Le Royaume-Uni a décidé de quitter l'Union européenne le 23 juin 2016. Le Brexit : pure catastrophe ou bien simple rééquilibrage ? Eclairage de Catherine Mathieu, économiste à l’OFCE, spécialiste du Royaume-Uni et des questions européennes.
"Quelle que soit l’hypothèse envisagée, la Grande-Bretagne s’appauvrirait de façon permanente si nous quittions l’Union européenne". Cette déclaration sans nuances est de George Osborne, le ministre des finance britannique, lors d'un discours, qui ne peut — à l'instar de tout le personnel politique favorable à maintenir la Grand-Bretagne dans l'Union européenne — envisager le Brexit autrement que par une catastrophe généralisée pour son pays.
Des études de long terme sur les effets du Brexit ont été effectuées et si une partie d'entre elles — basées sur des scénarios de protectionnisme économique— établissent un recul de la richesse nationale britannique, d'autres, au contraire, annoncent un accroissement de celle-ci. Qui croire, sachant que la science économique est loin d'être fiable et que de nombreux facteurs peuvent intervenir positivement ou négativement sur une période de 15 ans ? L'économie de l'Union européenne, quant à elle, n'est pas souvent abordée dans les scénarios de Brexit : quel impact peut-il y avoir sur le marché unique ? Et si, en fin de compte, malgré les commentaires alarmistes, une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne ne créait pas de remous particuliers ? Eclairage de l'économiste à l’OFCE, spécialiste du Royaum-Uni et des questions européennes, Catherine Mathieu.
[
Cette interview a été effectuée il y a un mois et demi, alors que les sondages ne donnaient pas le Brexit gagnant.
Catherine Mathieu s'est donc prêtée au jeu de la prospective dans le cas où le Brexit l'emporterait, ce qui est aujourd'hui le cas]
Quelles seraient les premières conséquences économiques, financières, pour le Royaume-Uni si le vote en faveur de la sortie de l’Union européenne l’emportait
Catherine Mathieu: Il faut commencer par dire qu’on n'a aucune idée précise sur le sujet en tant qu’économiste, parce que nous n’avons jamais été confrontés à un phénomène comparable. Nous sommes donc réduits à faire des hypothèses. Si on décide d’imaginer ce qu’il se passerait en cas de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, à très court terme, très vite, l’Union européenne et le Royaume-Uni se mettraient d’accord pour qu’on puisse poursuivre les activités telles qu’elles ont lieu aujourd’hui. Les deux zones sont très intégrées sur le plan des échanges commerciaux et financiers, et tout le monde a intérêt à continuer à commercer. On continuerait donc à faire ce que souhaite le Royaume-Uni dans l’Union européenne, c’est-à-dire faire partie d’un libre marché, d’échanger sans barrière douanières.
Du côté de l’Union européenne, peut-on imaginer des répercussions immédiates de cette sortie de l’Union de la Grande bretagne ?C.M : Oui, le Royaume-Uni est un contributeur net du budget européen, mais il faut garder en tête que ce budget de l’Union représente à peu près 1% du produit intérieur brut de tous les pays de l’Union européenne. Cet impact là serait très faible. A l’échelle de nos économies.
En cas de Brexit, le gouverneur de la Banque centrale britannique envisage une forte inflation et une chute de la livre sterling : qu’en pensez-vous ?C.M : La première chose que l’on pourrait se dire le lendemain d’un Brexit - que je suppose très peu probable – c'est que les marchés financiers peuvent prendre peur, et que livre sterling baisserait. [Cette prévision de l'économiste, interrogée le 4 mai 2016 se révèle exacte, la livre sterling a perdu 10% de sa valeur en une journée, ndlr]. De combien, c’est impossible de le dire, mais pas de façon durable. Le jour au Boris Johnson (le maire de Londres, ndlr) a annoncé qu’il défendrait le Brexit, le taux de change a beaucoup baissé, mais aujourd’hui il faut une loupe pour le voir. La livre est beaucoup remontée depuis. Il y aurait donc, à court terme une chute de la livre, mais pendant combien de temps ? Si les accords sont mis en place, la livre remontera, ce serait un effet ponctuel, mais il n’y aurait pas d’effet dramatique sur l’inflation tel que le décrit le gouverneur de la banque centrale. La livre est plutôt élevée par rapport à l’euro , et le déficit commercial du Royaume-Uni est important depuis plusieurs années, donc cette baisse de la livre serait plutôt une bonne chose. La Banque centrale doit normalement maintenir l’inflation à 2%, donc cette augmentation serait en accord avec ses objectifs.
Peut-on imaginer qu’à moyen et long terme le Brexit ne pénalise personne, ou même, améliore les économies des deux parties ?
C.M : Je pense qu’on peut tout à fait envisager, passée cette période de 6 mois à 2 ans maximum d’incertitude, que la sortie du Royaume-Uni pourrait n’avoir aucun effet économique négatif à terme. Ce scénario se base sur le fait que compte tenu des liens économiques des deux côtés de la Manche, on aura intérêt à conserver ce libre marché pour le Royaume-Uni. L’amélioration ne serait pas pour moi au sens strict économique, mais sur le sens de la gouvernance européenne. Le Royaume-Uni a un projet, celui d’être dans une Union uniquement du marché unique, alors que la plupart des pays de la zones euro ont un projet politique, voire fédéral. Donc le Royaume-Uni pourrait continuer son projet d’Etat souverain, d’accès au libre marché et les autres pays seraient moins entravés par lui pour avancer vers leur projet d’intégration. C’est pour ça que les pays européens orientés vers le libéralisme, comme l’Allemagne, ou d’autres veulent conserver le Royaume-Uni au sein de l'Union, puisqu’il défend leur modèle de "toujours plus de concurrence", de flexibilisation etc…
La sortie de l’Union européenne d’un poids lourd comme la Grande Bretagne, si elle se passait bien, pourrait-elle signifier le délitement de l’Union, avec d’autres pays candidats à la sortie ?C.M : Oui, probablement, puisque certains pays d’Europe centrale sont très critiques sur l’Union européenne. Mais ils n’ont pas les possibilités qu’on le Royaume-Uni avec sa banque centrale, sa plateforme financière. Ils vont donc plus réfléchir. Parmi les pays un peu plus distants vis-à-vis de l’Union européenne, et hors zone euro, il y a la Hongrie, la Tchéquie, le Danemark, voire la Suède. Mais c’est un peu hasardeux de les imaginer demander à sortir de l’Union européenne. Par contre, si le Royaume-Uni reste, il est possible que d’autres pays demandent eux aussi à renégocier avec l’Union. Le Royaume-Uni a obtenu de restreindre les droits des travailleurs provenant d’autres pays de l’Union européenne, tout en restant dans celle-ci. Le Royaume-Uni a donc ouvert une brèche avec ces accords, et d’autres pays pourraient faire la même chose. Le référendum britannique soulève un certain nombre de questions et de problèmes, mais les problèmes sont là, de toute manière, et il faut les regarder en face au lieu de les cacher.