Fil d'Ariane
C'est un retour historique pour Lula. À 77 ans, cet ancien métallo débutera son troisième mandat le 1er janvier 2023, 12 ans après avoir quitté le pouvoir sur une popularité record (87%), mais aussi après être passé 580 jours par la case prison, pour corruption finalement annulées pour vice de forme. "On m'avait enterré vivant!", a lancé l'icône inoxydable de la gauche, qui a comparé sa victoire à une "résurrection".
On m'avait enterré vivant ! Luiz Inacio Lula da Silva, le soir de son élection.
Luiz Inacio Lula da Silva a obtenu 50,9% des voix au second tour, contre 49,1% pour le président sortant d'extrême droite Jair Bolsonaro. Tout en se félicitant de sa victoire, Lula s'est toutefois dit "inquiet" du silence assourdissant de son adversaire, qui n'avait toujours pas reconnu sa défaite plus de quatre heures après le résultat. "Dans n'importe quel pays au monde, le candidat défait m'aurait déjà appelé pour reconnaître sa défaite. Il ne m'a toujours pas appelé, je ne sais pas s'il va appeler et s'il va reconnaître" sa défaite, a déclaré Lula en s'adressant à ses partisans.
"J'aimerais bien être juste heureux, mais je suis moitié heureux, moitié inquiet", a-t-il insisté. Le silence du chef de l'Etat sortant était troublant, y compris sur les réseaux sociaux, ou il est d'habitude très actif. Jair Bolsonaro s'est rendu lundi matin au Palais du Planalto, le siège de la présidence, sans faire la moindre déclaration, d'après un photographe de l'AFP.
Le blocage d'axes routiers dans au moins 11 États et à Brasilia, par des camionneurs bolsonaristes et autres manifestants portant souvent le t-shirt jaune et vert de la droite radicale, inquiétait aussi.
C'est la première fois qu'un président brésilien échoue dans sa tentative de réélection. "À partir du 1er janvier, je vais gouverner pour les 215 millions de Brésiliens et Brésiliennes, pas seulement ceux qui ont voté pour moi", a dit Lula.
"Personne ne veut vivre dans un pays divisé, en état de guerre perpétuelle. Ce pays a besoin de paix et d'unité. (...) Il n'y a pas deux Brésil, nous sommes un seul peuple, une seule nation", a insisté l'icône de la gauche, en référence à la présidence clivante de Bolsonaro.
L'écart, de moins de deux points de pourcentage, est le plus serré entre deux finalistes de la présidentielle depuis le retour à la démocratie après la dictature militaire (1964-1985).
Les dirigeants du monde ont unanimement salué la victoire, de Luiz Inacio Lula da Silva face au président sortant d'extrême droite à l'issue d'une campagne ultra-polarisée. La victoire a ainsi été reçue avec une avalanche de messages, de Washington, Londres, Paris, Pékin, Moscou, New Delhi, Buenos Aires à la Commission européenne. Beaucoup de leaders ont exprimé leur impatience de renouer des relations solides et productives avec Brasilia, après quatre années d'isolement diplomatique sous Jair Bolsonaro.
De nombreux dirigeants ont saisi l'occasion de rappeler à Lula à quel point le dossier de la protection de l'Amazonie, où la déforestation a battu des records depuis 2019, était prioritaire pour l'avenir de la planète.
"Ensemble, nous allons unir nos forces pour relever les nombreux défis communs et renouer le lien d'amitié entre nos deux pays", a écrit le président français Emmanuel Macron dans un message sur Twitter
Toutes mes félicitations, cher @LulaOficial, pour ton élection qui ouvre une nouvelle page de l'histoire du Brésil. Ensemble, nous allons unir nos forces pour relever les nombreux défis communs et renouer le lien d'amitié entre nos deux pays.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) October 30, 2022
"J'adresse mes félicitations à Luiz Inacio Lula da Silva pour son élection à la présidence du Brésil à la suite d'élections libres, justes et crédibles", a déclaré Joe Biden, président des États-Unis dans un communiqué.
I send my congratulations to Luiz Inácio Lula da Silva on his election to be the next president of Brazil following free, fair, and credible elections. I look forward to working together to continue the cooperation between our two countries in the months and years ahead.
— President Biden (@POTUS) October 31, 2022
La victoire de Lula a été saluée par des feux d'artifice et des cris de joie dans de grandes villes comme Rio de Janeiro et Sao Paulo, où des centaines de milliers de personnes faisaient la fête dans la rue, ont constaté des journalistes de l’AFP.
"Lula, c'est un synonyme d'espoir, l'espoir de voir des jours meilleurs", a déclaré Alexandra Sitta, enseignante de 48 ans, qui fêtait la victoire du candidat de gauche à Sao Paulo.
Sur l'emblématique Avenue Paulista, une foule compacte de plusieurs centaines de milliers de personnes est venue acclamer le président élu.
"La démocratie est de retour au Brésil, la liberté est de retour!", a-t-il scandé depuis une estrade, devant une foule gigantesque en liesse.
"Notre pays est trop grand pour être relégué au triste rôle de paria", a déclaré le président élu dans son discours de victoire, assurant que le Brésil était "de retour" sur la scène internationale.
Lula a également évoqué le sujet brûlant de l'Amazonie, où la déforestation et les incendies ont fortement augmenté sous le mandat de Jair Bolsonaro. "Le Brésil est prêt à jouer à nouveau les premiers rôles dans la lutte contre le changement climatique. Le Brésil et la planète ont besoin d'une Amazonie en vie", a-t-il dit.
"Le cauchemar est enfin terminé. Lula doit agir fermement et rapidement sur l'environnement", a réagi le collectif d'ONG Observatoire du Climat.
Les Bolsonariste, eux, étaient particulièrement amers.
"Je suis révoltée, le peuple brésilien ne va pas avaler une élection manipulée comme cela et remettre le pays entre les mains d'un bandit. Bolsonaro doit agir vite, sinon, on ne pourra plus rien faire", dit Ruth da Silva Barbosa, enseignante de 50 ans, dépitée après avoir suivi le dépouillement à Brasilia.
Mais plusieurs alliés importants de Jair Bolsonaro ont reconnu sa défaite, comme l'ancien juge anticorruption Sergio Moro.
"La démocratie est ainsi. Je serai dans l'opposition en 2023", a tweeté celui qui avait envoyé Lula en prison.
Douze gouverneurs d'Etats brésiliens ont également été élus dimanche, dont le bolsonariste Tarcisio de Freitas dans l'Etat de Sao Paulo, le plus peuplé et le plus riche du Brésil.
Le mandat de Lula s'annonce compliqué. Anticipant déjà des difficultés, il avait souhaité dimanche que "le gouvernement (sortant) soit civilisé" et comprenne qu'"il est nécessaire de faire une bonne passation de pouvoir".
Lula va devoir rassembler un Brésil malmené par quatre années de gestion tumultueuse de son prédécesseur, un pays coupé en deux par la campagne la plus polarisée et brutale de son histoire récente.
"La moitié de la population est mécontente" du résultat, note pour l'AFP Leandro Consentino, un politologue de l'Université privée Insper de Sao Paulo. 58 millions d'électeurs ont voté Bolsonaro : "Lula va devoir pacifier le pays".
L'icône de la gauche va aussi devoir composer avec un Parlement que les élections législatives du 2 octobre ont fait pencher davantage vers la droite radicale. Le Parti libéral (PL) de Jair Bolsonaro est alors devenu la première formation à la Chambre des députés comme au Sénat.
Lula a réuni une coalition hétéroclite d'une dizaine de formations autour de son Parti des Travailleurs (PT) et va devoir user tous ses talents de négociateur pour gouverner au centre.
Dans les deux mois de transition, le futur président doit faire des annonces sur la composition de son gouvernement. Lula pourrait laisser place à davantage de diversité dans son équipe : des femmes -il n'en reste plus qu'une dans le dernier gouvernement Bolsonaro- des personnes de couleur et des indigènes, dont un représentant devrait prendre la tête d'un ministère nouvellement créé des Affaires autochtones.
Autre défi de taille pour Lula : il devra financer les politiques sociales promises, mais sans la croissance économique sous ses précédents mandats (2003-2010).