Fil d'Ariane
Le premier ministre conservateur Stephen Harper a probablement eu du mal à avaler son café en lisant les journaux mercredi matin : un dernier sondage place son parti en troisième position dans les intentions de vote, avec 26%. Une mauvaise nouvelle, d'autant que la problématique des migrants s'invite avec force dans la campagne électorale.
Trois facteurs expliquent les difficultés des Conservateurs : tout d’abord la reprise, courant août, du procès de Mike Duffy, un Sénateur conservateur accusé notamment de fraude et de corruption pour avoir reçu des allocations de logement qu’il n’aurait pas dû réclamer. Cette histoire a impliqué très étroitement des membres du cabinet de Stephen Harper, dont son ex-chef de cabinet, et ce scandale des dépenses du Sénat, comme on l’appelle, traîne dans la campagne conservatrice comme un boulet.
Ensuite, l’entrée officielle du Canada en récession, résultat de six mois de ralentissement économique en grande partie dû à la chute des prix du pétrole, est littéralement venue couper l’herbe sous le pied des Conservateurs qui misaient sur les bons résultats de l’économie canadienne pour inciter les électeurs canadiens à leur confier un quatrième mandat. Du bonbon pour les Libéraux et les Néo-Démocrates qui ont déclaré que cette récession est le fait des politiques du gouvernement Harper et qu’il est temps de changer de gouvernement en précisant qu’ils ont chacun le bon programme pour relancer l’économie canadienne. Stephen Harper a beau tenter de se sortir de ce pétrin économique en déclarant que les Conservateurs sont la meilleure équipe pour remettre les indicateurs économiques au vert et qu’on ne peut pas faire confiance aux Néo-Démocrates et aux Libéraux, cette récession est une autre épine au flanc des troupes conservatrices.
Enfin, la crise des migrants qui secoue l’Europe a atterri dans le jardin canadien la semaine dernière à la suite de la parution de cette photo choc du petit kurde Aylan Kurdi échoué sur une plage en Turquie. C’est que Teema Kurdi, la tante de ce petit garçon, vit à Vancouver depuis 20 ans et elle a fait des démarches pour tenter de faire venir le petit et le reste de sa famille à ses côtés, des démarches qui n’ont pas abouti malgré une lettre portée en mains propres au ministre de l’immigration à la Chambre des Communes par le député néo-démocrate du comté où vit la tante. Les critiques ont alors plu sur le gouvernement conservateur : pourquoi, se demande-t-on, le Canada n’en fait-il pas plus pour accueillir des réfugiés syriens ? Le Canada qui a toujours été une terre d’accueil et un pays qui s’est construit sur l’immigration…
Les Conservateurs se sont engagés à accueillir 10 000 réfugiés syriens au cours des 4 prochaines années. C’est insuffisant disent leurs adversaires : les Néo-Démocrates se disent prêts à accepter 46 000 Syriens sur une période de 5 ans, tandis que les Libéraux se proposent d’en accueillir 25 000 immédiatement. Les premiers ministres de plusieurs provinces canadiennes et les maires des plus grandes villes du pays se sont aussi proposés pour recevoir ces réfugiés – jusqu’au premier ministre du Québec, Philippe Couillard, qui a annoncé qu’il va parrainer personnellement avec sa femme une famille de Syriens. Des voix au sein même des rangs conservateurs se sont élevées d’un bout à l’autre du pays pour réclamer que le Canada en fasse davantage pour venir en aide à ces réfugiés.
Un argumentaire qui ne semble pas émouvoir davantage Stephen Harper, il a même déclaré qu’il fallait s’assurer que ces réfugiés ne représentent pas une menace pour la sécurité du pays avant de les accueillir ici et il a précisé que le Canada devait maintenir sa participation dans les opérations aériennes de la coalition contre le groupe armé État islamique en Syrie et en Irak pour tenter de résorber cette crise des migrants. Un discours militariste dénoncé par les Néo-Démocrates et les Libéraux qui s’opposent d’ailleurs à cette mission de l’armée canadienne.
La position plutôt rigide des Conservateurs par rapport à cette crise des migrants pourrait bien leur enlever encore des appuis importants, notamment dans les communautés culturelles qu’ils se sont efforcées de séduire au cours des dernières années et qui leur ont permis, en 2011, de former un gouvernement majoritaire. Il n’est peut-être pas judicieux d’invoquer la sécurité du pays alors que les Canadiens s’émeuvent de ces terribles images des migrants sur les routes de l’Europe et de leur sort désespéré…
La campagne électorale est loin d’être terminée et le scrutin est encore bien loin – le 19 octobre - mais déjà plusieurs analystes politiques ici constatent que les troupes conservatrices de Stephen Harper sont plus en mode réactif qu’en contrôle du fameux agenda électoral. On sent également très clairement que le vent du changement souffle pour une majorité de l’électorat canadien après 10 ans de pouvoir des Conservateurs… Reste à voir si ce vent va continuer à souffler et sur quel parti, entre les Néo-Démocrates ou les Libéraux…