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Ce 20 janvier, la Cour suprême de la Colombie-Britannique, province de l’ouest canadien, entame ses audiences sur le processus d’extradition vers les États-Unis de la directrice financière de Huawei, le géant chinois des télécommunications. Que va décider le tribunal canadien : remettre Mme Meng Wanzhou aux autorités américaines ou la remettre en liberté ? Cette arrestation a provoqué une grave crise diplomatique entre la Chine et le Canada, une crise qui risque bien de perdurer.
Depuis son arrestation le premier décembre 2018 à l’aéroport de Vancouver où elle faisait escale, Meng Wanzhou n’en est pas à sa première apparition devant la justice canadienne. Sauf que ces audiences qui commencent ce 20 janvier seront déterminantes pour son avenir.
La directrice financière de Huawei, et fille de son fondateur, a été arrêtée à Vancouver à la demande des États-Unis. Ils l’accusent de fraude et de complot pour avoir contourné les sanctions américaines imposées à l’Iran.
La Cour suprême de la Colombie-Britannique doit maintenant répondre à une question simple : ces accusations portées par les Américains à l’encontre de Mme Meng sont-elles considérées comme des crimes également au Canada ? Si oui, la juge va autoriser la poursuite du processus d’extradition. Si non, elle va autoriser la remise en liberté de Mme Meng.
Mais on sait déjà que selon le ministère canadien de la Justice, le « crime » de fraude et complot dont est accusée la directrice de Huawei par les Américains serait aussi considéré comme une infraction au Canada au moment où il a été commis.
C’est ce principe de « double discrimination » qui devrait donc faire pencher la balance de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en faveur de la poursuite du processus d’extradition au terme de ces audiences sur plusieurs jours. Mme Meng ne serait donc pas remise en liberté, et la crise diplomatique entre le Canada et la Chine ne sera pas terminée, bien au contraire.
Car cette arrestation a soulevé l’ire du gouvernement chinois, qui depuis, réclame sans relâche, la libération de sa ressortissante et qui a rapidement réagi avec des mesures de représailles envers le Canada. La principale a été l’arrestation de deux citoyens canadiens, un ancien diplomate Michael Kovrig et un consultant Michael Spavor. Ils sont accusés de menace à la sécurité nationale de la Chine.
Ces deux Canadiens croupissent depuis plus d’un an dans des prisons chinoises dont les conditions de détention sont bien plus difficiles que celles de Mme Meng. Elle vit aujourd'hui en liberté surveillée avec un bracelet autour de la cheville dans l’une de ses luxueuses résidences de Vancouver. La directrice de Huawei a récemment témoigné dans un message publié sur le site de l’entreprise que toute cette histoire la tourmente mais qu’elle en profite pour lire et pour s’adonner à la peinture.
De leur côte, les deux Michael ne peuvent parler ni à leur avocat ni à leur famille. Ils vivent dans des conditions spartiates quelque part dans des cellules en Chine. On s’attend à ce que Pékin dépose au cours des prochains jours des accusations formelles contre les deux Canadiens qui subiraient donc un procès et risquent de passer de longues années de détention là-bas.
Les autorités chinoises ont aussi limité les importations canadiennes de canola, de porc et de bœuf, une mesure qui a eu un impact important sur les producteurs canadiens, on parle de pertes de plusieurs milliards de dollars.
La crise diplomatique entre le Canada et la Chine perdure, mais comment en sortir ?
Le nouveau ministre des Affaires étrangères du Canada, François-Philippe Champagne, a déclaré dès sa prise de fonction que régler cette crise avec la Chine faisait partie de ses priorités. En entrevue à Radio-Canada, il a déclaré : « 18 heures, je pense, après mon assermentation, j’étais déjà à rencontrer mon homologue chinois. On est arrivé à un moment critique, stratégique. Mon rôle, c’est de ramener les parties autour de la table, essayer des éléments de solution pour faire avancer ».
De son côté, le Premier ministre Justin Trudeau a maintenu sa position : le Canada devait respecter l’entente d’extradition qu’il a avec les États-Unis, et le système judiciaire doit être indépendant du pouvoir politique. Il réclame également sans relâche la libération des deux Canadiens. Il a même demandé aux Américains de ne pas signer d’entente commerciale avec la Chine sans avoir auparavant réglé ce dossier de l’arrestation de Meng Wanzhou et des deux Canadiens.
C’est ce qu’il a déclaré le 20 décembre en entrevue au réseau québécois TVA : « Il faut qu’ils libèrent ces deux Canadiens-là (…) On l’a dit qu’il ne faudrait pas que les États-Unis signent une entente finale et complète avec la Chine qui ne règle pas la question de Meng Wanzhou et les deux Canadiens ». Sauf que les États-Unis semblent peu à l’écoute des demandes de Justin Trudeau en la matière, ils viennent de signer une entente commerciale avec la Chine. Très clairement dans ce dossier, le Canada est pris en étau entre les deux puissances que sont la Chine et les États-Unis.
Toute cette histoire est un véritable casse-tête diplomatique pour le Canada et la question est : comment sortir de cette crise ?
« Il faut se préparer à ce que cette crise dure pendant des années », estime Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur canadien en Chine. Il connaît bien la Chine : il y a été ambassadeur durant les périodes 2012-2016 et occupe des postes diplomatiques les années précédentes.
Il s’attend à ce que les procédures judiciaires sur l’extradition de Mme Meng s’étirent sur les deux prochaines années, parce que les avocats de la directrice de Huawei vont saisir tous les leviers juridiques à leur disposition pour retarder au maximum cette extradition.
Il est aussi peu optimiste quant au sort des deux Canadiens emprisonnés en Chine : « Leurs dossiers ont été remis au procureur en décembre et je m’attends à ce que des accusations formelles soient déposées au cours des prochains jours. Dans le système judiciaire chinois, quand on est accusé et qu’on subit un procès, on est reconnu coupable dans 99,9% des cas. Et je m’attends à des sentences très sévères contre eux ».
Alors, quelles sont les solutions pour sortir de cette crise ?
L’ex-ambassadeur canadien croit que le Canada doit durcir le ton envers la Chine : « Il faut continuer à mettre de la pression sur les Américains pour les demander de nous aider, mais comme les relations entre Mr Trudeau et Mr Trump ne sont pas au mieux, cela risque de ne pas donner de résultats. Il faut donc continuer la campagne déjà commencée de rallier les pays alliés en Europe et en Asie, tant sur le plan commercial que sur le plan du respect des droits de la personne, pour envoyer un message clair aux autorités chinoises afin qu’elles respectent les règles de droit ».
Autrement dit, que les pays occidentaux parlent d’une seule et même voix avec le régime chinois et qu’ils n’hésitent pas à dénoncer les violations des droits de la personne. Ce d’autant plus, dit Guy Saint-Jacques que l’Occident s’est trompé en croyant qu’en faisant des affaires avec les Chinois ils allaient s’ouvrir à la démocratie : « c’est l’inverse qui s’est produit, la Chine est un régime encore plus autoritaire et le régime chinois se sert des nouvelles technologies pour contrôler sa population, ce qu’il faut dénoncer ».
Guy Saint-Jacques estime que dans ce dossier très délicat, l’union fait la force : « La clé, c’est d’être en bonne compagnie, de dire à des pays alliés qu’il faut travailler ensemble, faire front commun contre les violations des droits de la personne en Chine et les dérives autoritaires de ce régime. Il faut durcir le ton, dire que nous n’allons pas tolérer sans riposter, prendre des mesures concrètes et travailler ensemble avec les pays amis pour développer une approche commune et un discours commun envers Pékin ».
L’une des solutions avancées récemment préconise un échange de prisonniers entre Mme Meng et les deux Canadiens. Une solution que rejette l’ex-diplomate : « Cela reviendrait à dire que la stratégie de la Chine de prendre des otages a fonctionné et ce serait encourager cette stratégie. Cela créerait aussi une crise diplomatique avec Donald Trump, sans oublier que le public canadien y verrait une intrusion du politique dans le judiciaire ».
L’ex-ambassadeur croit également que toute cette histoire envoie un signal aux autres pays qui ont des ententes d’extradition avec les États-Unis : « Si les Américains vous demandent d’extrader quelqu’un et que vous en payez le prix fort après, sans recevoir aucune de leur part parce qu’aux États-Unis, c’est l’Amérique d’abord. Beaucoup de pays à l’avenir vont y penser à deux fois avant de procéder à une quelconque arrestation ».
Car c’est exactement ce qu’il vient de se passer pour le Canada. Il paie cher pour cette arrestation de Mme Meng à la demande des Américains : la détention arbitraire de deux de ses citoyens, et des pertes de milliards de dollars dans ses échanges commerciaux avec la Chine. Le tout arrosé d’une grave crise diplomatique et sans que Washington n’ait levé le petit doigt pour venir en aide aux Canadiens qui subissent de plein fouet la colère de Pékin.