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Canada : le gouvernement de l'Ontario attaque de front la communauté francophone

Les francophones qui vivent en Ontario ne décolèrent pas. Leur nouveau gouvernement, d’allégeance conservatrice, a décidé de couper dans les services francophones. Tollé au Canada. Fronde parmi les députés de la majorité. Ce qu'il faut savoir de la situation dans la plus grande province du pays. 
Élu avec une majorité en juin dernier, le Premier ministre de l’Ontario Doug Ford ne donne pas dans la dentelle. Tout d’abord, il s’est fait connaître des Canadiens parce qu’il était le frère de feu Rob Ford, cet ex-maire de Toronto, qui a défrayé les manchettes des journaux pour sa consommation de crack et autres frasques liées à sa fréquentation de milieux interlopes et glauques de la ville Reine. Mais Doug n’est jamais tombé dans les travers de son frère, décédé depuis des suites d’un cancer.

On dit de lui par contre qu’il est le « Trump du nord » parce qu’il a effectivement un style bulldozer similaire à celui du président américain et qu’il partage avec lui plusieurs idées conservatrices. 
 

La francophonie lésée

C’est donc dans ce contexte que son gouvernement a annoncé, jeudi dernier, sa décision d’abolir le poste de Commissaire aux services en français, sorte de chien de garde pour les francophones ontariens afin de veiller à ce qu’ils reçoivent des services en français dans la province, et d’abandonner purement et simplement le projet déjà très avancé d’ouvrir en 2020 l’université Ontario en français, un établissement qui aurait été uniquement en français. Raisons invoquées : la nécessité de faire des compressions budgétaires majeures en réduisant notamment les services du gouvernement ontarien à ces citoyens. 

Quelles que soient les raisons derrière ces décisions, il est clair que les quelque 600 000 Franco-ontariens vont faire les frais de ces compressions. Le gouvernement Ford se défend de vouloir couper leurs services en précisant que les activités et le personnel du Commissariat aux services en français seront transférés au bureau de l’Ombudsman de l’Ontario. « Ce transfert n’aura pas d’impact sur les services offerts aux Francophones, tout ce travail va continuer à être fait dans le bureau de l’ombusdman, ces droits vont continuer à être protégés », a assuré la ministre responsable du dossier, Caroline Mulroney, fille de l’ex-Premier ministre du Canada Brian Mulroney.

De son côté, Doug Ford a rappelé que son gouvernement ne pouvait pas financer la construction de cette université francophone unilingue et qu’il y avait actuellement dix universités et collèges en Ontario qui donnent 300 cours en français pas remplis à pleine capacité. « Les gens ont été mal informés, a déclaré le Premier ministre, les médias n’ont pas donné les faits. Ce n’est rien de personnel contre les Franco-Ontariens, j’ai hérité du gouvernement libéral précédent d’un déficit structurel de 15 milliards de dollars et j’ai promis aux Ontariens de réduire ce déficit ». 

Tollé de protestations en Ontario et dans le reste du Canada

Des décisions « inadmissibles, inacceptables, scandaleuses », un « jeudi noir pour la francophonie canadienne » : les dénonciations ont fusé de toute part, principalement en Ontario mais aussi dans le reste du Canada. Le gouvernement de Justin Trudeau a joint sa voix à ce concert de protestations via sa ministre de la Francophonie, Mélanie Joly : « des coupures inacceptables »  a dit la ministre, qui en a profité pour prendre à parti le chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer, principal adversaire de Justin Trudeau lors des prochaines élections, qui se tiennent dans un an.

« On en appelle tous les partis à la Chambre des communes à s’unir pour que le gouvernement Ford fasse marche arrière car ces coupures sont complètement inacceptables, a déclaré Mélanie Joly en entrevue sur RDI. Mais que fait Andrew Scheer ? Pourquoi est-ce qu’il n’interpelle par son collègue, son ami Doug Ford pour protéger une minorité linguistique ? Cela interpelle tous les francophones au pays, et c’est une cause que j’ai extrêmement à cœur. Nous allons soutenir les organisations sur le terrain, les gens sont mobilisés, on sent une très grande colère ». 

Justin Trudeau, du fond de la Papouasie-Nouvelle-Guinée où il participait au Sommet de l’APEC, a appuyé la ministre Joly : « J'ai été profondément déçu par la décision du gouvernement de l'Ontario de réduire les services et la protection de la minorité francophone en Ontario ». La défense des droits des minorités linguistiques du pays a toujours été l’une des priorités de son gouvernement a-t-il conclu. 

Une épine dans le pied du chef conservateur canadien 

De son côté, Andrew Scheer a dit sa préoccupation au premier ministre Ford mais il a refusé de dénoncer ces décisions : « C'est à M. Ford de gérer ce genre de chose, a-t-il déclaré. Je lui ai dit que lorsque je serai premier ministre en 2019, je vais œuvrer avec mes homologues provinciaux pour d'assurer que les services en français ne seront pas affectés par ce genre de changement ». Andrew Scheer a aussi accusé Mélanie Joly de politiser le dossier. 

Il reste que toute cette histoire risque de lui coûter cher, alors qu’il est en pleine opération séduction au Québec notamment dans la perspective de ces élections dans un an. Avec ces décisions, le gouvernement conservateur de Rob Ford se met à dos la communauté francophone de la province. Et en refusant de prendre position et de les dénoncer publiquement, le chef conservateur du Canada tourne le dos aux francophones de l’Ontario mais aussi aux francophones du reste du Canada, incluant bien sûr les Québécois.

Les questions linguistiques ont toujours été très délicates au Canada et tout dossier touchant de près ou de loin aux droits des minorités linguistiques, surtout quand elles affectent les communautés francophones, ne sont ni plus ni moins que des barils de poudre sur lesquels peuvent sauter bien des chefs politiques. Clairement, ces attaques aux droits les plus élémentaires des Franco-Ontariens seront une épine au flanc d’Andrew Scheer quand il va affronter Justin Trudeau en campagne électorale l’an prochain. 

Rencontre Ford / Legault

Le nouveau Premier ministre du Québec, François Legault, s’est rapidement porté à la défense des Franco-Ontariens. Il a rencontré, ce lundi 19 novembre, son homologue ontarien à Toronto et a abordé la question avec lui en lui demandant de revenir sur ces décisions : « Je lui ai dit que j’étais déçu que le projet de l’université francophone n’aille pas de l’avant et déçu aussi que les services du Commissaire soient fusionnés avec d’autres, a déclaré François Legault après cette rencontre. Je lui ai dit que je n’avais pas aimé qu’on compare les francophones avec les Chinois ou une autre culture alors qu’on est un des deux peuples fondateurs de ce pays et qu’on a droit à des services dans notre langue ».

Le Premier ministre québécois a fait valoir à Doug Ford qu’au Québec, les anglophones avaient accès à trois universités unilingues anglophones et qu’il a la responsabilité d’offrir des services à la minorité anglophone de la province et que chaque province canadienne avait les mêmes responsabilités envers sa minorité linguistique.
 

Le sort des francophones au Canada préoccupe ceux du Québec, c’est normal qu’on ait une réaction assez dure… je lui ai demandé de revenir sur sa décision. 

François Legault. 

Mais la capacité d’intervention du Premier ministre québécois est limitée, voire symbolique. Cette rencontre avait pour but, à la base, de resserrer les liens économiques entre les deux provinces avec le renforcement du commerce interprovincial. Doug Ford s’était réjoui, en octobre dernier, de la victoire massive des troupes de François Legault. Et le nouveau Premier ministre du Québec tient à maintenir une bonne relation avec l’Ontario. 

Bis repetita ?

Toute cette histoire rappelle de douloureux souvenirs à la communauté francophone de l’Ontario, parce qu’en 1995, un autre gouvernement conservateur, celui de Mike Harris, avait décidé de fermer l’hôpital Montford, le seul hôpital francophone de la province, situé à Ottawa. L’histoire avait fait grand bruit et la communauté francophone ontarienne, mobilisée à 100%, avait traîné sa cause devant les tribunaux, et elle l’avait gagnée : l’établissement est resté ouvert.

Si les quelque 600 000 francophones de l’Ontario ont droit à un seul hôpital francophone, le million d’Anglophones du Québec, eux, ont accès à une dizaine d’établissements hospitaliers dans la belle Province. Idem pour les universités : les anglophones du Québec ont accès à trois universités unilingues anglophones, alors que les Franco-Ontariens n’ont pas d’université unilingue francophone, d’où ce projet d’en créer une en 2020. Ce qui fait dire à plusieurs qu’en matière de protection des minorités linguistiques, on a ici une situation flagrante de deux poids, deux mesures.

Les franco-ontariens ont donc la mauvaise impression que l’histoire se répète et que décidément, les Conservateurs ontariens ne les portent pas dans leur cœur. Ils sont donc prêts à se mobiliser de nouveau : des manifestations sont prévues cette semaine, l’Assemblée de la Francophonie en Ontario a mis en ligne une pétition déjà signée par plusieurs milliers de personnes.

L’organisme a réclamé une rencontre d’urgence avec Doug Ford. La communauté francophone n’exclut pas non plus d’avoir recours de nouveau aux tribunaux pour faire défendre leurs droits. L'avocat qui a plaidé la cause des francophones dans la contestation de la fermeture de l'hôpital Montfort, estime que là aussi, les tribunaux devront intervenir : « Ça ira devant les tribunaux si le gouvernement ne se rend pas compte des torts irréparables qui découleront de cette décision, a-t-il déclaré en entrevue sur RDI dimanche. Une communauté ne peut pas être victime d’un gouvernement qui veut sauver de l’argent ». 

Quoiqu’il en soit, les Franco-Ontariens montent aux barricades et ne se laisseront pas faire. Et toute cette histoire prouve, une fois de plus, que les droits des minorités francophones hors Québec sont loin d’être protégées au Canada : il suffit d’un gouvernement prêt à les sacrifier sur l’autel de la rigueur budgétaire pour que ces droits soient réduits et menacés. La préservation de la francophonie au Canada est un combat de tous les jours et ce, depuis des siècles…