Canada : Justin Trudeau et les autochtones, entre espoir et déceptions

L’acquittement d’un fermier canadien pour le meurtre d’un autochtone de 22 ans a soulevé l’indignation dans tout le pays. Cette affaire met une nouvelle fois en lumière les tensions entre communautés natives et non-natives. Trois ans après l’élection du Premier ministre Justin Trudeau, qui a fait des droits des autochtones une priorité, nombre de promesses restent à tenir.
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Trudeau Indien
Justin Trudeau avec une coiffe traditionnelle indienne © Capture d'écran France 2, partenaire de TV5MONDE
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Colten Boushie, originaire de la Première nation de Red Pheasant (voir ci-dessous), a été abattu en août 2016. Son crime ? Etre entré en voiture, avec d’autres jeunes, sur la propriété de Gérald Stanley, dans la province du Saskatchewan, à l’Ouest du Canada. Alors que les jeunes assurent avoir réclamé de l’aide après une crevaison, le fermier suppute un vol. Il tire en l’air « pour les faire fuir », explique-t-il. Le dernier coup touche mortellement Colten Boushie à la tête. « Un accident », plaide le fermier, qui a été reconnu non coupable ce 9 février 2018.
 
Qui sont les peuples autochtones du Canada ?
- Les Indiens ou "Premières nations" : on compte actuellement 630 collectivités des Premières nations au Canada, qui représentent plus de 50 Nations et parlent plus de 50 langues autochtones.
- Les Inuits sont le peuple autochtone de l'Arctique.
- Les Métis, peuple d’origine autochtone et européenne.

Selon le Recensement de 2016 au Canada, plus de 1,67 million de personnes se sont identifiées comme des autochtones.
Quelques heures après l’annonce du verdict, des milliers de personnes manifestent dans les rues de plusieurs villes du Canada et d’Amérique du Nord pour réclamer plus de justice… mais aussi dénoncer le manque de diversité dans le système judiciaire canadien. Le jury de l’affaire Stanley ? Exclusivement composé des non-natifs dans une province où 16 % de la population est autochtone. La règle de la récusation péremptoire avait permis à la défense d’écarter du jury les candidats d’apparence autochtone sans avoir besoin de se justifier.
 
Manifestation Colten Boushie
Manifestation après l'acquittement de Gérald Stanley, déclaré non coupable de la mort de Colten Boushie © Capture d'écran Radio Canada, partenaire de TV5MONDE

« Des séquelles sur des générations »

« La situation en Saskatchewan nécessite la capacité de comprendre les relations entre les autochtones et les non-autochtones et je dirais que, en général, les Canadiens ne sont pas préparés adéquatement pour les complexités des 150 dernières années », avait déclaré Niigaan Sinclair, professeur d’études autochtones à l’Université du Manitoba, lors du procès. 

150 ans d’histoire mêlant colonisation, exploitation, maltraitance, racisme : « Les pensionnats – où des dizaines de milliers d’autochtones ont été enrôlés et maltraités – mais aussi « la rafle des années 1960 » lorsque le gouvernement a organisé l’enlèvement et l’adoption forcée de milliers d’enfants dans des familles blanches, ont laissé de graves séquelles sur des générations », explique une psychologue française installée en Colombie Britannique qui exerce auprès de Premières nations. 

Alcoolisme, violences conjugales et sexuelles, dépression, isolement, c’est le lot d’encore beaucoup d’entre eux à travers le pays. En 2016, la série de tentatives de suicides dans la communauté d'Attawapiskat au nord de l’Ontario, avait créé une onde de choc dans le pays : « Ce n’est pas un problème de santé mentale. (C’est) une réponse terrible mais naturelle à la colonisation », avait commenté le psychologue Darien Thira lors d’une conférence en Saskatchewan.

Que ce soit en milieu urbain ou en réserves, les conditions de vie des peuples autochtones sont souvent très précaires : « Tous n’ont pas accès à l’eau potable », souligne la psychologue. Et « certains, abîmés par des décennies de cette colonisation, sont en perte de repères... prendre soin d'eux et de leur environnement est très difficile », affirme-t-elle. Malgré tout, « c'est une population particulièrement résiliente, au vu des épreuves qu'elle a traversées », conclut la psychologue.
 
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Trudeau à la manœuvre 

L’arrivée du libéral Justin Trudeau à la tête du Canada annonçait un renouveau après des décennies du parti conservateur. Le Premier ministre a d’ailleurs multiplié les gestes d’ouverture. Un mois après son élection, il avait par exemple demandé publiquement pardon aux autochtones des pensionnats. 
 Dans l’affaire Boushie, Justin Trudeau a rapidement réagi sur Twitter, déclarant sa sympathie à la famille de la victime avant d’aller à sa rencontre et de montrer sa disposition à réfléchir au processus de sélection des jurés
 
Dernière annonce en date : la création d’un nouveau cadre de reconnaissance et de mise en œuvre des droits en partenariat avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. « La réconciliation nous appelle à faire face à notre passé et à nous engager à créer un avenir plus prometteur et inclusif. Nous devons reconnaître qu’au cours de plusieurs siècles, des pratiques coloniales ont nié les droits inhérents des peuples autochtones », a déclaré le Premier ministre. Un projet de loi devrait être déposé d’ici la fin de l’année.

De quoi certainement en finir avec la politique très conservatrice de son prédécesseur Stephen Harper, qui avait, entre autre, toujours refusé d’ouvrir une enquête sur les femmes autochtones disparues.
 Peut-on pour autant parler de réconciliation ? Pas tout à fait. « Plusieurs dirigeants des Premières Nations ont commenté, certains avec scepticisme, d'autres avec prudence, le plan présenté par le premier ministre du Canada concernant la reconnaissance de leurs droits », relate Radio Canada.

Méfiance donc, car les décisions du Premier ministre n’ont pas toujours été en faveur des natifs.

Principal reproche : sa politique climat, bien loin des engagements pris lors de la Cop 21 à Paris en 2015. Justin Trudeau avait notamment promis de « respecter les traités avec les peuples autochtones ». Mais après avoir salué la décision du président américain Donald Trump en 2017, de reprendre la construction d’un oléoduc entre les Etats-Unis et le Canada, devant passé par le Saskatchewan, sur les terres ancestrales des Amérindiens, c’est sous les huées que Justin Trudeau a prononcé début février son discours à Nanaimo, en Colombie Britannique, alors qu’il tentait de justifier le projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain du Canada vers l’Asie.

Si certaines communautés sont encore très désorganisées, d’autres émergent. Le mouvement #IdleNoMore, « la passivité, c’est fini », en est la parfaite illustration pour ces cinq dernières années. Lancé sur Twitter, ce mouvement de défense des droits des autochtones en Saskatchewan réunit aujourd’hui un vaste réseau de militants à travers le pays, qui compte bien continuer à faire entendre leurs voix. Le Premier ministre est prévenu.
 
Mouvement Idle No More :
- 400 000 personnes
- 150 000 abonnés Facebook
- 39 000 abonnés Twitter
- 600 sections dans le monde
Source : Alex Wilson, figure du mouvement Idle No More