Fil d'Ariane
Un grand show hongrois pour plus de fonds européens ? Une fois de plus, Viktor Orban a tonné lors d'un sommet crucial sur l'Ukraine, brandissant menaces de blocage et vetos de circonstance. Sans jamais sortir du jeu européen.
Le Premier ministre de Hongrie lors de la reunion du Conseil européen le 14 décembre 2023.
"Il privilégie quand même l’unité. Il ne veut pas non plus tout bloquer. Il est beaucoup plus raisonnable que l’image qu’il donne", résume une source européenne parmi les délégations réunies à Bruxelles.
"Ensuite il fait sa cuisine interne, il dit à son opinion "j'ai tenu tête, j’ai mis le veto"...".
Le Premier ministre hongrois est arrivé jeudi matin à Bruxelles en martelant : l'ouverture des négociations d'adhésion de l'Ukraine serait une "terrible erreur", ne comptez pas sur la Hongrie pour la cautionner !
À 18H30, la nouvelle tombait pourtant à la stupéfaction générale : l'UE décidait d'ouvrir des négociations qui requéraient pourtant l'unanimité. Viktor Orban est pour cela sorti de la salle du Conseil, permettant l'adoption à 26 sans formellement s'abstenir et encore moins faire blocage.
Quelques heures plus tard, au coeur de la nuit, le dirigeant populiste et ultranationaliste bloquait pourtant l'adoption d'un nouveau soutien budgétaire de l'UE à l'Ukraine à hauteur de 50 milliards d'euros.
"Veto aux fonds supplémentaires à l'Ukraine, veto à la révision du budget pluriannuel européen", a-t-il aussitôt tweeté tout en annonçant que les Vingt-Sept remettraient le sujet sur l'ouvrage lors d'un sommet extraordinaire début 2024 et que le sujet n'était donc pas clos.
Vendredi 15 décembre, il subordonnait toute levée de veto au versement de "la totalité des fonds" européens à la Hongrie encore bloqués, soit 21 milliards d'euros, en raison de la situation de l'Etat de droit dans ce pays.
Pour l'expert international François Heisbourg, qui résume tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, le dirigeant hongrois se livre avant tout à travers ce chantage récurrent à un "rançonnage".
"Il veut continuer à 'traire la vache bruxelloise' et comme c’était devenu difficile avec toutes les procédures concernant l’Etat de droit, il le fait à travers la menace de bloquer les grandes décisions", résume le conseiller de l'International Institute for Strategic Studies (IISS), à Londres.
À la veille du sommet, l'UE a déjà débloqué 10,2 milliards d'euros, tout en se refusant à faire tout lien avec les menaces de veto sur l'Ukraine, considérant que Budapest avait bien répondu aux exigences de réforme de son système judiciaire.
Mais sur l'aide financière à l'Ukraine, les 26 peuvent aussi trouver une solution en contournant la Hongrie. Comme ils l'ont fait sur l'embargo sur les hydrocarbures russes, en préservant une exception pour Budapest.
"En cas de divergence avec ses alliés, le chantage est en fait son seul outil" mais ce n'est pas forcément "une stratégie payante", considère Daniel Hegedus, chercheur au centre de réflexion German Marshall Fund.
Un responsable européen à l'AFP
Deux fois Premier ministre, de 1998 à 2002 et depuis 2010, Viktor Orban est certes le dirigeant européen en place avec le plus d'expérience de l'UE mais ses pairs savent aussi comment le "gérer", relève un diplomate européen.
"Il connaît les règles du jeu. Il sait aussi comment formuler ses messages de telle façon qu'il lui reste toujours plusieurs issues de sortie", souligne-t-il.
"Mais jeudi il a cédé" sur l'adhésion de l'Ukraine, ajoute-t-il. De la même manière, il ne s'est jamais mis en travers des trains de sanctions européens contre la Russie depuis le début de la guerre, "quoiqu'on dise de sa proximité avec Vladimir Poutine", poursuit-il.
"Viktor Orban sait quand il peut obtenir quelque chose et quand il risque de se retrouver acculé", relève également un responsable européen.
Pour le président français Emmanuel Macron, le Premier ministre hongrois "défend les intérêts" de son pays et est respecté. Mais cela implique des obligations. "J'attends de Viktor Orban dans les prochains mois qu’étant respecté (...) il se comporte en Européen et ne prenne pas en otage nos avancées politiques."
Pour Daniel Deak, chercheur à l'institut hongrois progouvernemental du 21e siècle, la Hongrie n'est toutefois "pas non plus toute seule" sur l'Ukraine. Plusieurs grands pays approuvent sa position "sans oser le dire ouvertement en raison des pressions américaines et des médias".