Fil d'Ariane
Les deux établissements en question seraient le Centre Sino-Québec de la Rive-Sud, à Brossard, et le Service à la famille chinoise du Grand Montréal.
On savait déjà que la GRC enquêtait sur cinq postes de police de ce genre, dont trois dans le Grand Toronto et un à Richmond, en banlieue de Vancouver. Ces bureaux serviraient à surveiller des ressortissants chinois à l'étranger au profit du régime communiste de Xi Jinping.
Le porte-parole de la gendarmerie a confirmé que le corps policier fait enquête sur la présence de présumés postes de police chinois au Québec depuis quelques semaines et que c'était sur [leur] radar depuis un certain temps.
On a des informations comme quoi la diaspora chinoise et la communauté chinoise québécoise seraient intimidées, subiraient des pressions [et seraient] peut-être même menacées par certains individus œuvrant au sein d'un pouvoir étranger.
Le sergent Charles Poirier, porte-parole de la Gendarmerie royale du Canada.
"J’ai eu des échos de la part de différentes personnes issues de la communauté chinoise, ici, à Brossard", a confirmé la mairesse de Brossard, Doreen Assaad, évoquant un risque pour la vie démocratique dans sa municipalité.
À Brossard, c’est habituellement la Maison internationale de la Rive-Sud qui a le mandat d’accueillir et d'intégrer les immigrants, a fait savoir la mairesse au micro de Midi info, sur les ondes d'ICI Première. Le Centre Sino-Québec a justifié son existence du fait que, selon ses représentants, les services offerts n’étaient pas suffisants.
"C’est probablement vrai qu’ils offrent ce service, mais ce qui m’a surpris, c’est le niveau d’implication [sur le plan] de la politique, de la démocratie municipale", a-t-elle déclaré, ajoutant qu’elle laisserait les enquêtes suivre leur cours.
Le dossier a été confié aux Équipes intégrées de la sécurité nationale (EISN), a expliqué le sergent Poirier. C'est donc dire que l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), Citoyenneté et Immigration Canada, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et d'autres corps de police pourraient aussi collaborer à l'enquête de la GRC.
L'information, d'abord dévoilée par Le Journal de Montréal, a été confirmée à Radio-Canada par la GRC.
En tout, il y aurait plus de 50 postes de police chinois clandestins dans le monde, selon l'organisation espagnole Safeguard Defenders.
Ces révélations n’ont rien de surprenant pour l’ex-agent du SCRS Michel Juneau-Katsuya.
"J’attendais juste que, finalement, on arrive à trouver [les postes de police chinois clandestins] qui sont situés à Montréal. […] C’était juste une question de temps", a-t-il déclaré en entrevue sur les ondes d'ICI RDI.
Les pôles principaux – le quartier chinois de Montréal et la ville de Brossard – "sont les deux endroits où on retrouve une plus grande concentration de la communauté chinoise", explique Michel Juneau-Katsuya, qui a été le chef du bureau Asie-Pacifique au SCRS.
"Ce n’est pas pour nous, les Canadiens, comme pour la communauté chinoise. Eux savent qui sont ces agents, qui sont des mandataires du gouvernement chinois. Plus particulièrement d’un des cinq départements qui font du renseignement en Chine : le Front de travail uni", explique M. Juneau-Katsuya, précisant que ce département a vu son budget augmenter dans les dernières années sous la présidence de Xi Jinping.
Dans cette perspective, c’est vraiment une façon d’intimider, de surveiller, de colmater toutes critiques face à la Chine et éventuellement de recruter des gens qui vont servir d’agents d’influence et gagner des postes au niveau municipal, provincial ou fédéral. Michel Juneau-Katsuya, ex-agent du SCRS
Il ajoute que la Chine souhaite augmenter son influence à tous ces niveaux pour avoir une incidence sur la gouvernance. Ça fait partie d’une stratégie qui est déployée depuis des années, dit-il, évoquant la genèse de cette stratégie dans les années 1990.
"On veut envoyer un message très clair [aux victimes] : elles doivent nous contacter pour nous aider dans ces enquêtes", a plaidé le sergent Poirier, qui qualifie les investigations en matière d'ingérence étrangère de difficiles et très complexes.
Une ligne téléphonique spécifique – 514 939-8301 – a été mise en service afin de permettre aux victimes d'entrer facilement en contact avec un enquêteur des EISN, et ce, dans plusieurs langues.
Dans ce cas précis, on se bute à un mur du silence et on a besoin de la collaboration du public pour faire progresser l’enquête.
Le sergent Charles Poirier, porte-parole de la GRC.
"L'intimidation se fait ici, mais la pression se fait en Chine", note Michel Juneau-Katsuya. "La plupart des personnes ont de la famille encore en Chine et c’est eux qui vont subir la pression nécessaire. C’est de l’intimidation, c’est du chantage et c’est très difficile, pour la communauté ici, d’aller vers les corps policiers et de parler."
Ça va être très difficile d’obtenir la collaboration de la population, pas parce qu’ils ne veulent pas ou ne peuvent pas parler à la police, mais ils savent que si leur nom est mentionné quelque part, ça va revenir contre leur famille en Chine.
Michel Juneau-Katsuya, ex-agent du SCRS
Il croit qu’Ottawa devrait s’inspirer des mesures comme celles mises en place en Australie (ou dans d’autres régimes juridiques similaires à celui du Canada) et permettre de déposer des accusations." C’est inévitable", dit-il.
Les relations entre Ottawa et Pékin sont au plus mal depuis quelque temps. Et la présence de postes de police chinois clandestins au Canada – pour laquelle l'ambassadeur Cong Peiwu a été sermonné, en décembre – n'est pas le seul dossier à pourrir les liens entre les deux capitales.
Le gouvernement Trudeau doit notamment composer ces jours-ci avec les répercussions de reportages diffusés par le Globe and Mail et le réseau Global selon lesquels le régime de Xi Jinping se serait immiscé dans le système électoral canadien.
"C'est un enjeu qui nous préoccupe énormément et ça souligne à quel point les cibles primaires de l'ingérence étrangère, ce sont justement les communautés de diaspora", a affirmé Justin Trudeau à son entrée au Conseil des ministres jeudi matin, évoquant les cas des diasporas chinoise et iranienne.
"Il faut avoir les yeux grands ouverts", a quant à lui réagi le ministre fédéral de l'Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, appelant à davantage de vigilance devant l’ingérence étrangère.
Pour le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, le phénomène est très, très grave.
Il s'inquiète de la possible implication de ces soi-disant postes de police lors des derniers scrutins fédéraux, mais surtout dans les élections à venir, qui peuvent survenir à tout moment dans un contexte de gouvernement minoritaire.
M. Blanchet a réitéré la demande de sa formation politique pour la tenue d’une enquête publique et indépendante.
Mardi, le premier ministre a d'ailleurs esquivé plusieurs questions épineuses à propos de l'ingérence chinoise dans les élections fédérales.
La mairesse de Brossard estime qu'il ne faut pas faire porter le blâme aux citoyens d'origine chinoise. "Il ne faut pas les cibler. Il ne faut pas leur faire sentir qu’ils ne sont pas en sécurité", a-t-elle déclaré.