Fil d'Ariane
Le 28 avril, les Canadiens iront aux urnes pour choisir leur prochain gouvernement. Dans la dernière ligne droite de cette campagne électorale unique en son genre se sont tenus cette semaine à Montréal les débats des chefs, en français le 16 avril et en anglais le 17. Qui sont les gagnants, les perdants de ces deux joutes oratoires ?
Capture d'écran d'une vidéo du média CPAC du débat des chefs du 16 avril 2025
Le bleu était à l’honneur lors de ce premier débat en français. Les quatre chefs et même l’animateur, le chef d’antenne de Radio-Canada, Patrice Roy, portaient tous, soit un costume bleu, soit un accessoire bleu, le bleu qui est la couleur du drapeau du Québec…
Le débat fut très civilisé, avec peu d’attaques personnelles et aucun dérapage verbal, pendant deux heures. Il a même été devancée à 18 heures en raison de l’équipe de hockey de Montréal qui jouait son dernier match de la saison ce soir-là.
Les quatre chefs étaient Mark Carney, chef du Parti libéral du Canada, Premier ministre non élu sortant et successeur de Justin Trudeau, Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur du Canada, Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique et Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois, parti qui ne présente des candidats qu’au Québec.
Guerre commerciale entre le Canada et les États-Unis (et comment négocier avec Donald Trump), le coût de la vie, énergie et climat, immigration, affaires étrangères, souveraineté et d’identité, un large panel de sujets a été abordé.
On peut parler d’un match nul dans ce débat en français, aucun candidat ne s'et vraiment démarqué.Celui qui avait le plus à perdre, c’était Mark Carney. L’exercice était périlleux pour le chef libéral, car il est celui qui maîtrise le moins la langue française et surtout, comme il est en avance dans les sondages, il était « l’homme à abattre » pour ses rivaux.
Le Premier ministre canadien, Mark Carney, à Londres, le 17 mars 2025.
Pierre Poilievre l’a de nouveau associé à Justin Trudeau et à son statut d’ex-premier ministre. Mark Carney a ainsi répliqué : « Pierre Poilievre n’est pas Justin Trudeau, moi non plus ». Le chef libéral a précisé que depuis la mi-mars, il a réussi à s’entendre avec les premiers ministres des provinces canadiennes pour le plan à suivre dans la guerre commerciale entre le Canada et les États-Unis et qu’il avait commencé les démarches pour se rapprocher de l’Union européenne afin que le Canada diversifie ses partenaires commerciaux et réduise sa dépendance au marché américain.
Pas de gaffe non plus de la part du chef conservateur, Pierre Poilievre : il a tenté de démontrer qu’il était autant « premier ministrable » que Mark Carney. Avec un ton calme, il a maintenu le sourire qu’il affiche depuis le début de la campagne électorale. On sentait qu’il retenait ses coups et tentait de contrôler le côté abrasif qu’on lui connait quand il débat à la Chambre des Communes. Il a présenté les grandes lignes de son programme, comme les réductions d’impôt, l’abolition de la taxe de vente pour les acheteurs d’une maison neuve, des compressions dans la fonction publique fédérale, la suppression du financement de CBC, le réseau public anglophone du Canada (il promet par contre d’épargner Radio-Canada, qui est le pendant francophone de CBC).
C’est le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, qui a mené les attaques les plus virulentes contre Pierre Poilievre. Il l’accuse de vouloir sabrer dans les programmes sociaux et de vouloir « américaniser » le système de santé canadien. Il a notamment dénoncé le fait que le chef conservateur veuille couper l’aide financière du Canada à l’UNRWA, l’Agence des Nations Unies qui vient en aide aux Palestiniens à Gaza, sous le prétexte que des membres de cette agence ont participé aux attaques du Hamas le 7 octobre. « C’est dégueulasse ce que vous dites » lui a-t-il lancé. Le chef néo-démocrate a joué son va-tout dans ce débat car son parti enregistre une dégringolade historique dans les sondages. La raison : une partie de ses électeurs va voter libéral pour bloquer les conservateurs. Jagmeet Singh a aussi attaqué le chef du Bloc Québécois : « Vous êtes aussi inutile que la monarchie » a déclamé le chef néo-démocrate.
Photo de profil sur le réseau social Facebook de Jagmeet Singh
Ce qui n’a pas vraiment fait sourciller le chef bloquiste, qui a distribué des uppercuts à ses adversaires avec l’art de la formule qu’on lui connait. « C’est des budgets à la Harry Potter, ça ! » a balancé Yves-François Budget aux chefs libéral et conservateur parce qu’ils n’ont pas encore expliqué comment ils comptaient financer leurs promesses électorales de baisses d’impôts. Le Bloc Québécois est à la traine lui aussi dans les sondages au Québec, loin derrière le Parti libéral. Mais le chef bloquiste a tenté d’expliquer aux Québécois que son parti était la meilleure assurance pour protéger la langue française quand viendra le temps de s’asseoir avec Donald Trump pour négocier avec lui.
À ce sujet, les chefs s’entendent pour dire que personne ne peut contrôler le président américain, que le Canada ne deviendra jamais le 51ème État des États-Unis et que les questions de la gestion de l’offre (la protection du marché agricole canadien) et la protection de la langue et la culture françaises seront exclues de ces négociations. Mark Carney a fait valoir son expérience pour négocier avec les Américains car il a déjà géré des crises internationales importantes notamment la crise financière de 2008-2009 quand il était gouverneur de la Banque du Canada et le Brexit quand il était gouverneur de la Banque d’Angleterre. Pierre Poilievre a répliqué qu’il serait le meilleur pour affronter le président américain, mais sur ce point il ne convainc pas les Canadiens. Un sondage mené par la firme Nanos fin mars-début avril révèle que 62,3% des Canadiens estiment que Mark Carney est celui qui sera le meilleur pour négocier avec Donald Trump, contre 23,8% pour Pierre Poilievre.
Les thèmes abordés dans la langue de Shakespeare ont été plus ou moins les mêmes que ceux dans la langue de Molière et les quatre chefs ont tenu le même discours. À la différence que les trois chefs anglophones ont été bien plus à l’aise dans leur langue maternelle, surtout Mark Carney qui a été beaucoup plus volubile et a davantage élaboré ses réponses et présenté son programme.
Il a subi de nouveau un tir croisé d’attaques de la part de ses adversaires. Tout comme lors du débat en français, Yves-François Blanchet a remis en doute la capacité de Mark Carney à gérer des crises. Tandis que Pierre Poilievre a de nouveau tapé allègrement sur le clou de l’association Carney-Trudeau, ce à quoi le chef libéral a rétorqué : « Je sais que vous aimeriez vous présenter contre Justin Trudeau mais Justin Trudeau n’est plus ici ».
Le chef conservateur a aussi répété son mantra préféré selon lequel la décennie libérale était à l’origine de tous les problèmes que connait actuellement le Canada : l’augmentation du coût de la vie, la crise du logement, l’insécurité et que les Canadiens ne pouvaient pas se permettre un quatrième mandat libéral. Jagmeet Singh, de son côté, a accusé Mark Carney d’avoir fait des réductions d’impôt pour les plus riches et d’avoir servi les plus riches quand il a travaillé dans le secteur privé – le chef libéral a notamment été président du conseil d’administration d’un fonds d’investissement international, poste qu’il a quitté quand il s’est lancé dans la course à la direction du Parti libéral du Canada en janvier dernier -.
La question autochtone, totalement absente du débat en français, a été abordée, sous l’angle notamment de la criminalité puisque les autochtones sont surreprésentés dans les prisons canadiennes. Et parlant de criminalité, Pierre Poilievre propose dans ce domaine un durcissement de la loi canadienne pour que les peines d’emprisonnement soient cumulatives.
Sur le dossier de l’énergie et de l’environnement, le conservateur Pierre Poilievre est en faveur d’une augmentation de la production du pétrole et de gaz naturel au Canada et de la construction d’oléoducs d’un bout à l’autre du pays pour les exporter. Mark Carney estime que ces projets d’oléoducs doivent être acceptés par la population locale et les communautés autochtones. Il veut aussi développer les technologies pour réduire l’empreinte carbone de l’exploitation du pétrole des sables bitumineux. Yves François-Blanchet préfère, quant à lui, le développement de l’hydroélectricité et des énergies vertes.
Est-ce que les performances des chefs lors de ces deux débats vont faire bouger les aiguilles des sondages, à un peu plus d’une semaine du scrutin ? Plus de 60% des Canadiens disent avoir déjà fait leur choix et qu’ils ne changeront pas d’avis. Le vote par anticipation commence ce vendredi 18 avril et s’étale durant tout le congé pascal.