Il fait l'éloge d'un tortionnaire, traite de "salope" une coparlementaire et affirme qu'il préfèrerait son fils mort qu'homosexuel. Et pourtant, la popularité de Jair Bolsonaro ne cesse de croître dans un Brésil en pleine impasse politique.
Dimanche 17 avril 2016. Au Parlement de Brasilia, un vote entérine à une écrasante majorité la procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff. Devant des millions de téléspectateurs, les députés ont chacun quelques secondes pour motiver leur choix au micro. Et Jair Bolsonaro, député du Parti Progressiste, conservateur et libéral, de dédier son vote "
à la mémoire du colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, la terreur de Dilma Rousseff".
Eloge de la terreur
Une déclaration saluée par quelques huées, sans plus, alors que le député PP vient de faire l'éloge d'un tortionnaire en plein hémicycle. Car le colonel Ustra, décédé en 2015, fut le très redouté chef de la police politique durant la dictature, dans les années 1970. Responsable d'au moins 60 morts ou disparitions d'opposants au régime, il reste fortement soupçonné de centaines d'autres.
"
Ils (la gauche)
ont perdu en 1964, ils perdent maintenant en 2016", ajoute celui qui fut parachutiste dans l'armée sous la dictature. Une allusion au coup d'Etat militaire qui renversa la république.
La déclaration de Bolsonaro se voulait délibérément cruelle envers Dilma Rousseff ; jeune guerillera marxiste dans les années 1970, elle avait alors été emprisonnée et torturée. Deux jours plus tard, devant des journalistes étrangers à Brasilia, la cheffe de l'Etat estimait qu'il était "
lamentable de voir quelqu'un voter en rendant hommage au plus grand tortionnaire que le Brésil ait connu...
J'ai bien connu ce monsieur (Ustra)
auquel il (Bolsonaro)
se réfère, a-t-elle ajouté.
C'était le plus grand tortionnaire de l'époque".
Misogyne, raciste, homophobe et... élu
Sourire carnassier et visage crispé, Jair Bolsonaro affiche haut et fort des opinions de droite, tendance extrême droite, qui déchaînent les réseaux sociaux.
Sur le Web, plusieurs pétitions réclament des poursuites judiciaires contre celui qui ose faire l'"apologie de la torture".Beaucoup de Brésiliens ne goûtent pas davantage les sorties sexistes de Bolsonaro contre une parlementaire du Parti des Travailleurs, Maria do Rosario. En 2003, il l'avait traitée de "
salope" :
En 2015, il lui avait lancé: "
Je ne te violerais pas. Tu ne le mérites pas". Il s'en est également pris à Eleonora Menicucci, ministre du Droit des femmes, qualifiée de
"grosse gouine". Une sénatrice du Parti socialisme et liberté (PSOL), classé à gauche, a demandé qu'une enquête soit ouverte. Jair Bolsonaro a rétorqué qu'il
"répondrait [à cette demande]
que sur du papier toilette", car le PSOL "
est un parti de connards et de pédés."
Entre autres propos homophobes, il affirme qu'il préférerait que son fils meure dans un accident plutôt que de le savoir homosexuel :
"Pour moi, il serait de toute façon mort." A plusieurs reprises, il s'en est pris à Dilma Rousseff, qui voulait sensibiliser les jeunes enfants à l'homophobie dans les écoles. Lors d'une audition à la Chambre des députés, il lui a demandé
"d'arrêter de mentir" et
"d'admettre son amour pour les homosexuels", assume-t-il sur son site "
Terra : les 10 polémiques de Bolsonaro".
Vent en poupe
Au Parlement, ces idées extrémistes ne restent pas sans réaction : ce dimanche 17 avril, le député d'extrême gauche Jean Wyllys lui a craché au visage après s'être élevé contre "
les tortionnaires lâches" qui veulent évincer Mme Rousseff.
Mais dans un pays où la cheffe de l'exécutif se dit victime d'un "
coup d'Etat" institutionnel, où le vice-président Michel Temer qui pourrait la remplacer est tout autant impopulaire, et où 60% des députés sont dans le collimateur de la justice pour des affaires de corruption, les harangues de ce député du Parti progressiste (PP), le mal nommé, parviennent à séduire. En 2014, Bolsonaro était le député régional le mieux élu de l'Etat de Rio de Janeiro : il remportait son 6ème mandat avec 464 000 voix.
Plus dangereux que Trump ?
Jair Bolsonara aime à se présenter comme celui qui ose tout. Et pourtant, il demeure un élu marginal. La plupart des Brésiliens ont tourné le dos à l'époque de la dictature militaire, et une majorité d'entre eux ont voté quatre fois de suite pour le Parti des travailleurs (PT, gauche), portant au pouvoir Luiz Inacio Lula da Silva puis sa dauphine Dilma Rousseff.
Drainant le ressentiment de la population, il est donc perçu comme possible candidat à l'élection présidentielle. Un sondage
Datafolha du 10 avril lui attribue 8 % d'intentions de vote à la présidentielle de 2018, deux fois plus qu'en décembre 2015.
Il se trouve actuellement en quatrième position, mais loin devant le vice-président Michel Temer (1 à 2%), censé remplacer Mme Rousseff si elle était écartée du pouvoir. Son compte Facebook enregistre près de 3 millions d'abonnés, ce qui en fait le deuxième politique le plus populaire au Brésil.
"
Après ce que nous avons vu ces derniers mois, personne ne peut garantir qu'il ne progresse encore plus. Je ne l'espère pas, car il est encore plus dangereux que Donald Trump", estime Sylvio Costa, du site politique
Congresso em Foco. Michael Mohallem, professeur de droit à la prestigieuse Fondation Getulio Vargas, "
ne pense pas que beaucoup de gens croient vraiment qu'il puisse devenir président", mais admet que la "
folie" actuelle joue en sa faveur.
De fait, treize ans de gouvernement de gauche ont généré une grande frustration dans une frange de l'électorat de droite exaspérée par une classe politique discréditée par les scandales de corruption à répétition. Bolsonaro est-il une bulle destinée à se dégonfler? "
Les positions extrêmes tendent à s'effilocher un peu en cas d'alternance", avance Michael Mohallem. Mais "
si les Brésiliens l'élisent, il pourrait être le dernier président élu de manière démocratique au Brésil", prévient le journaliste Sylvio Costa.