Cambodge : leng Thirith “trop malade pour être jugée“

Seule femme parmi les anciens dirigeants khmers rouges encore en vie, Leng Thirith, 80 ans, échappera très probablement à un procès pour crime contre l'humanité. Atteinte de la maladie d'Alzheimer, celle que l'on appellait "la première dame du régime" a été déclarée inapte à être jugée par le tribunal international de Phnom Penh. Les procureurs ont toutefois fait appel de la décision de la cour : ils réclament une libération sous conditions.
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Cambodge : leng Thirith “trop malade pour être jugée“
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Sous le régime khmer rouge, elle était ministre des Affaires sociales, mariée au ministre des Affaires étrangères et belle-soeur de Pol Pot. Aujourd’hui, il est fort probable qu’elle ne répondra jamais des chefs d’accusation de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre pour lesquels elle est poursuivie.

Cambodge : leng Thirith “trop malade pour être jugée“
Trop "folle" pour être jugée
"Les experts ont confirmé que toutes les options de traitement avaient été épuisées et que la dégradation cognitive de l'accusée était probablement irréversible", a expliqué le tribunal parrainé par l'ONU. "Dans ces circonstances, (...) la chambre est obligée d'ordonner la libération de l'accusée". Cette libération ne vaut toutefois "pas décision sur sa culpabilité ou son innocence" et n'entraîne pas la levée formelle des poursuites," précise le tribunal.

Première dame du régime khmer
Rares sont les femmes à avoir accédé au sommet de la hiérarchie des Khmers rouges, et aucune n'est allée aussi loin que Ieng Thirith. Les experts lui ont prêté une influence notable sur la direction du "Kampuchéa démocratique " qui a, entre autres, institutionnalisé les mariages forcés, Jusqu'au bout, et longtemps après la chute du régime, elle défendra le bilan du régime avant de rejeter toute responsabilité dans les faits qui lui étaient reprochés et de refuser toute coopération avec l'institution judiciaire.

Récit de Rémi Vincent, TV5Monde
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Une décision douloureuse
En août  2012, déjà, le parquet avait recommandé la libération de Thirith. Une perspective forcément douloureuse pour les familles des victimes. "La justice est dure à avaler aujourd'hui", regrettait Bou Meng, 71 ans, un des rares à être sorti vivant de la prison de Tuol Sleng, à Phnom Penh. "Ce serait très douloureux si elle simulait sa folie".
Les observateurs, eux, saluent une décision empreinte de bon sens. "Quelles que soient les accusations contre quelqu'un, il ne doit être jugé que s'il a les capacités mentales nécessaires pour se défendre", s'est félicité Clair Duffy, observatrice du tribunal pour l'Open Society Justice Initiative.

L'accusée plaide "non coupable"
En 2009, quoique déjà affaiblie, elle avait trouvé suffisamment d'énergie pour une déclaration publique de 15 minutes au tribunal, au cours de laquelle elle avait alterné l'anglais et le khmer. "Je ne sais pas pourquoi une bonne personne est accusée de tels crimes et j'ai suffisamment souffert, je ne peux pas vraiment être patiente car je suis accusée à tort", avait-elle déclaré, affirmant que "tout était fait par Nuon Chea", numéro deux et idéologue des Khmers rouges, aujourd'hui encore dans le box des accusés.
Elle "nie farouchement avoir été au fait des purges perpétrées entre 1975 et 1979. Elle a prononcé plus d'un discours qui laissent entendre le contraire", a relevé pour sa part Solomon Kane dans son "Dictionnaire des Khmers rouges" récemment réédité en 2011.

Une libération différée
Vendredi 14 septembre, la libération de l'ex-"première dame" des Khmers rouges a été retardée suite à un appel du parquet réclamant de plus amples garanties. Il estime que ses réquisitions n'ont pas été entièrement satisfaites, exige qu'elle se présente toutes les semaines aux autorités et rende son passeport - une démarche que les juges estiment impossible pour une accusée qui souffre de problèmes de mémoire.
Une chambre d'appel de la cour a 48 heures pour décider d'entendre ou non cette requête du parquet, auquel cas elle aura 15 jours supplémentaires pour trancher. En attendant, Ieng Thirith demeurera dans la prison attenante au tribunal où elle était jusqu'à présent retenue.