Fil d'Ariane
Simon Jolin-Barette l’avait promis : son projet de loi sera costaud. C’est, en tous cas, la plus vaste entreprise de modernisation et d’actualisation de la loi 101, la fameuse Charte de la langue française, adoptée en 1977 par le gouvernement de René Lévesque de l’époque. 200 recommandations présentées en une centaine de page et élaborées au terme d’un an de travail, des mesures phares pour renforcer la présence et assurer la survie de la langue française au Québec.
► Création d’un ministère de la langue française au sein du gouvernement qui veillera à l’application des lois linguistiques et à la protection du français.
► Création d’un poste de « commissaire à la langue française » chargé de veiller au respect de la nouvelle loi et au traitement des plaintes.
► Le français devient la langue officielle du travail au sein de l’État québécois.
► Tout ce qui est du ressort de l’administration au Québec, incluant les municipalités, auront l’obligation de se servir uniquement du français.
► Limitation à 17,5% du nombre d’étudiants francophones dans le réseau anglophone des cégeps québécois, les cégeps étant ces institutions d’enseignement supérieur entre le lycée et l’université qui n’existent d’ailleurs qu’au Québec. Ces cégeps anglophones devenaient de plus en plus populaires auprès des jeunes francophones de la province.
► Nette prédominance du français dans tout ce qui est affichage commercial extérieur (une mesure qui mériterait d’être appliquée en France au demeurant…).
► Mise en place d’un guichet unique pour les programmes de francisation que doivent suivre tous les nouveaux arrivants au Québec.
► Enfin cette nouvelle loi de protection de la langue française devra s’appliquer dans toutes les entreprises de la province qui ont entre 25 et 49 employés, donc les petites entreprises. Les banques seront aussi soumises à la loi. Un certificat de francisation sera émis.
Le gouvernement québécois va aussi se servir d’un processus pour mettre sa loi à l’abri de toutes poursuites judiciaires pour la contester, soit le recours à la dérogation prévue par la Constitution canadienne. A noter que le projet de loi prévoit également une modification de la Loi constitutionnelle de 1867, loi fondatrice du Canada, pour affirmer la « reconnaissance de la nation ainsi que du français comme seule langue officielle et commune du Québec ».
Bref, cette réforme ratisse large : elle cherche à généraliser l’usage du français dans toutes les sphères de la société québécoise, à mettre en place une structure au sein de l’État québécois dédié spécifiquement à la protection de la langue française et à ce que l’État québécois soit l’exemple à suivre en matière d’utilisation du français.
Pas assez pour les uns, trop pour les autres, les réactions à cette réforme sont mitigées.
Les partis d’opposition s’entendent sur une chose avec le gouvernement de François Legault : il FAUT protéger davantage la langue française au Québec. Mais leurs réactions varient : pour le Parti Québécois, ce projet de loi ne va pas assez loin. "La Coalition Avenir Québec nous a servi le strict minimum" a asséné le chef du PQ, Paul St-Pierre Plamondon, qui estime que ces mesures sont superficielles et insuffisantes pour freiner le déclin de la langue française dans la province. "La réponse, c’est que le gouvernement a choisi de ne pas agir sur ce qui comptait, sur ce qui est fondamental : l’immigration, la langue de l’enseignement supérieur et la langue du travail", a poursuivi le chef péquiste.
Du côté du Parti libéral du Québec, on se réjouit de retrouver au sein de ce projet de loi des mesures qui avaient été préconisées par les Libéraux il y a plusieurs années. La cheffe Dominique Anglade accueille donc beaucoup plus positivement cette réforme mais avec une certaine prudence : "On va avoir une attitude extrêmement positive, mais on souhaite que ça ne se fasse pas dans la division » a expliqué Dominique Anglade en entrevue à la radio de Radio-Canada. Elle compte sur le débat à venir pour bonifier le texte et voir le « degré d’ouverture" du ministre Jolin-Barrette à le modifier au besoin en fonction des commentaires.
Le troisième parti d’opposition, Québec solidaire, le parti le plus à gauche sur l’échiquier politique québécois, estime que le premier ministre Legault doit "changer d’attitude" pour rallier davantage de Québécois autour de cette réforme. Mais QS estime voit plusieurs éléments intéressants dans ce projet de loi.
Pour le Mouvement Québec français, un organisme en faveur de l’indépendance du Québec et voué à la défense de la langue française, cette réforme de la loi 101 ne va pas assez loin pour assurer la survie du français au Québec. Elle devrait être assortie de cibles précises mesurables dans l’espace et le temps pour pouvoir être efficace, sinon c’est comme si « on naviguait invariablement à l’aveugle, sans cap précis, dans un océan de « bonnes intentions » et de vœux pieux » peut-on lire dans le communiqué de l’organisme. Son président estime que cette réforme ne permettra pas de renverser la tendance de déclin de la langue française.
Enfin le gouvernement de Justin Trudeau a réagi très prudemment par la voix de Mélanie Joly, ministre des Langues officielles du Canada : "La protection et la promotion du français est une priorité pour notre gouvernement. La situation du français au pays est particulière et le gouvernement a la responsabilité de protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec mais également au Québec. Notre gouvernement entend faire sa part, et ce tout en continuant de protéger les droits des minorités linguistiques".
La ministre Joly dit vouloir prendre le temps de bien lire la centaine de pages du projet de loi avant de commenter davantage.
"Solide, nécessaire, raisonnable" : tels sont les qualificatifs utilisés par le premier ministre québécois François Legault pour parler de ce projet de loi. "Comme premier ministre du Québec, ma toute première priorité c’est de protéger notre langue, a-t-il ajouté. Chaque génération qui passe a la responsabilité de la survie de notre langue, et là, c’est à notre tour. Notre génération doit porter le flambeau avec fierté".
Ce projet de loi sera étudié et débattu au sein de l’Assemblée nationale du Québec l’automne prochain. Plus de cent millions de dollars sont prévus pour assurer son application au cours des cinq prochaines années. A moins de 15 mois des prochaines élections, au cours desquelles François Legault et son équipe de la Coalition Avenir Québec tenteront de se faire réélire, nul doute que ce projet de loi sera l’un des éléments forts du bilan de ce gouvernement.