La lutte contre la fraude fiscale, comme celle aux cotisations sociales, doit passer par la mise en œuvre de moyens de contrôle conséquents au niveau de l'Etat. Le rapport parlementaire Bocquet-Dupont-Aignan de 2013 rappelle que "selon les éléments communiqués dans un rapport ancien de la Commission des finances du Sénat de 2007, l’Allemagne déployait pour le contrôle fiscal externe, sur place, 16.667 agents pour 7,3 millions d’entreprises et l’Italie 15.248 pour 5,75 millions d’entreprises, quand la France en avait 5.093 pour 3,6 millions d’entreprises". Au prorata du nombre d'entreprises, la France engageait 60% d'agents du fisc en moins que l'Allemagne ! En comparaison, la Belgique s'est donnée les moyens de lutter contre les fraudes à la TVA en créant une plate-forme pluridisciplinaire qui rassemble des compétences douanières, fiscales et judiciaires. Pendant ce temps-là, en France, tout passe encore uniquement par les services du fisc, totalement sous-dimensionnés au vu de l'ampleur des arnaques qui s'opèrent sur le territoire : 26.000 postes à la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) ont été supprimés depuis 2002 rappelle le rapport parlementaire — qui se questionne au passage sur "ce paradoxe d'un Etat qui veut lutter contre la fraude et supprime ses agents. D’autant plus que les effectifs affectés au contrôle fiscal 'rapportent'". Ce manque d'engagement de l'Etat et donc des responsables gouvernementaux, dans la lutte contre la fraude fiscale est particulièrement présent au niveau des banques, grandes amatrices des paradis fiscaux. L'exemple des sanctions qui devaient être prises à l'encontre des entreprises ayant des sièges dans ces mêmes paradis fiscaux référencés dans une liste noire est assez marquant. Pierre Moscovici, en janvier 2014, alors ministre de l'Economie, décide de retirer de cette liste noire deux des plus importants paradis fiscaux au monde : Jersey et les Bermudes. Le fait que BNP-Paribas soit implantée à Jersey comme de nombreuses entreprises d'assurance françaises aux Bermudes, pose obligatoirement la question du lobbying et des
pressions exercées par les multinationales sur la classe politique. Et si l'Etat pratiquait lui-même "l'optimisation fiscale" quand il est actionnaire d'entreprises, pour éviter d'être fiscalisé en France, quelle seraient les conclusions à en tirer ? C'est ce que le rapport Bocquet-Dupont-Aignan effectue, avec malice : "France Télécom a ainsi placé aux Pays-Bas les bénéfices de ses activités en Espagne, en Suède, en Irak, en République démocratique du Congo et en Moldavie, au sein d’un groupe financier administré par une société fiduciaire. EDF a trois holdings à Amsterdam, dont deux créées fin 2011, concernant, selon les informations publiées, deux centrales en Pologne reprises à EnBW. Par ailleurs, GDF Suez a soumis en 2012 à son comité d’entreprise le projet d’une filiale, basée au Luxembourg, chargée de gérer les revenus provenant de Storengy, une autre filiale chargée du stockage souterrain du gaz à l’international. Quant à EADS, c’est une société anonyme de droit néerlandais. L’argument du terrain neutre entre la France et l’Allemagne ne saurait être invoqué sérieusement ; la raison est plutôt à chercher du côté des avantages fiscaux offerts par les Pays-Bas lorsque la holding s’y est installée en 2000 - notamment les cessions de participations en exonération de plus-values." Un rapport, qui pour cet aspect, se conclu en forme de question : "Il est très regrettable que l’État français, en acceptant l’installation d’EADS au Pays-Bas, ait paru encourager l’optimisation fiscale pour ses propres entreprises. Comment dans ces conditions, peut-il demander aux entreprises françaises de ne pas se lancer dans l’optimisation fiscale ?" Effectivement, la question est d'importance. Mais qui pour y répondre ?