Fil d'Ariane
"Seigneur, ne lâchez pas notre grappe" doivent murmurer les hommes d'église. Parce qu'au cimetière du saint Sépulcre, on parle de miracle.
La Californie est un Etat où l'eau est précieuse. Eh bien, les prêtres ont changé en vin la pluie qui ne tombait pas !
Tout commence en 2006.
Robert Seelig est directeur des services catholiques, chargé de la gestion des cimetières du diocèse. Il constate que le nombre d'enterrements diminue chaque année un peu plus.
Il s'interroge. Les fidèles ont-ils découverts le secret de l'immortalité ? Pas du tout. On meurt comme avant. Mais les habitudes funéraires des américains ont changé. Les fidèles préfèrent la crémation.
Robert Seelig confie au New York Times : "Je m’étais posé la question de savoir si les cimetières avaient encore un sens dans notre monde moderne, dit-il. Et je me suis rendu compte que le modèle avait changé. Il devait être réactualisé".
Bien vu.
Il achète donc un crématorium et constate rapidement une reprise de l' "activité". Mais le coût de l'entretien du cimetière reste élevé. Planter un demi-hectare de pelouse revient à plus de 50 000 dollars. Trois fois moins cher pour un demi-hectare de vigne.
Si Robert Seelig nourrit d'abord quelques scrupules, sa mémoire trouve opportunément un moyen de les balayer. Il pense “au corps et au sang du Christ, dit-il. Au départ je ne voulais pas me lancer dans le vin. C’est surtout le côté esthétique des vignes qui m’a attiré.”
Qui en douterait ?
Et puis, avec un bon sens affirmé : "Les cimetières sont considérés comme des espaces figés. Or les gens aiment le vin. Et ils viennent donc au cimetière dans un tout autre esprit.”
Le brave homme plante donc des vignes sur 6 hectares dans trois cimetières différents.
Contre toute attente, les raisins de cépage chardonnay, pinot noir, cabernet et zinfandel donnent un cru exceptionnel. Le New York Times précise que le cabernet sauvignon du Bishop’s Vineyard a remporté la médaille d’argent lors du concours international de Monterey. Le cabernet et le zinfandel d'un cimetière voisin s'est vu descerné la médaille d’argent du concours de San Francisco.
Le prix ? Comptez jusqu'à 160 dollars les 6 bouteilles.
Une grande partie de la production remplit le calice de 44 des 84 paroisses du diocèse, soit 7 200 bouteilles de vin de messe. On imagine une certaine forme d'allégresse chez les prêtres au moment de célébrer l'office. Un sang du Christ aussi goûteux doit réchauffer efficacement l'âme, les corps et les coeurs...
Mais le produit de la vente de ces nectars exceptionnels doit servir son prochain. Il apporte quelques coups de pouce bienvenus aux familles à faible revenu. Le diocèse prend alors à sa charge les frais de scolarité de gamins nécessiteux. Les capitaux des vins capiteux financent aussi des organismes de bienfaisance catholiques. Tout va bien dans le meilleur des mondes.
Et pour faire tourner le commerce, s'il vous plait, pas d'improvisation ! Il y a l'inévitable site internet, une page Facebook où les promotions de certains crus alternent avec de saintes paroles.
Ainsi, le webmaster n'hésite pas à évoquer la parole du pape pour célébrer la magie du vin. Citant le Pape François, le site rapporte ses propos du 8 juin : "Comment est-il possible de célébrer le mariage si vous manquez de ce que les prophètes désignent comme un élément typique du banquet messianique ?. Le vin exprime l'abondance du banquet et de la joie et de la fête !"