouver sa vie de jardinier.

En images : une infinité de détails

08.01.2013Par Octave Bonnaud