A quelques semaines de la date fixée pour le divorce, la Première ministre britannique Theresa May prend le risque d'un affrontement avec Bruxelles et d'un Brexit sans accord. Au coeur des débats : le « backstop ». Si aucun accord n'est trouvé, certains craignent désormais une sortie chaotique de l'Union européenne, tel Graham Watson, l'ex-député européen britannique libéral, interrogé par TV5MONDE.
On connaissait
« What Else ? » (Quoi d’autre ?), avec le Brexit, on connaît désormais
« What next ? » (Quoi après ?)… Le mot-dièse
#brexitwhatnext a fait quelques émules sur le net ces derniers jours, dépassé depuis par
#WithdrawalAgreement (Accord de retrait). Preuve que le feuilleton du Brexit ne lasse pas au Royaume-Uni. Et pour cause. A deux mois de la date fixée pour le divorce Union européenne/Royaume-Uni, Theresa May n’a pas hésité, ce mardi 29 janvier 2019, à remettre sur le métier l’ouvrage – son propre ouvrage ! – en courant au bras de fer avec Bruxelles et en risquant le danger d'un
« no deal par accident », comme le suggère Graham Watson, ex-député européen libéral, invité sur notre antenne.
Dans une analyse du vote de ce mardi au Parlement britannique sur le Brexit,
Graham Watson a déclaré que Theresa May
« n'a pas de marge de manoeuvre. Elle est prisonnière de son parti. On ne peut pas exclure une intervention du Palais royal ». Et d'ajouter :
« les négociations sont finies (...) Elle a négocié cet accord et elle ne sait pas le faire approuver. Je crains une sortie chaotique de plus en plus probable ».
Au cœur de ce débat qui agitait hier la Chambre des communes, un mot, une pierre d’achoppement : le
« backstop ». L’épine dans le pied des négociations sur le Brexit. Depuis des mois, le
« backstop » –qui pourrait se traduire par
« filet de sécurité » en français – ne cesse d’inonder les discussions à Westminster (Parlement britannique) et à Whitehall (centre administratif actuel du gouvernement du Royaume-Uni) et en dehors. Décryptage.
Le « backstop » : qu’est-ce que c’est ?
Le sort de la frontière qui sépare l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, membre de l’Union européenne, est bien l'un des éléments clés des négociations sur le Brexit.
Alors que biens et personnes circulent aujourd’hui librement entre l’Ulster et l'Eire, le rétablissement d’une ligne
« dure
» entre les deux serait un retour en arrière potentiellement explosif, vingt ans après la signature des accords du
Vendredi Saint (appelé également
« accord de Belfast » signé en 1998 et mettant fin à trente années de violences).
D’où l’idée d’un
« backstop » : un
« filet de sécurité » qui permettrait d’éviter le retour de cette frontière physique (avec contrôles et infrastructures) après le Brexit et faute d’accord entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.
En somme, une solution de dernier recours pour maintenir une frontière ouverte sur l’île d’Irlande au cas où le Royaume-Uni quitterait l’UE sans parvenir à un accord global.
Le négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier, est à l’origine de cette
« clause de sauvegarde » temporaire permettant d’empêcher le retour d’une frontière physique entre les deux Irlande le temps de se mettre d’accord sur la
« relation future » entre l’UE et Londres.
Jusqu’à une date butoir fixée au 31 décembre 2020, l’Irlande du Nord resterait ainsi alignée sur les normes européennes (sanitaires, réglementaires, fiscales, etc.), alors que des contrôles seraient effectués entre l’Ulster et le reste du Royaume-Uni.
Qu’est-ce qui pourrait changer ?
À l'heure actuelle, les biens et les services sont échangés entre les deux côtés de l’Irlande avec peu de restrictions et de normes. Le Royaume-Uni et l’Eire faisant actuellement partie du marché unique et de l'union douanière de l'Union européenne, il n'est donc pas nécessaire d'inspecter les produits transitant via la douane.
Mais, après le Brexit, tout cela pourrait changer : les deux parties de l'Irlande pourraient se trouver dans des régimes douaniers et réglementaires différents, ce qui pourrait entraîner des contrôles et des restrictions à la frontière.
Le
« backstop » permettrait du coup de contrecarrer ceci.
De fait, pour les Brexiters, ce
« filet de sécurité » menotterait le Royaume-Uni à l’union douanière de l’UE et empêcherait ainsi la Grande-Bretagne de conclure des accords commerciaux dans le monde entier dans un avenir proche.
Un accord sur le « backstop » est-il nécessaire ?
Un accord sur le
« backstop » est important car l'UE n'acceptera pas une période de transition et des discussions commerciales substantielles tant qu'il ne sera pas en place.
Le Royaume-Uni et l'UE ont dont adhéré au projet dès décembre 2017, en convenant d’objectifs à atteindre comme le maintien de la coopération transfrontalière, le soutien de l’économie de l’ensemble des îles et la protection de l’accord de paix du
Vendredi Saint. Mais au-delà, il y a des différences majeures entre les deux parties.
Quelles sont les différences majeures entre les parties ?
Bruxelles avait initialement proposé une solution qui ferait en sorte que l'Irlande du Nord resterait dans l'union douanière de l'UE, une grande partie du marché unique ainsi que dans le système de TVA de l'UE.
Le
« backstop » ne s'appliquant qu'à l'Irlande du Nord, la frontière douanière et réglementaire serait essentiellement tracée au milieu de la mer d'Irlande. Ce qui signifie que les marchandises arrivant en Irlande du Nord en provenance du Royaume-Uni devraient être vérifiées afin de s'assurer qu'elles répondent bien aux normes de l'UE.
C’est ce qu'a refusé le gouvernement britannique. La Première ministre Theresa May a constamment rejeté cette proposition de l'UE, affirmant qu’elle menaçait l'intégrité constitutionnelle du Royaume-Uni.
Elle avait suggéré à la place un
« backstop » qui permettrait au Royaume-Uni, dans son ensemble, de rester aligné sur l'union douanière de l'UE et ce pendant une période limitée (jusqu’à 2020).
Sa proposition, publiée en juin 2018, avait été accueillie avec scepticisme à Bruxelles. Même si Michel Barnier n'avait pas exclu une relation douanière à long terme avec le Royaume-Uni.
Quant au
Taoiseach, le Premier ministre d’Irlande, Leo Varadkar,
il a déclaré que le « backstop » ne pouvait pas avoir de limite de temps…Theresa May, elle, n’a pas changé de cap ces derniers mois. Et cela, malgré la démission de plusieurs de ses ministres et secrétaires d’État, dont le ministre du Brexit, Dominic Raab, mi-novembre 2018 en raison du
projet d’accord qu’elle avait conclu avec les Européens sur le Brexit. Un projet qui consistait à maintenir l’ensemble du Royaume-Uni dans une union douanière avec l’UE, et qui se doublait pour l’Irlande du Nord, d’un alignement réglementaire sur l’UE.
En somme, l'Irlande du Nord resterait alignée sur certaines règles du marché unique européen si aucune autre solution ne pouvait être trouvée d'ici la fin de la période de transition en décembre 2020.
Approuvé côté européen le 25 novembre lors d’une réunion exceptionnelle du Conseil européen, cet
« accord de retrait » (Withdrawal Agreement) a posé plus de
problèmes au Parlement britannique…
Où en est-on aujourd’hui ?
Après plusieurs reports, le
« Withdrawal Agreement » a donc été présenté aux députés cette dernière semaine de janvier 2019. Différents amendements ont été votés. Dans sa tentative de sortir de l'impasse du Brexit, la Chambre des communes a notamment adopté ce 29 janvier 2018 un amendement qui donne à Theresa May le feu vert pour rouvrir les discussions avec l'Union européenne sur le fameux
« backstop ».
Notons que les députés ont également voté pour rejeter un Brexit sans accord, la petite surprise politique de la journée. Enfin, autre surprise, alors qu’il l’avait refusé jusqu’à présent, le chef de l'opposition, le travailliste
Jeremy Corbyn, a également accepté d'entamer des pourparlers avec le Premier ministre afin de trouver un moyen d'aller de l'avant.
Concernant l’amendement sur le
« backstop », au cœur de l’accord, il a été déposé par le député conservateur
Graham Brady. Celui-ci enjoint le gouvernement à rechercher des
« arrangements alternatifs » au
« backstop », même si le flou demeure sur
« ces arrangements alternatifs ». Et qu’en termes parlementaires, le Royaume-Uni n'apparaît pas plus près d'un accord qu’en décembre !
Quoiqu’il en soit, Theresa May estime néanmoins que l'amendement Brady lui donne un
« mandat » ferme pour retourner à Bruxelles afin de chercher une nouvelle version de l'accord sur le Brexit.
L’UE ne l’entend pas de cette oreille puisqu’elle a déclaré qu'elle ne souhaitait pas renégocier. Dans une déclaration publiée peu après le vote, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a déclaré :
« le backstop fait partie de l'accord de retrait, et l'accord de retrait n'est pas ouvert à la renégociation ». En déplacement avec lui à Chypre, le président français Emmanuel Macron affiche la même position affirmant que l'accord de divorce conclu en novembre était le
« meilleur accord possible et n'était pas renégociable ».Alors que le compte à rebours se poursuit jusqu'au 29 mars, date du divorce avec l’UE, Theresa May compte sur le soutien des 317 députés du Parlement britannique pour faire plier Bruxelles.
En tout cas, le vent parlementaire semble tourner favorablement à présent en direction de la Première ministre. Notamment avec la main tendue de Jeremy Corbyn. Si l’on ne peut pas encore parler de ralliement, le chef de file du parti travailliste (seul chef de l’opposition à ne pas l’avoir rencontrée jusqu’à présent) accepte désormais de s’entretenir avec Theresa May.
Une évolution à suivre de près dans le camp des travaillistes et qui pourrait, peut-être, aider la prochaine proposition de May à franchir la ligne d’arrivée…
What next ? (Et ensuite ?)
En Grande-Bretagne, le Parlement a beaucoup de travail à faire et il manque de temps. D'ici le 29 mars, le nombre de jours de séance est limité, et il y a les vacances. Enfin, il y avait les vacances. Ce 31 janvier 2019, les députés viennent d'en être officiellement privés. Bref, le mois sera encore très chargé pour eux !