La polémique enfle aux Etats-Unis sur la responsabilité de Google et Facebook, les deux géants du net qui auraient "favorisé" la victoire de Donal Trump. En quoi ces entreprises participeraient-elles à une influence de l'opinion politique, au point de changer une élection ?
L'élection de Donald Trump a été un coup de tonnerre. En premier lieu médiatique, puisque les grands médias américains — mais aussi étrangers — avaient majoritairement pris parti pour son adversaire, Hillary Clinton. Personne, parmi les analystes de l'opinion politique n'a vu venir la victoire d'un candidat aussi improbable que détesté par une grande partie de la sphère médiatique.
Les instituts de sondage se sont eux aussi trompés, et une sorte de consensus général s'est en fin de compte installé cet automne, renvoyant l'impossibilité qu'un candidat aussi vulgaire dans son comportement, absurde dans ses propositions puisse l'emporter. Mais Donald Trump a gagné l'élection présidentielle américaine.
Détestation et fascination envers les médias
Les médias "de masse" sont de plus en plus contestés, dans leur choix éditoriaux, dans leurs contenus et leurs prises de position par une part grandissante de la population américaine.
Une étude de l'institut Gallup estimait en septembre 2016 à seulement 32% la part de la population américaine qui accordait encore sa confiance aux médias. Le même institut recueillait 57% de confiance envers les médias en 1997, 76% en 1976…
Sur l'engagement politique, cette confiance est fortement marquée en fonction de l'appartenance politique. Au point que 14% des électeurs républicains déclarent leur confiance aux médias, quand les démocrates leur accordent 51%. Dans tous les cas de figure, la confiance est en baisse constante — ou presque — pour atteindre les taux suivants en 2015 :
Les Américains n'ont pour autant pas déserté le poste de télé et restent de gros consommateurs de médias, dont les chaînes d'information en continu.
Ce sont les habitudes qui ont changé, dont celles de regarder des programmes en streaming ou en Vidéo à la demande, ainsi que de surfer sur Internet en même temps que "regarder" un show télévisé . Les Américains ne sont plus assis religieusement devant les programmes télévisés.
Les bulles d'informations numériques et d'influence en question
Ce qui est étudié aujourd'hui, après la victoire "inattendue" de Donald Trump, ce sont les raisons d'un emballement populaire en faveur de ce candidat, alors que tous les grands médias donnaient son adversaire Hillary Clinton gagnante, et qu'une prise de position médiatique en faveur de cette dernière s'était généralisée. Comme si la tentative d'influence des médias envers les électeurs s'était retournée contre ces premiers.
Bien entendu, des médias importants et très regardés, comme Fox News, ont fait campagne pour Trump, mais d'autres — non moins influents — ont fait l'inverse. Phénomène nouveau : des médias en ligne jusque là très confidentiels ont pris une ampleur étonnante.
Le site Breitbart.com, fondé et animé par le "suprémaciste blanc" Stephen Bannon, qui vient d'être nommé conseiller spécial de la présidence par Donald Trump, a désormais dépassé l'audience de CNN.Des études récentes indiquent que plus de 44% des Américains s'informent grâce à Facebook. Le réseau social de Mark Zukerberg, fort de ses 160 millions de comptes aux Etats-Unis (sur une population de 320 millions d'habitants) a été particulièrement actif durant la campagne électorale. Au point, pour plusieurs analystes, d'avoir permis la victoire de Trump. Non pas en ayant influencé volontairement les utilisateurs, mais en ayant permis par ses procédés d'influence algorithmique de créer des" bulles informationnelles".
"L'enfermement algorithmique identitaire" créé par Facebook est réel et logique puisqu'il est le produit du fonctionnement économique et informatique du réseau social. Facebook est gratuit d'accès et d'utilisation mais l'entreprise s'enrichit (en milliards de dollars annuels) grâce au marketing web. Les utilisateurs de Facebook sont donc "traités" par des algorithmes (des robots spécialisés) qui trient, analysent toute l'information personnelle des membres afin de les diriger, leur proposer, soumettre des liens, des comptes amis, des fils d'information, etc…
Le but de ces algorithmes est de "personnaliser l'expérience utilisateur", ce qui signifie l'orienter vers ce qui lui correspond le plus, est le plus proche de ses goûts, de ses centres d'intérêts. La récompense pour la firme californienne est de se voir payée en monnaie sonnante et trébuchante par les annonceurs qui voient les membres Facebook venir acheter leurs produits.
Cette personnalisation, dans le traitement de l'information au cours d'une campagne électorale, implique par exemple, que les personnes qui commencent à s'intéresser à Donald Trump vont se voir dirigées vers plus de pages, de comptes, de sites parlant de Donald Trump.
La même chose surviendra pour la candidate Clinton, bien entendu, ce qui a mené deux "Amériques" de Facebook à ne jamais se croiser ni échanger les mêmes informations. La bulle Trump de Facebook a grossi en parallèle de la bulle Clinton, jusqu'à l'élection. Le phénomène a été exactement le même au Royaume-Uni pour la campagne du référendum sur le Brexit…
Google et Facebook renvoient-ils la réalité ou une réalité ?
Facebook est aussi mis en cause pour avoir laissé ses algorithmes soumettre des sites de "désinformation" à ses utilisateurs, et permettre ainsi une sorte d'inflation diffamatoire à l'encontre de la candidate Clinton, tout comme permettre la propagation de mensonges fabriqués par des équipes pro-Trump.
Si Mark Zuckerberg fait son méa-culpa aujourd'hui en promettant d'empêcher la promotion de ces sites, il refuse néanmoins d'admettre le problème en tant que tel. Selon lui, "
99% des contenus présents sur Facebook sont authentiques".
Le New York Times prend le contrepied de Zuckerberg dans un article récent à ce propos :
"
Une histoire totalement fausse, affirmant que le pape François — en fait c'était un défenseur des réfugiés — soutenait M. Trump, a été partagée près d'un million de fois, et probablement vue par des dizaines de millions de comptes ", explique Zeynep Tufekci, professeur agrégé à l'Université de Caroline du Nord qui étudie l'impact social de la technologie. "
La correction de l'information a été à peine prise en compte. Bien sûr Facebook a eu une influence significative dans le résultat de cette dernière élection."
Le moteur de recherche Google n'échappe à ce phénomène et est lui aussi pointé du doigt. L'une des polémiques les plus parlantes est celle de la recherche "
final elections results" sur Google qui donnait — jusqu'à mardi — comme premier résultat un site affirmant que les 700 000 voix d'avance n'étaient pas pour Clinton mais pour Trump. Ce site,
70news est un simple blog hebergé par Wordpress (
https://70news.wordpress.com/) qui diffuse de fausses informations en parfait anonymat, sans aucun contrôle. L'information bidon sur le dépouillement en faveur de Trump — alors que la réalité est inverse — a débuté avec Twitter, puis une reprise de cette source de façon virale par différentes sources dont Facebook, ce qui a "excité" l'algorithme de référencement de Google qui l'a placé en premier de la liste sur cette recherche.
Pour l'Internaute, le moteur de recherche affiche une réalité en haut de sa première page, un site, qui devient la réalité. Alors que la réalité est toute autre.
Comment s'y retrouver ? A qui faire confiance ? Qui prend le dessus : l'information officielle, traitée par des journalistes dont le public se méfie de plus en plus, ou bien les résultats du moteur de recherche mondial et les informations des cercles Facebook ? Si un "fake" (une fausse information totalement fabriquée) peut être visionné des millions de fois, sans que des démentis sérieux ne parviennent jusqu'à ceux qui le visionnent, comment discriminer la réalité du mensonge ?
Une nouvelle donne informationnelle mondiale ?
L'élection américaine est une leçon pour le traitement de l'information. Elle révèle que désormais, ce n'est plus la qualité des propositions électorales ou leur cohérence qui comptent pour gagner une élection, mais la capacité du candidat à être diffusé de façon virale sur Facebook. Puis indexé sur Google. Et retwitté sur Twitter, etc… Cette nouvelle donne informationnelle est mondiale, puisque Facebook comptabilise 1 milliard 700 millions d'utilisateurs et que le moteur de recherche Google est utilisé à plus de 80% sur la planète.
Les médias, de plus en plus accusés de faire le jeu des "élites" et soutenir le "système"en place — comme le candidat Trump l'a affirmé tout au long de sa campagne — commencent à perdre pied. S'ils tentent de remettre la réalité et les mensonges à leur place avec de plus en plus de "fact checking" (lire notre article :
"Fact checking": l'information sous détecteur de mensonges), la problématique des bulles filtrantes de Facebook ne semble pas prête d'être résolue. "
Comment lutter contre des algorithmes qui occultent le travail journalistique au profit de n'importe quelle autre information, même la plus mensongère et fabriquée", devrait-être à l'avenir, la question centrale à se poser. Pour qui s'inquiète des effets de ces bulles.
Le populisme fonctionne par ses excès et l'appel aux émotions des électeurs. Pas à leur raison, ni à la véracité des faits. Une théorie existe sur ce sujet,
elle se nomme le "post-truth politic" (que l'on peut traduire par la "politique de la vérité émotionnelle") et devrait inciter les observateurs de l'élection américaine à une réflexion de fond sur le sujet.
Le principe de cette nouvelle approche politique est basé sur le phénomène du matraquage — des idées, des faits, des attaques — sans jamais reculer, même après la démonstration de leur aspect mensonger. La politique post-truth fait appel aux émotions des électeurs, utilise la diffamation, les théories conspirationnistes et se place toujours sur le terrain négatif. Ce nouveau modèle de politique populiste démontre que les réseaux sociaux lui servent de "chambre d'écho", ce que l'élection de Donald Trump a très bien révélé.
Facebook et Google n'ont pas fait élire Donald Trump en tant que tel, mais leurs outils en ligne ont permis — sans que personne ne puisse y faire quoi que ce soit — d'amplifier et d'accentuer toutes les théories les plus délirantes ou fausses du candidat Trump ou de ses partisans. Au point de convaincre une grande partie de la moitié des électeurs s'étant exprimés à voter pour lui ?
Cette possibilité existe. Elle semble tout à fait probable. Dans tous les cas, la vérité et la réalité ont du souci à se faire, puisque tout semble permis, et tout semble possible. Chacun dans sa bulle filtrante d'opinion. Sans jamais se rencontrer. Il n'est pas certain que la démocratie en sorte gagnante.