Dans un rapport publié ce mercredi 26 juillet, l'ONG Human Rights Watch France dénonce l'usage "routinier " du gaz poivre par la police contre les migrants à Calais. Des accusations formellement démenties par les autorités. Le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb a annoncé, lundi 31 juillet, qu'il demandait un rapport. Ces derniers mois, les critiques se font de plus en plus nombreuses contre le gouvernement sur le traitement et l'accueil réservés aux migrants, sur le sol français.
Le rapport détaille la situation en 47 pages. Intitulé
« ‘C’est comme vivre en enfer’: abus policiers à Calais contre les migrants, enfants et adultes », il montre que les forces de l’ordre à Calais, en particulier les Compagnies républicaines de sécurité (CRS), ont recours de façon routinière à la pulvérisation de gaz poivre sur des migrants, enfants et adultes, alors qu’ils sont endormis ou dans d’autres situations où ils ne représentent aucune menace. Les policiers aspergent aussi régulièrement de gaz, ou confisquent, leurs sacs de couchage, couvertures et vêtements. Parfois, ils aspergent même de gaz poivre la nourriture et l’eau des migrants.
Le rapport se base sur des entretiens réalisés en juin et juillet 2017 avec plus de 60 demandeurs d’asile et autres migrants, dont 31 enfants non accompagnés, à Calais, à Dunkerque et aux alentours.
Human Rights Watch a également rencontré le sous-préfet de Calais et le ministère de l’Intérieur à Paris, de nombreux avocats et travailleurs sociaux, ainsi que des employés et des bénévoles d’organisations non gouvernementales opérant à Calais.
Des accusations de violence régulière
Sur 60 migrants interrogés par l'organisation entre fin juin et début juillet, 55 avaient été aspergés au cours des deux semaines précédant l'entretien, et certains affirmaient l'avoir été tous les jours, affirme l'auteur du rapport, Michael Garcia Bochenek, interrogé par l'AFP.
" Les 55 avaient été aspergés dans leur sommeil", poursuit-il, indiquant avoir parlé à des groupes de "différentes nationalités" rencontrés dans
"des lieux différents", mais dont la concordance des témoignages
"montre qu'il y a un sérieux problème".
Des témoignages comme celui de Biniam T., 17 ans, un des adolescents interrogés par Human Rights Watch:
S’ils nous trouvent quand nous dormons, ils nous aspergent de gaz puis ils prennent toutes nos affaires. Ils font ça tous les deux ou trois jours. Ils viennent et prennent nos couvertures.
Biniam T., 17 ans, migrant.
Waysira, un adolescent éthiopien relate des brimades et violences quotidiennes :
"Chaque jour, la police nous poursuit. Ils utilisent leurs sprays. Ils nous donnent des coups de pied. C'est ça notre vie, tous les jours".
Selon Bénédicte Jeannerod, de HRW France,
"il y entre 400 et 500 réfugiés et migrants sur Calais et les environs. Cela fait près de 10% de cette population interrogée. Nous considérons que ces abus sont suffisamment tangibles pour les dénoncer. Ils ont déjà été dénoncés par les associations sur le terrain et par le Défenseur des droits, il y a deux semaines. Nous nous inscrivons dans ces dénonciations".
Pour l'ONG, ces agissements de la part de la police violent l’interdiction d’infliger un traitement inhumain et dégradant, mais aussi les normes internationales de comportement des forces de l’ordre, qui appellent les agents à ne faire usage de la force que lorsque cela est inévitable, et alors uniquement avec modération, de façon proportionnée aux circonstances, et toujours dans un objectif légitime de maintien de l’ordre. Règle qui est rappelée dans le
code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale.
Pour rappel, le gaz poivre -généralement utilisé contre des émeutiers- provoque une cécité temporaire et des difficultés respiratoires qui durent entre 30 et 40 minutes. Le rapport de l'ONG précise également que
"la nourriture et l'eau contaminées deviennent impropres à la consommation".
Les autorités dénoncent des allégations mensongères
Le préfet du département, Fabien Sudry, a réfuté ces accusations les qualifiant
"d'allégations mensongères et calomnieuses (...) qui ne reposent sur aucun fondement vérifié", ajoutant que
"les forces de police agissent bien entendu sur Calais dans le respect des règles de l'État de droit, avec le seul objectif de faire respecter l'ordre et la sécurité publics". Même réaction du côté des syndicats de police: David Michaux, secrétaire national du syndicat UNSA Police chargé des CRS dénonce
"un dossier à charge".
Pourtant les migrants ne sont pas seuls à se plaindre.
Christian Salomé, président de l'association "
L'Auberge des migrants" confirme les dénonciations de Human Rights Watch:
"L'équipe de HRW était présente au moment de nos distributions d'eau et elle a constaté ces faits", avant d'ajouter :
"on subit systématiquement une présence généralement bloquante des policiers et CRS. Soit ils se mettent entre les migrants et nous pour empêcher la distribution des repas, soit ils essaient de dissuader les migrants de venir manger. Quand ce n'est pas du blocage, c'est de l'intimidation. Par exemple, hier midi, 7 de nos bénévoles ont été arrêtés pendant la distribution de repas en centre-ville, ils ont été emmenés au poste de police pour vérification de leur identité et relâchés une heure plus tard". Les autorités locales et nationales nous ont dit, à plusieurs reprises, qu'elles ne souhaitent pas voir se réinstaller ce qu'elles nomment ‘des points de fixation’, à Calais ou dans la région. Donc on se demande si ces pratiques policières ne s'inscriraient pas dans une stratégie, pour dissuader les migrants de passer par Calais et de s'y installer.
Bénédicte Jeannerod, HRW France.
Lors d'une conférence de presse à Bruxelles, aux côtés de la chancelière allemande Angela Merkel (23 juin 2017), le président français Emmanuel Macron déclarait :
"nous devons accueillir les réfugiés. C'est notre devoir et notre honneur".
Alors comment expliquer, de la part de la police française, ce qui semble apparaître comme des actes de violence gratuite, ou pour le moins, un manque d'humanité? Christian Salomé, de l'Auberge des migrants avoue s'être posé la question et en discuter avec les autres associations présentes à Calais :
"J'ose espérer qu'il n'y a pas de consignes demandant aux forces de l'ordre d'être agressives. Mais je pense que ce comportement découle d'un climat général, dans la police et dans le pays, de rejet des étrangers. Cela pourrait expliquer que certains membres des forces de l'ordre se permettent de tels agissements".Bénédicte Jeannerod s'interroge plutôt sur ce qu'elle qualifie de
"déni" de la part des autorités publiques :
"ce comportement donne une image déplorable de la France et de la police française au plan international. On aurait pu imaginer que le préfet ou le ministre indiqueraient que ces actes sont isolés, qu'ils ne peuvent être tolérés, que les autorités sont prêtes à faire la lumière sur ces faits... Au lieu de cela, on nous parle d'allégations mensongères et calomnieuses. Ce déni est inquiétant et nous donne peu d'espoir de voir cesser les violences policières contre les migrants".Mais la responsable d'HRW France s'interroge :
"les autorités locales et nationales nous ont dit, à plusieurs reprises, qu'elles ne souhaitent pas voir se réinstaller ce qu'elles nomment ‘des points de fixation’, à Calais ou dans la région. Donc on se demande si ces pratiques policières ne s'inscriraient pas dans une stratégie, pour dissuader les migrants de passer par Calais et de s'y installer".Plusieurs associations ont saisi le tribunal administraif contre ces entraves à la distribution d'eau et de nourriture aux migrants. Au mois de mars, un tribunal a jugé qu'un tel comportement revenait à infliger aux migrants un traitement
"inhumain et dégrandant". Un second jugement, rendu le 26 juin, ordonnait aux autorités de fournir aux migrants un accès à l’eau potable, à des latrines et à des installations pour se doucher et laver leurs vêtements, en leur accordant un délai de 10 jours pour s’y conformer. Les autorités ont fait appel de cette décision le 6 juillet. Dans le cadre de la procédure d’appel, une audience est prévue le 28 juillet.
Une atteinte aux droits fondamentaux d'une exceptionnelle et inédite gravité.
Jacques Toubon, Le Défenseur des droits.
A la mi-juin, Jacques Toubon -
le Défenseur des droits- s'était lui aussi inquiété de la situation prévalant à Calais. A la suite d'une visite de ses services, il s'est publiquement indigné d'
"atteintes aux droits fondamentaux"d'une
"exceptionnelle et inédite gravité", dénonçant
"une sorte de traque" à l'encontre des migrants et exhortant les pouvoirs publics à
"ne pas s'obstiner dans ce qui s'apparente à un déni d'existence des exilés".
A la fin de ce rapport, Human Rights Watch émet, en partie, les mêmes recommandations que le Défenseur des droits, notamment l'autorisation des distributions de repas, la mise à l'abri des mineurs, mais aussi une parole claire, de la part du gouvernement pour signifier que
"le harcèlement policier, ou toute autre forme d'abus de pouvoir, ne sera pas toléré", selon les termes de Bénédicte Jeannerod.
A la publication du rapport d'HRW, les autorités ont fait front avec les forces de l'ordre. Elles démentent catégoriquement les accusations du rapport d'Human Rights Watch.
Le 23 juin, le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, en visite à Calais, avait même tenu à rendre hommage aux forces de l'ordre qui travaillent avec
"beaucoup d'humanité" dans des conditions
"pas toujours faciles".
"Il n'y a pas d'un côté les policiers, les gendarmes qui seraient agressifs et de l'autre des migrants qui seraient d'une douceur légendaire", avait-il fait valoir.
Il a finalement demandé un rapport ce lundi 31 juillet, à l'Inspection générale de l'administration (IGA), à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) et à l'Inspection générale de la gendarmerie (IGGN). Le ministre français a aussi précisé : "
Je rappelle que dans les forces de sécurité, il n'existe pas d'usage du gaz poivre", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse, tout en reconnaissant qu'"
il peut y avoir quelques dérapages individuellement".