Canada : comment comprendre l'exclusion pour appropriation culturelle du jeune humoriste aux dreadlocks ?
A Montréal, un jeune humoriste blanc portant des dreadlocks a été interdit de participer à deux soirées d’humour en raison de sa coiffure. Sa coupe rasta est associée à des mouvements noirs et étant blanc il est accusé d'appropriation culturelle. Entretien avec l'historien et militant de la cause multiculturelle François Durpaire.
Le chanteur Bob Marley sur cette affiche d'une rue de Baltimore aux Etats-Unis est toujours le chanteur emblamatique des rasta, il portait des dreadlocks et était noir : faire comme lui en étant blanc est il un acte d'accaparement culturel ?
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Porter des attributs typiquement africains lorsque l'on est occidental et "blanc de peau" est-il un geste d'appropriation culturelle quasi raciste ? C'est ce qui a en tout cas été interprété à Montréal à l'encontre de Zach Poitras, un jeune humoriste ayant des dreadlocks, cette coiffure issue du mouvement rastafari des années 30 et mondialement connue ensuite grâce à Bob Marley. Cette interdiction de représentation scénique pour une coupe de cheveux supposée être réservée aux Noirs — mais portée par un Blanc — pose question. L'affaire fait grand bruit sur les réseaux sociaux et pour mieux comprendre le problème, nous avons interrogé François Durpaire, historien et militant de la diversité culturelle.
Pouvez-vous nous définir ce qu'est l'appropriation culturelle, puisque en France cette notion n'existe pas vraiment dans la société ?
François Durpaire
François Durpaire : Peut-être que chaque cas est singulier, et qu’il faut regarder à l’intérieur de chaque cas ce qu’il signifie. Je donne un cas très concret d’accusation d’appropriation culturelle, celui de Kathryn Bigelow, qui a réalisé le film « Detroit » en 2017 (film sur les grandes émeutes de 1967 des communautés noires contre la ségrégation). La critique qui nous revient au final est celle d’une femme blanche qui ne serait pas en mesure de parler de la cause noire et de la question de la ségrégation raciale. Quand on regarde un peu mieux les critiques à son encontre on constate que Kathryn Bigelow en tant que réalisatrice blanche a eu plus d’accès à des producteurs, à la possibilité de faire son film sur Detroit alors qu’il y a des réalisateurs noirs qui n’ont pas eu la possibilité d’accéder à ces producteurs. On est loin du racisme anti-Blancs, mais la critique est en partie justifiée.
L’appropriation culturelle est avant tout une question nord-américaine ?
F.D : Cette question de l’appropriation culturelle est quelque chose qui est typiquement nord-américain à son origine, mais qui, aujourd’hui, avec nos sociétés globalisées, est un débat qui traverse l’ensemble des communautés noires sur toute la planète. Peut-être que la racine de cela, historiquement, c’est le trauma résultant du « black face » (des blancs se griment en noirs, ndlr), qui est une appropriation culturelle violente qui resurgit aujourd'hui à travers un certain nombre d’événements. On se souvient par exemple de la vidéo très malheureuse d’un footballeur français, Griezmann, qui jouait une sorte de basketteur noir-américain en reproduisant le « black face » sans sembler comprendre ce que cela signifiait pour la communauté en question.
Zach Poitras porte des dreadlocks mais n'est pas Africain : en quoi cette coiffure peut-elle être mal considérée si elle n'est pas portée par un Africain ?
F.D : Il faut savoir si toutes les situations relèvent de l’appropriation culturelle et si un certain nombre de situations ne relèvent pas de l’inverse, c’est-à-dire d’un hommage à la culture noire. Dans le cas de Zach Poitras il est question d’une coupe rasta, reliée au mouvement rastafari qui est un mouvement de fraternité universelle et qui depuis les années 70 et 80 est porté uniformément par des jeunes hommes et femmes noirs mais ausis des blancs qui épousent la culture rastafari. Il est donc difficile de faire une réponse généraliste sur des cas particuliers. Dire qu’il est plus facile pour un jeune homme blanc canadien de porter des dreadlocks que pour un jeune homme noir n’est pas évident non plus.
Les notions de culture des dominants contre celle des dominés semble au cœur du débat. Utiliser la culture des dominés quand on est issu de celle des dominants semble pouvoir être considéré comme un geste raciste, qu'en pensez-vous ?
F.D : C’est un débat qui traverse les communautés noires et les recherches sont encore balbutiantes sur le sujet. On ne sait pas quelle est l’ampleur de ce débat et de cette critique. Ce qui se dit là est une question qui traverse l’ensemble de nos démocraties et c’est celle de la voix des dominés, bien plus que le dominant en tant que tel. Est-ce qu’il y a une volonté de dénoncer l’appropriation, ou est-ce qu’il y a une volonté de se réapproprier quelque chose ? La critique originelle à l’encontre du jeune humoriste aux dreadlocks vient d’associations noires, et l’on peut se demander si ce n’est pas plutôt une affirmation qu’un refus : « nous sommes la communauté noire et nous avons droit au chapitre ». Je pourrais dire avec un regard critique qu’il y a là certainement une erreur philosophique mais une justesse historique.
En 2019, cette histoire d’exclusion de ce jeune homme paraît injuste mais au regard de l’histoire il y a peut être des raisons d’expliquer cette volonté de réappropriation. Dans cette communauté noire beaucoup ne portent pas des rastas, ont des cheveux lisses, se blanchissent la peau, donc le mouvement est beaucoup plus complexe, dans le sens de se réapproprier sa propre culture. Les grands leaders noirs sont absents du mouvement contemporain des droits civiques, comme les grands leaders sont absents de tous les grands mouvements contemporains féministes, politiques. C’est le signe de la révolution numérique, de l’horizontalité de nos sociétés où la verticalité a disparu. Des gens aussi doués que Martin Luther King existent sûrement, mais ils sont noyés dans des hashtag…