Canada : les défis du Premier ministre Justin Trudeau pour son second mandat

Trois jours après les élections fédérales, Justin Trudeau a fait part de ses priorités devant la presse, ce mercredi 23 octobre. Le Premier ministre qui rempile pour un second mandat sans majorité au Parlement s'est dit prêt à rencontrer les chefs des autres partis politiques mais exclut pour l'instant toute coalition. Il doit présenter son nouveau gouvernement le 20 novembre dans un contexte politique très divisé. 
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trudeau conférence de presse
Quelques jours après les élections fédérales, Justin Trudeau s'est adressé à la presse le 23 octobre pour poser les priorités de son second mandat. 
©Capture d'écran Radio Canada
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Le premier écueil, c’est le fait de ne pas disposer de majorité à la Chambre des communes à Ottawa. Justin Trudeau va donc devoir gouverner en comptant sur l’appui des partis d’opposition pour faire adopter les projets de loi de son gouvernement.

"Les Canadiens ont envoyé un message clair lundi 21 octobre : ils veulent que nous travaillons ensemble pour le pays", a-t-il déclaré mercredi 23 octobre lors de sa première conférence de presse depuis les élections, en précisant, "je pense que le message que les Canadiens ont envoyé lundi soir m’a donné beaucoup de matière à réflexion et je m’engage à réfléchir de façon attentive et de façon profonde, en consultant beaucoup de gens sur la meilleure façon de procéder ".

Le Premier ministre désigné va donc rencontrer au cours des prochains jours les chefs des partis d’opposition mais n’envisage pas pour l’instant de former une "coalition formelle ou informelle" avec l’un d’eux.

Il a aussi précisé que la priorité de son nouveau gouvernement, qu’il va présenter le 20 novembre prochain, et annoncé comme paritaire, sera la lutte contre les changements climatiques. Il veut aussi, comme il l’a promis durant la campagne électorale, baisser les impôts pour la classe moyenne, réviser les critères pour bénéficier de l’aide médicale à mourir et poursuivre la réconciliation avec les autochtones. Et il va aussi prioriser au cours des prochaines semaines des rencontres avec les Premiers ministres des provinces de l’Ouest du pays qui ont rejeté massivement les candidats du Parti libéral lors de ces élections.

Réunifier un pays divisé

Car il est là, le deuxième gros défi de Justin Trudeau : réunifier un pays divisé entre l’Ouest… et l’Est. Les électeurs des provinces de l’Alberta , la Saskatchewan, le Manitoba  ont voté massivement en faveur des conservateurs lundi 21 octobre.

Les libéraux ont été littéralement rayés de la carte dans ces provinces, sauf quelques rescapés à Winnipeg, capitale du Manitoba. Ce qui pose d’ailleurs un gros problème pour Justin Trudeau dans la composition de son gouvernement : qui nommer pour représenter ces provinces dans son équipe ?

Les citoyens de cette région du Canada se sentent négligés, oubliés par le gouvernement fédéral. L’économie de l’Alberta par exemple est presqu’exclusivement basée sur l’industrie pétrolière et la baisse des cours du pétrole ces dernières années a eu un impact énorme sur cette économie et sur le portefeuille des Albertains. C’est pourquoi la mise en activité de ce fameux oléoduc Transmoutain, que le gouvernement de Justin Trudeau a acheté pour plus de 4 milliards et demi de dollars, est réclamée par l’Alberta, car il va permettre de transporter ce pétrole jusqu’à la côte ouest, ouvrant de nouveaux marchés d’exportation pour l’or noir albertain.

Justin Trudeau a précisé que son prochain gouvernement allait aller de l’avant avec l’exploitation de cet oléoduc : "nous devons reconnaître que les Albertains et les habitants de la Saskatchewan ont dû faire face à des années difficiles à cause de la baisse des prix du pétrole et les Canadiens devront être solidaires avec eux".

Au lendemain de l’élection du 21 octobre, les trois Premiers ministres des provinces de l’Ouest, tous élus sous la bannière conservatrice, ont lancé un SOS à Justin Trudeau : ils lui demandent d’écouter leurs demandes pour protéger "l’unité nationale". Ils veulent que les projets de pipeline soient concrétisés. Ils veulent que le gouvernement fédéral soustraie leur province de la taxe carbone et ils veulent négocier une nouvelle formule de péréquation (principe de distribution des revenus fédéraux aux provinces canadiennes en fonction de leurs richesses).

"J’offre (à Justin Trudeau) un extincteur. Je l’invite à ne pas répondre à ces demandes avec de l’essence", a lancé le Premier ministre de la Saskatchewan Scott Moe, en précisant : "les résultats de l’élection montrent que le sentiment de frustration et d’aliénation dans l’Ouest canadien n’a jamais été aussi important ".
 

Concertation et compromis

Le Premier ministre de l’Alberta Jason Kenney brandit même la menace d’un référendum pour obliger Ottawa à réviser la péréquation. Et il met en garde Justin Trudeau contre le mouvement de séparatisme né en Alberta et qui prend de l’ampleur. Baptisé WEXIT, raccourci des mots "west exit", il prône ni plus ni moins qu’une séparation de l’Alberta du reste du Canada. Le gouvernement canadien est habitué à gérer les velléités souverainistes des Québécois, mais celles des habitants de l’Ouest du pays, c’est plutôt nouveau comme phénomène.

Le "Wexit" est, pour l’instant, un mouvement relativement marginal, mais non négligeable.

Justin Trudeau promet de rencontrer rapidement les Premiers ministres des provinces de l’Ouest pour recréer des liens : "nous devons bien servir les gens de toutes les régions, on va prendre le temps de réfléchir à comment servir ceux qui ont voté pour nous et aussi ceux qui n’ont pas voté pour nous".

Comment réconcilier l’Ouest conservateur et l’Est progressiste ? Satisfaire, d’un côté, les intérêts pétroliers des Albertains, et, de l’autre, les désirs environnementalistes des Québécois ? Ces derniers ont envoyé une forte cohorte de députés du Bloc Québécois à Ottawa. Ce parti nationaliste est la voix du Québec dans la Chambre des communes et avec 32 députés, cette voix va résonner fort. Le Québec a aussi des demandes précises que Justin Trudeau ne pourra pas ignorer.

Le Premier ministre canadien est littéralement pris entre l’arbre et l’écorce. Il va devoir prendre des décisions en faveur de l’Ouest qui vont déplaire dans l’Est, et vice versa. Un délicat exercice d’équilibriste qui va demander à Jutin Trudeau pour ce second mandat : ouverture, dialogue, concertation et compromis.