Canada : le virage politique de Justin Trudeau

Élu avec une majorité confortable le 19 octobre 2015, le Premier ministre canadien Justin Trudeau et son équipe mènent depuis une opération à fond de train : ramener le Canada vers le centre après une décennie de politique très à droite menée par l’ex-Premier ministre Stephen Harper et ses troupes conservatrices. Autrement dit : à bâbord toutes !

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Le Premier ministre Justin Trudeau après une conférence de presse à Londres le 25 novembre 2015.
©AP Photo/Tim Ireland
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« Canada is back » (Le Canada est de retour, ndlr) a déclaré à plusieurs reprises Justin Trudeau dans la foulée de son élection. Une petite phrase très symbolique pour dire à la communauté internationale que le Canada comptait reprendre la place qu’il a eue pendant des décennies mais qu’il avait perdue sous la gouverne des Conservateurs de Stephen Harper.

On pense par exemple au siège que le Canada a perdu au sein des membres non permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU en 2010. Une première depuis 1948 et un revers cinglant que beaucoup d’analystes ont expliqué par la politique étrangère controversée menée par le Premier ministre de l'époque : Stephen Harper.

Le nouveau Premier ministre Justin Trudeau compte bien récupérer ce siège, il est allé en opération de charme il y a deux semaines aux Nations unies pour rencontrer le Secrétaire général Ban Ki-Moon et de nombreux ambassadeurs pour s’assurer la reconquête de cette place au sein du Conseil du Sécurité en 2020.

Redorer la réputation du Canada

La visite d’État de Justin Trudeau à Washington, sur l’invitation de Barack Obama, a aussi permis au Canada de retrouver avec les États-Unis une relation forte, ce qui était loin d’être le cas sous l’ère conservatrice, le président américain et Stephen Harper s’appréciant peu mutuellement sur les plans tant personnel qu’idéologique.
 

Justin Trudeau Barack Obama
Le Premier ministre Justin Trudeau et le président américain Barack Obama à la Maison blanche le 10 mars 2016. 
©AP Photo/Susan Walsh

Enfin, le Canada a toujours eu la réputation d’être un pays d’immigration, apôtre du multiculturalisme et ouvert sur les autres cultures. Mais elle a été malmenée par les politiques menées par les Conservateurs. Stephen Harper avait, par exemple, décidé de supprimer les soins de santé offerts aux réfugiés quand ils arrivaient au pays. Justin Trudeau vient de les rétablir.

Il vient aussi d’accueillir quelque 25 000 réfugiés syriens, c’était l’une de ses promesses électorales, alors que ces réfugiés entraient au compte-goutte sous le gouvernement Harper. Changement notoire d’attitude et de politique en la matière, donc. Mais ce n’est pas tout…

Politiques en faveur de la classe moyenne

Les gouvernements dirigés par Stephen Harper ont poursuivi obstinément un objectif durant presque 10 ans au pouvoir : atteindre l’équilibre au niveau des finances publiques : le fameux « déficit zéro ». Cela s’est traduit par des compressions majeures dans les dépenses publiques, des réductions drastiques dans les programmes sociaux, et toutes sortes de politiques visant à désengager l’État dans l’économie et la société.

Le gouvernement Trudeau prend le contre-pied de ces politiques en annonçant la mise en place d’un vaste programme d’infrastructures dans lequel seront investis 120 milliards de dollars au cours des 10 prochaines années, des investissements pour améliorer les transports collectifs, les routes, les ports et surtout relancer l’économie.

Le Premier ministre réinvestit aussi dans les programmes sociaux. Il met en place de nouvelles allocations familiales établies en fonction des revenus des parents afin de permettre aux moins nantis d’avoir plus d’argent à la fin du mois et à la classe moyenne de souffler davantage. Les programmes d’allocations familiales des Conservateurs étaient universels, autrement dit une famille aisée touchait le même montant qu’une famille pauvre. Et l’un de ces programmes était imposable. Les nouvelles allocations familiales ne le seront pas. L'Agence du revenu du Canada estime que 9 familles canadiennes sur 10 vont bénéficier de ce nouveau programme qui leur donneront, en moyenne, 2300$ de plus par an. La mesure devrait aussi, selon le gouvernement, aider 30 000 enfants à sortir de la pauvreté, l’une des priorités du Premier ministre.

Un déficit de près de 30 milliards $

Le gouvernement Harper avait introduit une réforme radicale de l’assurance-chômage : réductions des allocations et du nombre de semaines pour y avoir droit, obligation pour le chômeur à accepter un travail moins bien rémunéré et loin de chez lui au risque de se faire couper ses allocations. Le gouvernement Trudeau annule cette obligation et il augmente les allocations et le nombre de semaines admissibles.

Enfin le gouvernement Trudeau a aussi annulé la décision du gouvernement conservateur de fixer à 67 ans l’âge de la retraite, elle restera donc à 65 ans.

Résultat de ce réengagement de l’État dans l’économie et les programmes sociaux : un déficit de près de 30 milliards de dollars cette année, que l’équipe Trudeau promet de réduire de moitié d’ici 2020, année électorale. Le nouveau gouvernement canadien espère que ces mesures vont relancer l’économie canadienne, qui tourne au ralenti depuis plusieurs trimestres, en mettant plus d’argent dans les poches de la classe moyenne. Un pari risqué, critiqué par les uns et salué par les autres.

Réinvestir dans la culture et les institutions publiques

Les Conservateurs de Stephen Harper n’étaient pas férus de culture. Sous leur gouverne, les organismes publics et parapublics dédiés aux arts et à la culture ont vu leur budget rétrécir comme peau de chagrin. Sans oublier les réductions drastiques dans l’enveloppe budgétaire consacrée au diffuseur public CBC-Radio-Canada qui ont obligé la société à sabrer dans ses effectifs, une opération qui s’apparentait, aux dires de plusieurs, à un quasi-démantèlement de Radio-Canada et son pendant anglophone.

Là encore, le gouvernement Trudeau redresse la barre : il alloue 675 millions de dollars supplémentaires pour les 5 prochaines années au diffuseur public (en plus de son budget annuel).

« Nous voulons que Radio-Canada puisse remplir son mandat, c’est-à-dire de raconter des histoires et de partager des histoires du Canada dans les deux langues officielles partout au pays », a déclaré Justin Trudeau.

Du baume au cœur pour tous les artisans de CBC/Radio-Canada qui ont poussé un soupir de soulagement d’un bout à l’autre du pays.

Le nouveau gouvernement canadien rouvre également les robinets du financement pour plusieurs autres organismes : le Conseil des Arts du Canada, Téléfilm Canada, l’Office national du Film, les musées nationaux, le Centre national des arts, etc. Toutes ces institutions, qui étaient quasiment branchées sous respirateur artificiel ces dernières années, se réjouissent de cette entrée d’argent frais qui va leur permettre de remplir leur mission, soit aider et promouvoir les artistes et les arts ici et ailleurs dans le monde.

Enfin notons le retour au droit de parole des scientifiques depuis le début de l’ère Trudeau à Ottawa, eux qui se plaignaient d’avoir été muselés par les Conservateurs, surtout quand leurs recherches contrecarraient les idéaux conservateurs…

Rétablir les ponts avec les communautés autochtones

Le gouvernement Trudeau se distingue aussi du précédent par ses gestes d’ouverture envers les communautés autochtones du Canada. Tout d’abord, la mise en place, en décembre dernier, d’une enquête nationale sur les assassinats et les disparitions de plus d’un millier de femmes autochtones au cours des 30 dernières années. Cette enquête était réclamée depuis des années mais l’ex-Premier ministre Stephen Harper avait toujours refusé d’y donner suite, arguant qu’il fallait laisser la police canadienne faire son travail pour élucider ces meurtres et ces disparitions en série.

> Lire notre article sur Terriennes.

Le gouvernement Trudeau a aussi alloué une enveloppe de 8,4 milliards de dollars sur 5 ans pour améliorer les conditions de vie des autochtones, conditions de vie qui sont, pour beaucoup trop d’entre eux, absolument déplorables. Très clairement le rétablissement du dialogue avec les autochtones est une priorité pour le gouvernement Trudeau. « Il est temps que l'on bâtisse une relation saine avec les autochtones » a déclaré le nouveau Premier ministre.

La lutte contre les changements climatiques

L’autre priorité, c’est la lutte contre les changements climatiques, un domaine dans lequel les gouvernements conservateurs précédents faisaient figure de très mauvais élèves sur la scène internationale – c’est sous le règne de Stephen Harper que le Canada s’est retiré, en 2012, du protocole de Kyoto. Les Conservateurs ont également promu activement l’exploitation du pétrole issu des sables bitumineux de l’Alberta, dont les effets dévastateurs sur les émissions de gaz à effet de serre ne sont plus à démontrer.

Réduire de 30% les émissions
de gaz à effet de serre

Les Libéraux de Justin Trudeau sont arrivés à la Conférence de Paris sur les changements climatiques avec la volonté de redonner au Canada ses lettres de noblesse en matière environnementale. Le Canada s’est donné comme objectif de réduire de 30% ses émissions de gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030.

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Le Premier ministre canadien s'adresse aux représentants des pays présents à la COP21 à Paris le 30 novembre 2015. 
©AP Photo/Michel Euler


Mais le gouvernement fédéral n’a pas réussi à s’entendre avec les 10 provinces et trois territoires canadiens pour adopter une politique commune afin d’atteindre cet objectif. Ils ont, par contre, convenu de se revoir l’automne prochain afin de refaire le point sur ce plan de lutte commun et quatre groupes de travail ont été mis en place.

Malgré tout, le changement de discours du gouvernement canadien en matière environnemental est notoire. Et pas juste sur le plan écologique. Le bateau canadien vient de changer de cap, ni plus ni moins.