Fil d'Ariane
Partira, partira pas ? Pour de vrai ? C'est une petite musique à l’intonation sceptique qui circule dans les médias après l’ébahissement du vendredi matin. La Grande-Bretagne quitte t-elle vraiment l'Union européenne ou se prépare t-elle, après avoir bruyamment fracassé la vaisselle, à un nouveau « si tu reviens j'annule tout ». Soupçon complotiste ? L'Europe, après tout, en a vu d'autres et son histoire est parsemée de scrutins piétinés.
Le projet même des pères fondateurs de la « Communauté » ne consiste-il pas, au lendemain de la guerre, à bâtir un édifice sans l'accord préalable de peuples méfiants ? Plus près de nous, la France refuse en 2005 par référendum – après un débat très nourri malgré une campagne assourdissante pour le oui – le traité concocté par les dirigeants européens d'alors. Le « non » l'emporte à 55 % , suivi d'un vote dans le même sens aux Pays-Bas. On feint de se résigner aux verdicts mais, deux ans plus tard, les Parlements annulent de facto le mauvais choix des peuples, accouchant dans une certaine honte d'un Traité de Lisbonne dont le prix en défiance se paye encore. « Les gouvernements européens se sont ainsi mis d’accord sur des changements cosmétiques à la Constitution pour qu’elle soit plus facile à avaler », commente froidement l'ancien président français Valéry Giscard d''Estaing.
En 2008, les Irlandais rejettent à leur tour le Traité de Lisbonne par 53 %. On les fait revoter l'année suivante ; le « oui » l'emporte. Et il y a tout juste un an c'est en Grèce qu'est battu le record de voltige référendaire. Le 5 juillet 2015, ses électeurs rejettent par 61 % un plan d'aide aux allures de diktat imposé par les bailleurs de fonds européens. Leur Premier ministre, Alexis Tsipras s'est lui-même prononcé pour ce refus. La victoire à peine célébrée, il valide le plan repoussé par son peuple et inaugure une ère de reddition aux antipodes de son mandat initial.
Au nom de quelle fierté ou fair play désuet les Britanniques seraient-ils d'avantage contraints par leur vote du 23 juin ? Les premiers à en douter sont logiquement les europhiles britanniques inconsolables. Il s'en trouve près de quatre millions pour réclamer, dès les premiers jours, un nouveau scrutin au motif un peu curieux que le Brexit n'a pas recueilli … 60 %.
Le second, plus embarrassé, se nomme Cameron. S'exprimant lundi devant les députés à la chambre des Communes, le Premier ministre britannique indique qu'il n'entend pas « pour le moment » actionner l'article 50 qui met en œuvre le processus de sortie. Tout en admettant que le résultat du scrutin de jeudi dernier devait être accepté, il explique que cet acte relève d'une « décision souveraine » de la Grande-Bretagne et « d'elle seule », et confirme qu'il entend prendre son temps.
Son adversaire au sein des Tories, le maire de Londres Boris Johnson – grand artisan du « leave » - ne paraît, tout compte fait, pas beaucoup plus pressé. « Il n'y a nul besoin de se hâter », déclare-il à la presse dès le 24 juin, comme étonné de sa victoire. Et nombre de dirigeants politiques à demi-assommés par le Brexit tentent aujourd'hui de se ranimer en rappelant ce qu'ils n'avaient jamais dit avant : que le vote est, formellement, consultatif. On verrait même, au secours de la cause, un blocage juridique émis par le parlement … écossais, au motif d'une contradiction constitutionnelle.
Sur le continent, Angela Merkel paraît, elle aussi, bien moins impatiente de tourner la page que l’establishment bruxellois au bord de la crise de nerfs. « Je ne vais pas me battre pour un calendrier serré », avertit la chancelière allemande appelant à « ne pas tirer des conclusions rapides et simples du referendum ». Ambiguïté renforcée dimanche par une « confidence » de son proche conseiller Peter Altmaier : « la classe politique de Londres devrait avoir la possibilité de réfléchir une nouvelle fois aux conséquences d'un retrait ». Un peu plus à l’Est, le très conservateur président polonais Jaroslaw Kaczynski est plus direct encore , appelant à « des efforts pour que la Grande-Bretagne retourne dans l'Union, pour qu'il y ait un deuxième référendum. Une telle tendance existe en Grande-Bretagne ».
Les heures suivantes, pourtant, voient sensiblement refluer les espérances des tenants du « déni ». Peu avant l’ouverture du sommet de Bruxelles, Angela Merkel se montre moins douce avec son partenaire défaillant : « celui qui abandonne la famille ne peut espérer échapper aux responsabilités et conserver en même temps les avantages ». En clair, que la Grande-Bretagne ne compte pas trop sur une Europe à la carte. « Nous quittons l'Europe, mais nous ne lui tournons pas le dos », plaide pourtant Cameron, exclu du sommet … mais pas du dîner des chefs d’États. Et l’initiateur malheureux du référendum de souhaiter avec l’Union « la relation la plus étroite possible ».
À cet égard et passé les exclamations emphatiques de fin du monde, nul doute qu’il ne soit, à la longue, entendu. Même affaibli ou un temps isolé, le Royaume-Uni n’est pas changé en désert de sel pour avoir tourné le dos à l’Europe. Il demeure à ce jour la cinquième (ou sixième, selon de nouveaux calculs controversés) économie du monde.
Il n’en reste pas moins vrai que sa position commercialement forte et idéologiquement quasi-hégémonique s’en trouvera, hors coquille européenne, moins flamboyante. Et que si le Royaume Uni veut conserver son entrée dans le marché des 450 millions de consommateurs européens, il devra, a priori, en payer un double prix : la libre circulation des personnes et des biens ; une contribution élevée au budget européen. Précisément contre quoi se sont dressés les votants du Brexit.